Roger Des Roches, lauréate

Naissance le 28 août 1950 à Trois-Rivières, décès le à 

Entrevue

Lire la vidéo sur Entrevue

Biographie

Sorte de trublion des lettres qui se serait à peine assagi avec le temps, Roger Des Roches est sans conteste une figure et une voix parmi les plus originales du paysage littéraire québécois. Proche de la contre-culture, mais surtout influencé dès le départ par les surréalistes, nourri de science-fiction et de littérature d’horreur plus que de grands classiques, le poète propose à ses contemporains des textes parfois aux limites de la lisibilité. Mais qui n’en trouvent pas moins écho, ô combien!

« Fils unique de fille unique », pour reprendre la formule du principal intéressé, Roger Des Roches est élevé en milieu ouvrier. Au fil des emplois précaires du père, la famille vivra à Trois-Rivières, Sorel, Ville Saint-Michel, Longueuil puis Montréal. Roger Des Roches attrape à 10 ans « le virus de la lecture » avec Bob Morane d’Henri Vernes, et la découverte de ce héros iconique le conduit à la science-fiction qu’il lit principalement en anglais. « Je comprenais une phrase sur deux, dit l’écrivain, ce qui rendait toutes ces histoires encore plus mystérieuses et augmentait le plaisir! ». Il étudie à l’Externat classique de Longueuil (futur Cégep Édouard-Montpetit) de 1962 à 1964 sans y faire de zèle; mais c’est à cette époque, dans le journal de l’école, que l’adolescent devenu lecteur de poésie publie ses premiers textes, à la suite de la lecture de Verlaine.

Au dépanneur qui l’approvisionne en Bob Morane et en romans de
science-fiction, le garçon fait une autre découverte majeure : un jeune poète de Longueuil nommé Denis Vanier qui vient de publier (en 1965) le recueil Je. Vient ensuite, quelques mois plus tard, Essais rouges de Claude Péloquin. Le choc! En poésie, en marge de ce qui pourrait être convenu d’appeler la « littérature du pays », est apparue une recherche formelle différente, des idées et des styles empruntés aux modernités américaine et française, que représentera bientôt la revue Les Herbes rouges, née en 1968. Ici commence l’aventure poétique de Roger Des Roches, dont les Éditions du Jour publient Corps accessoires deux ans plus tard.

Contrairement à nombre de ses pairs, Roger Des Roches n’est ni un universitaire ni un enseignant. Il travaillera longtemps dans l’imprimerie et l’édition comme correcteur d’épreuves, réviseur, graphiste, directeur de production et des éditions, avant de fonder, en 1999, une petite compagnie offrant des services d’infographie, de rédaction et de conception publicitaire. Il dit avoir « l’agressivité du timide » – timidité que les lectures publiques, qu’il affectionne maintenant, l’aident à juguler – et affiche une allure de rocker : tatouages, bagues et lunettes noires. La langue desrochienne, percutante, baroque et crue, est à l’avenant.

« L’écriture n’est pas un choix, elle s’est imposée, je ne peux pas vivre sans cela, je ne peux pas vivre sereinement si je n’ai pas un projet d’écriture », insiste aujourd’hui Roger Des Roches. Chez ce grand créateur de mots-valises, de détournements de langage et de sens, d’amalgames, le geste d’écrire en est un d’incarnation, d’érotisation et d’expérimentation. C’est le style desrochien, un style qui atteint l’un de ses sommets dans dixhuitjuilletdeuxmillequatre (Les Herbes rouges, 2008) même si, paradoxalement, le recueil ressemble peu à ce que le poète a fait jusque-là.

Roger Des Roches a écrit ce recueil à la suite de la mort de sa mère. Il s’y met en scène en « fils approximatif » « devenu Rogerj’aitoujourspeur » en proie aux réminiscences, au côté d’une « mère inconnue mère tranchée » en raison de la maladie et de la mort. Criant de vérité, de puissance lyrique, de fulgurances poétiques et d’émotion tout à la fois, dixhuitjuilletdeuxmillequatre a suscité un engouement unanime mais a échappé aux grands prix de poésie. Qu’à cela ne tienne : soixante-douze acteurs du milieu littéraire constitués en jury autoproclamé lui ont décerné le prix Chasse-Spleen (la récompense créée pour l’occasion tire son nom d’un médoc exceptionnel) afin d’en souligner le caractère essentiel.

Une autre mort annoncée avait été l’un des déclencheurs de La jeune femme et la pornographie, un roman érotique publié aux Herbes rouges en 1991 que son auteur qualifie de « difficile et extrêmement osé ». Ici une jeune femme condamnée par la maladie décide de s’offrir entièrement à un homme dont elle est amoureuse, mais qui ne la connaît pas, à travers une série de photographies et de lettres pornographiques qui vont de a à z – littéralement. À cette cohabitation paroxystique de l’archétypal éros-thanatos livrée dans un style hyperréaliste répond, en une sorte de miroir inversé, Le rêve (Les Herbes rouges, 1997), auquel le mélange d’érotisme, de surréalisme et d’onirisme confère un climat étrange, brumeux.

Parallèlement à ces livres des zones troubles, Roger Des Roches apparaît, au début des années 2000, là où sûrement personne ne l’attendait. Sa fille est en 3e année du primaire, et le tout récent lauréat du Grand Prix du Festival international de la poésie de Trois-Rivières pour le
méditatif Nuit, penser (Les Herbes rouges, 2001) se voit demander s’il accepterait de faire de l’animation en classe autour d’un livre jeunesse choisi dans la bibliothèque de l’école. Ayant déjà rédigé quelques pages d’un petit roman qui lui plaît, il propose plutôt d’en écrire un, à raison d’un chapitre par semaine qu’il lira aux enfants et que ceux-ci commenteront. Ainsi est né Marie Quatdoigts 1 (Québec Amérique jeunesse, 2002), aussitôt un succès fulgurant et, qui plus est, finaliste pour le Prix du Gouverneur général!

L’héroïne avait en quelque sorte reçu l’imprimatur d’une classe de 3e, et on ne s’étonnera pas de sa popularité auprès du jeune public. On ne s’étonnera pas non plus que les romans jeunesse de Roger Des Roches ne soient pas tout à fait comme les autres. Écrite sur un mode intimiste et introspectif, exempte de didactisme et de manichéisme, la série Marie Quatdoigts (quatre tomes à ce jour) se présente comme un éloge de la différence et une invite à la tolérance par l’entremise de personnages psychologiquement complexes. En 2005, l’ancien fan de Bob Morane a lancé une seconde série : Les Fantômes, cocktail détonant de fantaisie, de fantastique et de sensibilité. Et si tout va bien, son prochain livre, prévu pour le printemps 2014, sera un autre roman jeunesse, pour ados cette fois, intitulé Boîtàmémoire. « Un roman athée », précise son auteur qui, décidément, ne craint pas les sujets épineux.

Peu importe le genre, peu importe le public visé, Roger Des Roches est en somme un écrivain de l’intranquillité, voire un explorateur extrême, ce dont témoigne encore éloquemment La Cathédrale de tout, paru début 2013 aux Herbes rouges. La chair est toujours bien présente, mais c’est l’exploitation du champ lexical religieux et le style incantatoire qui frappent ici. Le poème déboule, jaillit à coups d’images fortes, magnifiquement évocatrices au demeurant. Par exemple : « homme qui est mission ombre bouche queue; fleurs du tout-soit-mangé; misère sacrée; Forge la tentation qui veut tout et deux ».

Recueil aux accents surréalistes et au rythme souvent saccadé, trépidant, opus d’une grande maîtrise aussi, La Cathédrale de tout illustre peut-être bien la quintessence de l’art poétique de Roger Des Roches. Pour l’instant.(Il prépare un nouveau livre de poésie, un seul long poème, intitulé Le corps encaisse, qu’il partage, extrait par extrait, sur les réseaux sociaux.) Le poète constate par ailleurs que son auditoire se renouvèle, que de plus en plus de jeunes adultes le lisent. Et une nouvelle génération de jeunes écrivains le considère comme l’une des figures de proue de la poésie québécoise. Aucun doute, donc : le verbe desrochien, singulier, est bel et bien vivant.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
12 novembre 2013

Membres du jury :
Samuel Archibald, président
Jean-Marc Desgents
Christiane Frenette
David Homel

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Sylvain Caron Productions Inc.
Réalisation : Sylvain Caron
Coordinateur de production : Frédéric Blais-Bélanger
Caméra et direction photo : Frédéric Blais-Bélanger
Prise de son : Serge Bouvier, Jean-François Paradis
Maquillage : Camille Rouleau
Montage : Frédéric Blais-Bélanger, Sylvain Caron, Ian Morin
Mixage sonore : Studio SonG
Musique originale : Luc Gauthier
Entrevues : Suzanne Laberge
Texte :
  • Francine Bordeleau