Werner Nold, lauréate

Cinéma

Naissance le 19 décembre 1933 à Samedan, Suisse, décès le 28 février 2024 à 

Entrevue

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Biographie

Le montage est la colonne vertébrale du film et le monteur, pour faire tenir un film ensemble, lui donner vie, doit être à la fois un technicien et un artiste. Son travail est essentiel, et certains cinéastes comme Orson Welles le considéraient comme supérieur aux autres moments de la création cinématographique. Pourtant, non seulement il reste méconnu, mais il n’est presque jamais reconnu. « Dans les critiques sur les films, on ne parle jamais de montage », nous dit Werner Nold, que nous avons rencontré pour parler de son métier. « Mais cela ne m’a pas empêché d’être heureux. J’ai fait le plus beau métier du monde! », rajoute ce monteur qui fit partie avec les Denys Arcand, Michel Brault, Gilles Carle, Marcel Carrière, Jacques Godbout et Pierre Perrault, des artisans qui, dans les années 1960, ont donné véritablement naissance au cinéma québécois. Pendant 35 ans, il a exercé ce métier et quand il en parle, on devine encore cette excitation du garçon de 8 ans qu’il était quand il a vu son premier film, un Charlie Chaplin. Il était tellement excité qu’il s’est dépêché d’aller derrière l’écran, pensant pouvoir serrer la main à Charlot!

Dès ce moment, celui qui est né en Suisse en 1933 a reçu la piqûre du cinéma. Ne confie-t-il pas qu’il harcelait un copain qui avait un projecteur 8 mm pour qu’il lui montre les films de Chaplin? À partir de 14 ans, les samedis et dimanches, il voyait tous les films projetés dans les quatre salles de cinéma de Montreux. Et à la fin de l’adolescence, il n’avait qu’une idée : faire du cinéma. Mais où étudier, dans un pays comme la Suisse où l’industrie cinématographique est inexistante? En France? « Trop aristocratique! » nous dit-il en souriant. Donc, le jeune Werner se dit qu’il devrait aller ailleurs, au Canada par exemple, à cause de l’Office national du film (ONF) et de cinéastes comme Colin Low et Roman Kroitor. Le voilà sur un bateau et il arrive le 21 septembre 1955 à Montréal.

Comme il a étudié la photographie, il réussit à entrer au Service de la ciné-photographie de la Province de Québec. Son premier travail : prendre des photos des Amérindiens de la Côte-Nord. Il tombe ainsi amoureux du pays. Il travaille pour Nova Films, à Québec, fait de la direction photo ainsi que de la sonorisation de films, particulièrement ceux de l’abbé Maurice Proulx. Mais il veut avant tout entrer à l’Office national du film; il envoie une dizaine de demandes d’emploi et, enfin, il est accepté en 1961.

Là, Gilles Carle lui confie le montage de son premier film, Dimanche d’Amérique, et c’est le coup de foudre. « Je sais que c’était ce que je voulais faire, ce que je devais faire, confie Werner Nold. Puis j’ai continué. J’ai appris sur le tas, comme les cinéastes qui y étaient. Ils venaient de l’université comme Michel Brault, Claude Jutra, Pierre Perrault, Denys Arcand, avaient étudié en médecine, en histoire, par exemple. Il y avait à l’ONF une effervescence extraordinaire à cette époque. » Il monte des courts métrages, autant des documentaires que des fictions, comme Patinoire (1963) et Solange dans nos campagnes (1964), tous deux de Gilles Carle. Il passe du 16 mm au 35 mm, avec les longs métrages Pour la suite du monde (1963) de Brault et Perrault, et La vie heureuse de Léopold Z (1965) de Carle, et participe ainsi à la révolution du cinéma direct et aux premiers pas d’un cinéma de fiction s’accordant parfaitement avec l’évolution de la société québécoise et ses aspirations. Tout cela est rendu possible grâce au climat de travail à l’ONF : « On avait du temps. J’ai y vécu la vie professionnelle la plus libre au monde », nous confie celui qui montera, entre autres, Gros-Morne (1967) de Jacques Giraldeau, Entre la mer et l’eau douce (1967) de Michel Brault, Avec tambours et trompettes (1967) de Marcel Carrière et IXE-13 (1971) de Jacques Godbout.

« On arrivait à 8 heures du matin et on repartait souvent à 10 heures le soir. On se parlait, on allait voir ce que les autres faisaient. C’était un horaire qui n’était redevable qu’au seul plaisir de faire ce qui nous plaisait », ajoute-t-il. Un genre d’horaire qui sera encore plus chargé avec le film Jeux de la XXIe olympiade (1977), coréalisé par Jean-Claude Labrecque, Jean Beaudin, Marcel Carrière et Georges Dufaux. Pendant cinq mois, il s’enferme jour et nuit dans sa salle de montage, trie avec quatre assistants 200 heures de tournage qu’il doit réduire à 2 heures. Chaque assistant a une couleur dont il marque ses bobines et Werner Nold les visionne ensuite avec lui, lui indiquant les plans choisis, et éliminant ainsi 75 % du matériel tourné. Travail dantesque : « Un sacré boulot, nous confie-t-il, qui a failli provoquer la dépression de ma vie. » Mosaïque exceptionnelle, le film a été vu partout dans le monde.

Autre jalon important dans les techniques de son métier, le triptyque Gui Daò (1980), de Georges Dufaux, pour lequel il conçoit une enregistreuse fonctionnant en synchronisme avec une table de montage de films en langue originale étrangère.

Si Werner Nold soutient l’arrivée de la fiction à l’ONF durant les années 1970 en travaillant sur Le temps d’une chasse (1972) de Francis Mankiewicz, O.K. … Laliberté (1973) et Ti-Mine, Bernie pis la gang (1976) de Marcel Carrière, La gammick (1974) de Jacques Godbout et La fleur aux dents (1975) de Thomas Vamos, il n’hésitera pas à s’associer à une œuvre expérimentale comme Zea (1981) d’André Leduc et Jean-Jacques Leduc, ni à l’animation avec Charles et François (1987) de Co Hoedeman sur un scénario de Jean Charlebois, Juke-Bar (1989) de Martin Barry et Taa Tam (1995) d’André Leduc.

Celui qui a donné pendant 35 ans la forme définitive à quelque 100 films prend sa retraite de l’ONF en 1996, retraite qui lui a donné l’occasion de transmettre son savoir dans différents centres de formation. « J’ai eu le grand bonheur de travailler dans cet établissement unique qu’est l’ONF et qui m’a permis d’aller au bout de ce que je pouvais faire. On y innovait constamment, on faisait ce qu’on avait envie de faire; je pourrais même dire qu’on était délinquants. » Si on lui demande quels sont les trois films de toute sa longue carrière qui lui tiennent à cœur, Werner Nold répond : Pour la suite du monde, qui fut la plus grande aventure de sa vie, parce que ce film était le premier long métrage documentaire tourné entièrement en son synchrone, parce qu’il s’y est investi durant un an et demi, et ce, dès le début du projet; IXE-13, pour la simple raison que Jacques Godbout a réussi à créer une équipe et à la souder, dans une amitié qui persiste aujourd’hui parmi les membres qui ont participé au film; et le troisième est celui de 1977 sur les Jeux olympiques, pour le défi qu’il posait, avec les rushes de 36 caméramans et 36 preneurs de son (tournage encore une fois en son synchrone), et pour avoir réussi à capter la vie des athlètes durant les compétitions. « Non pas parce que ces films sont parfaits, mais parce que je suis allé avec eux au bout de ce que je pouvais faire », conclut-il.

Comme on le constate fréquemment dans l’histoire du cinéma, les monteurs sont souvent associés à certains réalisateurs. À cette remarque, M. Nold répond qu’il a effectivement travaillé avec peu de réalisateurs. La raison : le montage est un travail tellement intime, si solitaire, qu’on ne peut faire autrement. « Le monteur se place dans la tête du réalisateur. Il doit traduire sa pensée. Il doit faire le film que ce dernier désire, pas le sien, et pourtant y mettre toute son ardeur, sa sensibilité et son inspiration. »

En 2005, Werner Nold reçoit au festival Visions du Réel de Nyon, en Suisse, un hommage qui met en lumière le caractère unique de son travail : son attention aux mille fragments du film qu’il montait, son habileté à les faire tenir ensemble, à les articuler afin de leur donner souffle et fluidité. Mais comme il le remarque lui-même, dans le documentaire que Jean-Pierre Masse lui consacre, Werner Nold, cinéaste-monteur (2003) : tous les gens qui sont passés sous sa Moviola et sa Steinbeck l’ont transformé et il s’est défini en même temps que la société québécoise qu’il voyait défiler sur sa table de montage.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
9 novembre 2010

Membres du jury :
Barbara Shrier (présidente)
Claude Fortin
Dominique Fortin

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :

Production : Sylvain Caron Productions Inc
Réalisation : Sylvain Caron
Coordinatrice de production : Nathalie Genest
Caméra et direction photo : Jacques Desharnais
Prise de son : Serge Bouvier et Jean-François Paradis
Maquillage : Anne Poulin
Montage : Sylvain Caron
Mixage sonore : Luc Gauthier, Studio SonG
Musique originale : Christine Boillat
Musiciens : André Bilodeau, Christine Boillat, David Champoux et Daniel Marcoux
Entrevue : Pascale Navarro
Lieu du tournage : Télé-Québec

Texte :
  • André Roy