Pionnier de l’écologie forestière, Yves Bergeron a consacré sa carrière à transformer la compréhension et la gestion des forêts boréales et tempérées. Professeur au Département des sciences biologiques de l’UQAM depuis 1985 et de l’Institut de recherche sur les forêts de l’UQAT de 1998 à 2024, il est professeur émérite dans ces deux universités. Il est reconnu comme l’un des chercheurs les plus influents dans son domaine.
Dès ses premières recherches, il s’intéresse aux perturbations naturelles – incendies, épidémies d’insectes, chablis – et à leur rôle dans la dynamique forestière. Grâce à l’analyse des cernes de croissance des arbres et à des études paléoécologiques couvrant plusieurs millénaires, il démontre que ces perturbations ne sont pas de simples catastrophes, mais bien des forces structurantes de la biodiversité et de la résilience des écosystèmes. Cette conclusion le conduit à promouvoir l’aménagement écosystémique, une approche qui s’inspire du fonctionnement naturel de la forêt pour concilier aménagement forestier et préservation de la biodiversité.
À la tête de la Chaire industrielle CRSNG-UQAT-UQAM en aménagement forestier durable pendant 22 ans et de la Chaire de recherche du Canada en écologie et aménagement forestier durable pendant 19 ans, il a su créer un environnement scientifique fertile. Cofondateur en 1985 du Groupe de recherche en écologie forestière (devenu le Centre d’étude de la forêt), de l’Institut de recherche sur les forêts (IRF) en 2012 et du Laboratoire international de recherche sur les forêts froides (LIRFF) en 2021, il a contribué à structurer la recherche dans ce domaine au Québec et à l’international.
Ses recherches ont eu un impact direct sur les politiques publiques. Il a participé aux travaux de la commission parlementaire sur la réforme de la Loi sur les forêts (2002) et du comité scientifique sur la limite nordique (2006-2015). Ses résultats ont contribué à inscrire l’aménagement écosystémique au cœur de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier et à établir la limite nordique des forêts attribuables. « J’ai participé à mettre un peu plus de science dans l’aménagement forestier, souligne-t-il, notamment en contribuant à ce que l’aménagement écosystémique soit maintenant au centre de la Loi sur les forêts. J’ai aussi contribué à ce que le Québec fixe une limite nordique au-delà de laquelle l’aménagement forestier n’était plus durable. »
Auteur ou coauteur de plus de 650 publications scientifiques, dont 8 ouvrages et 55 chapitres, Yves Bergeron est aujourd’hui l’un des chercheurs les plus cités dans son domaine, avec plus de 45 000 citations. Ses collaborations internationales l’ont mené à travailler avec la France, la Finlande, la Norvège, la Chine et la Russie, et à mettre sur pied une maîtrise bidiplômante entre l’Université de Montpellier et l’UQAT.
Ses contributions scientifiques et gouvernementales lui ont valu de nombreuses distinctions, dont le prix Marie-Victorin (2007), la médaille Romanowski de la Société royale du Canada (2014), la médaille Lawson de l’Association botanique du Canada (2020), un doctorat honoris causa de l’Université de Montpellier (2022) et le titre de chevalier de l’Ordre national du Québec (2024).
Recevoir le prix Armand-Frappier 2025 s’avère pour lui une grande fierté, mais qui s’accompagne d’un devoir. « Bien sûr, je suis honoré de recevoir le prix aujourd’hui. Cependant, je ne peux m’empêcher d’éprouver le sentiment du travail inachevé. Je demeure optimiste, car les ressources existent dans toutes les régions du Québec : il ne reste qu’à les fédérer autour d’un objectif commun, faire de la foresterie réellement durable. »
Au-delà des distinctions, il considère que son plus grand héritage est la relève qu’il a formée : « Je laisse derrière une relève étudiante bien préparée à relever les défis actuels et futurs. » Encadrer plus de 260 étudiantes et étudiants représente pour lui un accomplissement durable, plusieurs d’entre eux occupant aujourd’hui des postes clés dans le milieu universitaire, gouvernemental ou industriel.
Malgré ses succès, Yves Bergeron garde un regard lucide sur les défis à venir. « Il reste encore pas mal de chemin à faire avant que l’aménagement forestier vise la durabilité des forêts. Les contraintes économiques empêchent la mise en place sur le terrain d’une foresterie vraiment durable. Les liens entre les connaissances écologiques et l’action sur le terrain restent encore à se concrétiser. J’ai souvent rêvé d’une structure permanente de recherche qui puisse regrouper des chercheurs universitaires, gouvernementaux et les praticiens, mais bien que les ponts aient pu être créés, ce rêve reste à réaliser. »
Aujourd’hui, Yves Bergeron poursuit son engagement pour une foresterie durable, convaincu que la science, la formation et le dialogue – entre chercheurs, praticiens, décideurs et communautés, notamment autochtones – sont les clés d’un avenir résilient pour les écosystèmes forestiers.