D’aussi loin qu’il se souvienne, Yves Gingras a toujours été fasciné par la science. Des livres de science-fiction qu’il lisait tout jeune, il est passé aux ouvrages de vulgarisation scientifique. On pouvait même observer l’adolescent construire des fusées avec ses compagnons de classe. Déjà, celui que l’on reconnaît comme le pionnier de la bibliométrie et de l’histoire et de la sociologie des sciences au Québec savait qu’il étudierait la physique.
Sa carrière scientifique s’est dessinée sans planification réelle. Au cours de sa maîtrise en physique à l’Université Laval, Yves Gingras se découvre une passion pour les fondements des sciences. Au-delà de la résolution de problèmes précis, il désirait comprendre l’histoire et la philosophie des sciences. Une importante décision change alors son parcours universitaire : s’inscrire au doctorat de l’Université de Montréal, à l’Institut d’histoire et de sociopolitique des sciences. Entouré d’historiens tels que Camille Limoges (Prix du Québec 2004, Armand-Frappier), cofondateur de l’institut, Yves Gingras évolue avec aise dans cette discipline qui devient la sienne.
Il effectuera par la suite son postdoctorat à Harvard, au Département d’histoire des sciences. Là-bas, son sens de la rigueur, de la transparence et de la franchise en aura ébranlé plus d’un, alors qu’il se permet des critiques justes et réfléchies. Encore aujourd’hui, ce besoin d’exposer les faits de manière claire et précise est ce qui caractérise le plus son travail, ce pourquoi il est tant estimé de ses pairs et du public. Ce qui rend une recherche crédible et utile socialement, selon lui, c’est « robustesse et la rigueur des analyses fondées sur des données empiriques ».
Il se fait un devoir d’inculquer le sens critique. Selon lui, il est « primordial d’apprendre aux gens la pensée analytique et rationnelle » : une mission qu’il s’est donnée, autant pour ses étudiants que pour l’ensemble de la population. Voilà pourquoi il est l’un des communicateurs de l’actualité scientifique le plus prisé, notamment à l’émission Les années lumière de Radio-Canada. Ses contributions remarquables se traduisent également par un nombre impressionnant de publications savantes et de présences publiques. Yves Gingras compte à son actif plus de 300 publications, dont 18 livres, plus de 200 articles et chapitres d’ouvrages scientifiques, 250 participations à des colloques scientifiques et plus de 470 conférences grand public et interventions dans divers médias.
Le cadre de ses recherches dépasse largement les frontières québécoises. En plus d’avoir contribué à rédiger une Histoire des sciences au Québec, il est l’auteur, entre autres, d’une Histoire des sciences et d’une Sociologie des sciences, ouvrages parus dans la célèbre collection Que sais-je?. Ses analyses se caractérisent toujours par leur multidisciplinarité. En alliant science, histoire et sociologie (des domaines habituellement séparés), Yves Gingras a contribué à transformer la façon de voir les sciences en les abordant sous plusieurs angles à la fois.
« Comprendre le monde qui m’entoure et en rendre raison », voilà l’objectif qu’il place à la base de son travail. Cette distance critique, il l’a également développée grâce à la bibliométrie, la mesure quantitative du développement scientifique à partir de l’analyse des publications savantes. Pour contribuer à une politique scientifique fondée sur des données probantes, Yves Gingras participe à la création de l’Observatoire des sciences et des technologies (OST). Depuis vingt ans, il est directeur scientifique de cet organisme, le seul au Canada consacré à la mesure de la recherche. Fort de cette expérience, il rédige alors un ouvrage appelé à connaître un succès mondial. Les dérives de l’évaluation de la recherche est en effet rapidement traduit en plusieurs langues dont le portugais, l’anglais, le russe et le chinois.
Ses travaux lui ont valu de nombreuses invitations et reconnaissances nationales et internationales : prix Ivan Slade de la British Society for the History of Science en 2001, prix Gérard-Parizeau en histoire en 2005 et prix Jacques-Rousseau de l’Association francophone pour le savoir en 2007. En 2017, il a été nommé fellow de l’American Association for the Advancement of Science pour ses « contributions remarquables aux domaines de l’histoire et de la sociologie des sciences et de la bibliométrie ».
Selon Yves Gingras, alors qu’il existe des « critiques littéraires », il manque encore trop de « critiques des sciences ». C’est pourquoi il œuvre à mener une réflexion historique et sociologique rationnelle et analytique sur le développement des sciences et leurs effets sociaux. Son souhait : que les chercheurs en sciences sociales se perçoivent moins comme des moralistes et davantage « comme des éthologues qui étudient les divers aspects des sociétés humaines comme on étudie les fourmis ». Il ajoute que c’est ce regard distancié qui rend possible une juste compréhension des choses.