André Forcier, lauréate

Naissance le 19 juillet 1947 à Montréal, décès le à 

Entrevue

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Biographie

Pour André Forcier, le prix Albert-Tessier arrive juste au bon moment
dans sa vie personnelle et professionnelle. Il se réjouit de la reconnaissance
dont fait l’objet le cinéma d’auteur alors que la rentabilité culturelle
ne pèse plus lourd devant la dictature du box-office. Celui que la critique

Marie-Claude Loiselle qualifiait en 1994 de « plus grand cinéaste
québécois contemporain » lors de la sortie du Vent
du Wyoming
refuse de se taire. Au cours de l’été 2003, il a réalisé et
produit à compte d’auteur son neuvième long métrage,
Acapulco Gold, avec le feu sacré de ses 20 ans quand il tournait Le
Retour de l’Immaculée Conception
.

Dans sa maison de Longueuil, sur la rive sud de Montréal, Forcier,
chaleureux et volubile, raconte. Il parle de ses ancêtres, cultivateurs
et pêcheurs
d’eau douce à Saint-François-du-Lac ; de son grand-père
débardeur, installé dans l’Est de Montréal, qui
insistait pour que ses enfants soient instruits ; de son père qui étudiait
en sciences sociales avant de devenir policier sous Camilien Houde afin d’échapper à la
conscription, de sa mère, opératrice à la « Bell
téléphone », qui, à 83 ans, a une moyenne de 160
aux petites quilles. Père de trois enfants, Forcier déplore qu’on
ait évacué l’enseignement de l’histoire au primaire.
Un peuple qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il
va. Il souligne qu’ironiquement, seules les diasporas ont une mémoire
collective ; d’où sa passion pour la culture acadienne. Ainsi, Forcier
a réalisé en 2002 Gumb-Oh La ! La !, une série télévisuelle
de treize portraits de Louisianais francophones.

Petit à petit, Forcier révèle son univers si personnel,
celui qu’il magnifie et poétise en le projetant sur grand écran
; s’éveillent alors dans notre mémoire des personnages,
des situations, des images qu’on sait désormais sortis tout droit
d’une réalité parfois très dure mais que le cinéaste
transforme et transcende par sa sensibilité qui donne aux êtres
et aux événements une dimension mythique et universelle.

Né dans le quartier Villeray à Montréal, André Forcier
grandira sur la rive sud du fleuve, d’abord à Greenfield Park,
puis à Boucherville. Le jeune André ne rêve pas de cinéma.
Il veut être criminaliste, dévore Allô Police et fait l’école
buissonnière au palais de Justice pour aller voir plaider ses idoles,
les Daoust, Morneault, Hébert et Shoffey.

Forcier fera ses études à l’Externat classique de Longueuil
dirigé par les franciscains. Il se qualifie d’élève
moyen, sans problème, pas très sportif, bien loin des arts et
des artistes qu’il regarde avec réticence et un peu de méfiance.
Mais le destin va lui jouer un tour dont il a seul le secret. L’anecdote
est déterminante.

En Méthode, son professeur de français et de latin lui arrache
systématiquement quinze pour cent de ses points parce qu’il n’apprécie
pas sa calligraphie. Excédé, André Forcier confronte ce
professeur sans ménagement. L’affaire n’en reste pas là :
le directeur suspend Forcier du collège pour une semaine et lui enlève
le droit de choisir ses options pour la Versification. Il voulait faire du
grec mais on lui impose le module Arts plastiques qui comprend un cours de
cinéma obligatoire. Le jeune professeur de cinéma, Robert Gauthier,
enseigne à ses élèves l’utilisation de la caméra
et le montage avec de l’équipement 8 mm et leur fait voir les
classiques ainsi que le meilleur de notre cinéma national. Graduellement,
Forcier se passionne pour le septième art et quand son professeur lui
demande de faire la critique de Terre sans pain (1936) de Luis Buñuel,
il obtient une note parfaite. Du coup ses camarades le découvrent et
lui reconnaissent un incontestable talent pour l’écriture. On
lui propose de collaborer au journal étudiant, qu’il farcit de
poèmes et de nouvelles de son cru. C’est en écrivant sur
le cinéma qu’il découvre le plaisir d’écrire
et, en collaboration avec quelques-uns de ses camarades, il scénarise,
réalise et produit son premier film, La Mort vue par…, court métrage
en 8 mm, au commentaire ironique. L’œuvre, diffusée à la
télévision de Radio-Canada dans le cadre de l’émission
Images en tête, est primée. Gilles Carle, qui était membre
du jury, encourage le jeune homme à continuer.

Forcier a trouvé sa voie ; en 1966, il réalise et produit un
court métrage, Chroniques labradoriennes, puis commence la scénarisation
d’un long métrage en noir et blanc, Le Retour de l’Immaculée
Conception
.

Entre-temps, les relations entre André Forcier et son père
se corsent. Pour gagner sa vie et ramasser l’argent nécessaire à la
production, il fait un peu de suppléance à la Commission des écoles
catholiques de Montréal. Ses collègues, qui le voient sans
cesse courir, bobines de pellicule sous le bras, le pensent un peu fou. Il
dort à droite
et à gauche, squatte certaines nuits d’hiver le local non chauffé des
Cinéastes associés, une boîte de production aujourd’hui
disparue, et utilise toutes ses ressources pour se procurer des bouts de pellicule.
Pierre et André Lamy, ainsi que Gilles Carle, propriétaires de
la compagnie de production Onyx Films, lui fournissent gratuitement les services
techniques. À force de travail et de persévérance, Forcier
peut enfin savourer la sortie de son film sur les écrans. C’est
un succès. Dans le numéro de septembre 1973 de Cinéma/Québec,
Pierre Demers écrit : « […] il est véritablement
le seul porteur du nouveau, de la création, de l’imagination du
cinéma québécois ». Le reste fait partie de notre
histoire cinématographique.

En 1973, le Québec et le monde du cinéma international découvrent
Bar SalonNight Cap et, en 1976, une œuvre unique, inclassable,
devenue un véritable classique, L’Eau chaude l’eau frette,
qui sera projetée à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
En 1978, ce film reçoit le Grand Prix de la Presse à Chamrousse.
Le président du jury est Romain Gary. Faut-il s’étonner
qu’Émile Ajar écrive dans L’Angoisse du Roi Salomon : « Va voir Eau
chaude, Eau frette
à la Pagode, rue de Babylone, ça
se donne en ce moment, tu verras qu’il y a encore des possibilités. »

Tourner n’est pas tout : encore faut-il que ses films et ceux de ses
confrères cinéastes et vidéastes soient vus par le grand
public. En 1976, Forcier participe à la fondation de Cinéma libre,
société de distribution dédiée au cinéma
québécois indépendant.

En 1983, c’est la poésie farfelue et émouvante de Au
Clair de la lune
qui attire l’attention sur Forcier. Mais les cinéphiles
n’ont encore rien vu. André Forcier enchaîne les productions
; en 1987, c’est Kalamazoo, en 1990, Une histoire inventée, en
1994, Le Vent du Wyoming et, en 1997, La Comtesse de Baton Rouge, des titres
qui brillent comme autant d’étoiles dans l’histoire du cinéma
au Québec et au Canada. Le cinéaste offre des rôles en
or aux comédiens qui reçoivent également leur part de
reconnaissance. Les prix s’amoncellent. Parmi ceux-ci, le prix André-Guérin
offert par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
dont Forcier est le premier lauréat en 1990.

André Forcier réussit le tour de force d’étonner,
de choquer parfois, mais de toujours éblouir. Son cinéma est
drôle et émouvant, son style unique et envoûtant, son regard
rafraîchissant et surréaliste. En 1994, Éric Fourlanty écrit
dans Voir : « André Forcier est le seul, au Québec, à avoir
un univers qui se mesure aux plus grands, de Fellini à Blier. »

À
l’hiver 2003-2004, André Forcier entreprendra le tournage de son
dixième long métrage, Les États-Unis d’Albert. À 56
ans, il est toujours aussi passionné par son métier et demeure
envers et contre tous l’enfant terrible du cinéma québécois.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
18 novembre 2003

Membres du jury :
Noël Cormier (président)
Dorothée Berryman
Claude Hazanavicius
Catherine Martin

Crédit photo :
  • Marc-André Grenier
Texte :
  • Janette Biondi