« Je me suis orienté vers la recherche biomédicale parce
que c’est la plus merveilleuse aventure intellectuelle dans laquelle je pouvais
m’engager. Pour moi, s’attaquer à la solution d’une parcelle du mystère
de la vie est une quête fascinante. Car la complexité d’une seule
cellule vivante est, sans conteste, plus grande que celle de l’ensemble du cosmos
», déclare Claude Fortier. Celui à qui l’on doit l’essor
de l’endocrinologie au Québec exprime ainsi tout son émerveillement
à l’égard de la recherche. Sa curiosité scientifique trouve
son expression dans l’étude des interactions entre les émotions,
le fonctionnement du cerveau et les contrôles hormonaux. Ses travaux ouvriront
la voie à la découverte du secteur de pointe de la physiologie
moderne qu’est la neuroendocrinologie. Jacques Genest précise d’ailleurs
à son sujet que l’on peut « résumer toute la vie de Claude
Fortier en disant qu’il était littéralement un géant sur
le plan scientifique, médical et intellectuel et qu’il a donné
toute son énergie au progrès de la science ».
L’exploration de la physiologie moderne
Étudiant en médecine, Claude Fortier perçoit déjà
dans les années 40, l’importance du contrôle exercé par
le système nerveux sur les glandes endocrines, un domaine inexploré
à l’époque. L’orientation de recherche du professeur se précise
lors de son séjour au laboratoire d’Hans Selye, chercheur de l’Université
de Montréal devenu chef de file dans l’étude du stress. Ce stage
permet au docteur Fortier de lancer véritablement sa carrière.
Il élabore, avec ses collègues (dont le docteur Roger Guillemin,
prix Nobel de physiologie et de médecine en 1977), des principes biologiques
qui conduisent à la création de la neuroendocrinologie. En fait,
il est l’un des tout premiers chercheurs, à l’échelle mondiale,
à démontrer clairement l’influence des stimuli sensoriels (le
son, la lumière) et des stimuli émotionnels (la colère,
la peur, la frustration) sur la sécrétion d’ACTH, communément
appelée l’« hormone du stress ».
Claude Fortier cherche dès lors à mettre en évidence le
mécanisme sous-jacent à de telles réactions, ce qui l’amène
à travailler à l’Université de Londres, en collaboration
avec le professeur Geoffrey W. Harris, l’un des rares spécialistes de
la neuroendocrinologie. Les travaux des deux chercheurs, qui portent sur les
hormones du cerveau, sont aujourd’hui considérés comme des classiques
constituant la base d’une meilleure compréhension des systèmes
endocriniens.
La renommée sans cesse croissante du docteur Fortier attire l’attention
des milieux de la recherche. On l’invite ainsi à diriger le premier laboratoire
de neuroendocrinologie en Amérique à l’Université de Baylor,
au Texas, où il est également professeur. Il y retrouve son collègue,
Roger Guillemin, avec qui il élabore, entre autres, ce qui est reconnu
alors comme le meilleur essai biologique permettant de mesurer l’hormone du
stress.
La recherche en endocrinologie
Le docteur Fortier joue un rôle de première importance dans les
débuts de la neuroendocrinologie à l’échelle internationale
: « Claude Fortier a éveillé chez les jeunes chercheurs
la flamme de la recherche biomédicale dans plusieurs domaines, en plus
de celui de l’endocrinologie qui est devenu aujourd’hui un secteur d’excellence
de la recherche au Québec », reconnaît le docteur Maurice
Normand, du Département de physiologie de l’Université Laval.
C’est d’ailleurs l’un des objectifs du professeur, à son retour au Québec
en 1960, de combler les sérieuses lacunes de la recherche biomédicale.
Pour y arriver, il met sur pied le Laboratoire d’endocrinologie de la Faculté
de médecine de l’Université Laval. Il assume également
pendant vingt années la direction du Département de physiologie,
poste occupé depuis 1990 par le docteur Fernand Labrie, fondateur et
directeur actuel depuis 1982 du Centre de recherche du Centre hospitalier de
l’Université Laval (CHUL) et un des plus brillants élèves
de Claude Fortier.
Le laboratoire de Claude Fortier, en raison de sa renommée grandissante,
accueille rapidement des chercheurs de toutes origines. Cette période
est sans doute la plus fertile de la carrière du chercheur. Ses travaux,
tournés vers les grands problèmes de l’endocrinologie, fournissent
de nouvelles interprétations des relations entre les systèmes
nerveux central et endocrinien. Ces observations permettent d’élucider
plusieurs aspects importants des mécanismes régulateurs des fonctions
endocrines ainsi que des interactions entre ces glandes. En outre, il démontre
les influences hormonales sur le comportement et sur l’aptitude à l’apprentissage,
attirant ainsi l’attention sur le plan mondial.
Passionné de recherche fondamentale, Claude Fortier s’intéresse
avant tout à l’acquisition des connaissances. Les principes physiologiques
fondamentaux qu’il dégage par l’expérimentation trouvent néanmoins
plusieurs applications. Ainsi, certains aspects de ses travaux sur le rôle
des protéines liantes du plasma, notamment la transcortine, dans les
ajustements hormonaux, constituent des jalons non négligeables des récents
progrès accomplis dans le traitement hormonal du cancer de la prostate.
Le rôle de l’informatique dans le domaine
de la recherche biomédicale
L’esprit inventif caractérisant Claude Fortier se révèle
tout particulièrement au milieu des années 60, lorsqu’il introduit
l’informatique au sein de la recherche biomédicale, notamment en physiologie
moderne. Il l’utilise non seulement pour l’analyse des données expérimentales,
mais aussi pour l’élaboration de modèles mathématiques
de la dynamique de la sécrétion de diverses hormones et pour la
simulation de mécanismes de régulation endocrinienne. À
l’époque, cette approche fait preuve d’une grande originalité.
Scientifique engagé et profondément préoccupé par
la place de la recherche dans la société, le docteur Fortier,
parallèlement à ses travaux scientifiques, contribue aux politiques
et aux orientations de la recherche médicale au pays par l’entremise
des nombreuses responsabilités qu’il assume dans les plus grands organismes
scientifiques provinciaux et nationaux. Au cours de toutes ces années
d’activités scientifiques marquées au sceau du dynamisme et de
l’émerveillement, il transmet à ses successeurs le goût
de la recherche fondamentale. Même après son décès
survenu le 22 avril 1986, son influence se perpétue dans la reconnaissance
internationale du secteur d’excellence qu’est devenue l’endocrinologie québécoise.