Tout sans doute a été dit sur Robert Lepage. Homme de théâtre
dans la pleine acception du mot, Robert Lepage, comédien, auteur, metteur
en scène, réalisateur de cinéma, est un créateur
polyvalent dont les talents exceptionnels sont reconnus partout dans le monde.
A-t-il un don d’ubiquité? On le pense à Québec,
il est à Londres, on le croit à Paris, il arrive d’Australie,
sans cesse entre deux avions, entre deux productions, jouant, dirigeant, préparant
un nouveau spectacle, tournant un film ; il parle cinq langues, en comprend
sept et ne cesse d’étonner son entourage par son énergie
et sa créativité débordantes.
Robert Lepage est un véritable phénomène, certains diront
un génie. Pourtant rien ne semblait prédestiner à un fabuleux
destin ce petit garçon né à Québec en 1957. Le
père est chauffeur de taxi, la mère s’occupe de sa famille
; deux enfants adoptés précèdent Robert Lepage qui sera
suivi d’une sœur, Lynda, son inséparable, son ange gardien.
La maison héberge aussi les grands-parents et même un oncle ;
la famille est heureuse malgré les épreuves et si elle ne nage
pas dans l’argent, l’amour et le sens de la dérision sont
omniprésents. Une enfance qui aurait pu être sans histoire. Mais
Robert Lepage a sept ans quand l’alopécie fait de lui un
enfant chauve. Dès lors, il doit affronter les quolibets et la
cruauté enfantine.
Mais le petit garçon est inventif et sait s’amuser avec une simple
boîte de carton. Son adolescence sera marquée d’une désastreuse
expérience de drogue qui le mène aux antidépresseurs.
Heureusement, sa sœur Lynda veille. C’est elle qui pousse Lepage à jouer
dans une pièce de Félix Leclerc, Le Petit BonheurLa Nuit des rois, dans une mise en scène d’André Brassard
; l’éblouissement est au rendez-vous, Robert Lepage découvre
la mise en scène. Il rêvait d’être géographe,
il sera comédien et le monde sera son royaume.
En 1975, il s’inscrit au Conservatoire d’art dramatique de Québec. À sa
sortie du Conservatoire, Lepage part à Paris afin de faire un stage à l’école
de théâtre dirigée par Alain Knapp. De retour à Québec,
il participe à plusieurs créations comme comédien, metteur
en scène ou auteur.
En 1980, il se joint au Théâtre Repère et s’impose
rapidement comme un créateur exceptionnel. En 1984, il reçoit
le Prix de la meilleure production canadienne à la Quinzaine internationale
de théâtre de Québec pour le spectacle Circulations présenté « off
festival ». Ce prix, le premier d’une très longue série,
est totalement inattendu, offert dans le cadre d’un festival prestigieux,
ce qui remplit l’auteur de fierté et lui donne confiance.
C’est en 1985 que Robert Lepage présente l’inoubliable
spectacle La Trilogie des dragons qui lui vaut une reconnaissance nationale
et internationale
et une avalanche de prix : pour la meilleure mise en scène, il recevra
le Prix du Festival de la Ciudad à Mexico, le Dora Mavor Moore Award
décerné par la Toronto Theater Alliance ainsi que le Prix de
la Fondation du Trident ; La Trilogie des dragons méritera aussi le
Prix du meilleur spectacle de l’année offert par le Cercle des
critiques de la capitale à Ottawa et celui offert par l’Association
québécoise des critiques de théâtre ; on lui décernera également
le Grand Prix du Festival de théâtre des Amériques à Montréal.
La personnalité de créateur de Robert Lepage est déjà bien
affirmée, sa maîtrise des nouvelles technologies, sa passion pour
la forme et la dimension esthétique de son travail séduisent
et font de lui un précurseur qui ne cesse de surprendre les critiques
et le public. Sa démarche est poétique et il privilégie
la création collective et l’improvisation. Robert Lepage, par
tous les aspects de son travail et de sa recherche, contribue à la redéfinition
de la dramaturgie scénique, et ce, aussi bien à l’étranger
qu’au Québec.
En 1986, il crée Vinci, son premier spectacle solo ; l’année
suivante, c’est Le Polygraphe et, en 1988, Les Plaques tectoniques. Toujours
il fait preuve de la même inventivité.
En 1989, le jeune créateur accepte le poste de directeur artistique
du Théâtre français du Centre national des arts à Ottawa,
ce qui ne l’empêchera pas de poursuivre son exploration personnelle.
Cette expérience l’amène également à préciser
ses besoins de créateur. Il retourne vivre à Québec, où sont
ses racines, et retrouve ses complices, sa sœur Lynda Beaulieu et Michel Bernatchez. Robert Lepage affirme qu’il ne planifie pas sa carrière
et qu’il préfère laisser les portes ouvertes, mais il doit
s’appuyer sur une base très forte : « La clé de la
création c’est le chaos, il faut semer le chaos et avancer dans
le noir, ce qui demande une organisation très solide. » Cette
organisation est assurée par son entourage et Lepage a désormais
la liberté de consacrer tout son temps à la création.
En 1991, le public peut assister aux représentations d’un nouveau
spectacle solo de Robert Lepage, Les Aiguilles et l’Opium, dont il est
l’auteur, le metteur en scène et le comédien.
En 1992, Lepage, qui n’a pas peur des risques, s’attaque au théâtre
de Shakespeare ; il fait la mise en scène du Songe d’une nuit
d’été, devenant ainsi le premier Nord-Américain à diriger
une pièce de Shakespeare au Royal National Theatre de Londres. Il proposera
ensuite le Cycle Shakespeare, présenté avec succès au
Canada, en Europe et au Japon. Son incroyable énergie le pousse en outre à faire
les mises en scène des opéras Le Château de Barbe Bleue de Béla Bartok et Erwartung d’Arnold Schoenberg et, en 1993, il
signe la mise en scène de Secret World de Peter Gabriel.
Si Lepage vit à 200 kilomètres à l’heure et exige
le meilleur de lui-même, il en attend tout autant des comédiens
et des équipes qui collaborent avec lui, et quand il demande l’impossible,
il l’obtient toujours. C’est ce qui explique que le nom de Robert
Lepage soit sur toutes les lèvres et qu’il brille sur les affiches
partout dans le monde, que ce soit au Japon, en Suède, en Angleterre
ou en France. Robert Lepage avoue qu’il ne craint pas de se mettre en
danger devant le public, car cela lui permet d’aller plus loin et de
transformer le pire en meilleur.
Pour se donner des moyens à la hauteur de ses aspirations, et surtout
les moyens de la liberté, il a fondé en 1994 le groupe Ex Machina,
compagnie de création multidisciplinaire dont il est le directeur artistique.
Trois ans plus tard, en 1997, afin de favoriser la recherche et aussi les échanges
avec les compagnies étrangères, il fonde La Caserne Dalhousie,
un lieu magnifique où s’élaborent désormais tous
ses projets et ses explorations et qui est ouvert aux observateurs étrangers.
En 1995, Robert Lepage scénarise et réalise son premier long
métrage Le Confessionnal, présenté pour l’ouverture
de la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes ; une fois encore
la récolte de prix sera impressionnante. Cette même année,
il crée un nouveau spectacle solo, Elseneur, constitué d’extraits
d’œuvres de Shakespeare.
Décidé à poursuivre sa démarche cinématographique,
il crée sa compagnie de production, In Extremis Images ; tout en continuant
son travail au théâtre, il signe l’adaptation de sa pièce
Le Polygraphe, scénarise et réalise Nô ainsi que son premier
long métrage en anglais, Possible Worlds. Il présente La Damnation
de Faust une première fois au Japon en 1999, puis à l’Opéra
Bastille à Paris en 2001.
En 2000, son nouveau spectacle solo, La Face cachée de la lune, reçoit
tous les hommages, les applaudissements et les prix ; ce succès se prolonge
jusqu’en 2003 alors que le comédien Yves Jacques reprend le rôle
de l’auteur; cinq prix Gascon-Roux récompensent cette production
en septembre 2003. La pièce est aussi devenue un film, produit, réalisé et
joué par Robert Lepage qui une fois encore reçoit les éloges
des critiques. Outre les prix, Lepage est le récipiendaire d’un
nombre impressionnant de décorations et de doctorats honorifiques, tant
au Québec qu’au Canada et en France.
Robert Lepage se dit très flatté de recevoir le prix Denise-Pelletier
parce que le Québec est un creuset exceptionnel de développement
du théâtre et du spectacle, que la culture y est d’une importance
capitale et que les créateurs et les artisans y sont d’un très
haut niveau.