Evergon, lauréate

Naissance le 28 décembre 1946 à Niagara Falls (Ontario), décès le à 

Evergon, prix Paul-Émile-Borduas 2023

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Biographie

Photographe, autoportraitiste, activiste, professeur, il y a plus d’une façon de décrire Evergon, né Albert Jay Lunt à Niagara Falls, en Ontario. Cet artiste pluriel a une pratique unique, ce qui en fait sa grande richesse. De la liberté créatrice qu’il s’octroie et de la virtuosité technique dont il fait preuve émerge une œuvre exceptionnelle, au ton incisif et provocateur, qui contribue à faire évoluer les mœurs.

Il ne faut pas davantage à Evergon qu’un cours d’été en photographie au Rochestor Institute of Technology (RIT) de New York pour avoir la piqûre. Il se procure aussitôt un vieil appareil photo, puis s’inscrit au baccalauréat en arts visuels à l’Université Mount Allison de Sackville, au Nouveau-Brunswick. Dès l’année suivant sa diplomation en 1970, il trouve une galerie qui souhaite l’accueillir : les pièces de l’œuvre Crucifixion Series seront exposées au Confederation Centre de Charlottetown. Il termine ses études au RIT en parallèle et obtient, en 1974, une maîtrise en arts visuels, spécialité photographie. Ces 2 décennies et les suivantes sont consacrées à la recherche constante de nouvelles techniques photographiques et comptent de nombreux vernissages, amenant le photographe à voyager au Canada, aux États-Unis et en Europe pour qu’il y présente son travail unique. « Je suis fier d’avoir participé à plus de 1000 expositions en 53 ans dans le monde entier, ainsi qu’à des expositions et à des écrits sur mon travail », confie-t-il.

Il commence l’enseignement de la photographie au Département d’arts visuels de l’Université d’Ottawa une fois que ses propres sont études terminées et y transmettra son savoir pendant 20 ans. Parallèlement, son travail de professeur à l’Université Concordia pendant presque autant d’années inspire des générations d’artistes qui se démarquent, tout comme lui, par leur singularité. Ce faisant, il contribue à faire du Québec une plaque tournante de l’enseignement et de la diffusion des arts visuels au pays.

C’est en 1987 qu’Evergon emménage au Québec, où il passe plus de la moitié de sa carrière, laquelle s’avérera aussi prolifique qu’enivrante. Il vit d’ailleurs toujours à Montréal, là où il a trouvé toute l’ouverture dont sa pratique et lui avaient besoin pour s’exprimer.

En s’interrogeant sur les stéréotypes de genre et d’identité, en mettant en valeur des beautés atypiques, en montrant la sexualité des corps vieillissants, Evergon participe à fracasser le concept même des beaux-arts. À travers ses sujets de prédilection, certes, mais aussi par son choix de médiums, il déconstruit l’art photographique. De ses premiers collages à son travail avec Xerox en passant par le polaroïd surdimensionné, l’artiste transforme l’art de la photographie de mise en scène et en devient un chef de file. Trois de ses œuvres les plus marquantes sont Ramboys, Chez moi/domestic content et Margaret and I. Dans la 1re série, des personnages mi-hommes mi-béliers, issus de la communauté gaie, révèlent toute leur fantasmagorie. La 2e transpose son esthétique baroque reconnaissable entre toutes sur des objets exotiques personnels. Dans la 3e, c’est sa propre mère que le photographe choisit comme sujet. Il en découle des pièces bouleversantes de tendresse, dans lesquelles le fils se glisse parfois. Ses nombreux autoportraits aussi restent inoubliables. On l’y voit se travestir, exposer ses désirs, exhiber le souhait d’exister dans le regard de l’autre. « Je suis fier d’avoir survécu en tant qu’artiste, d’avoir été « éveilleur professionnel d’artistes en formation » (professeur) pendant 43 ans au niveau universitaire, de mon amitié dévouée avec ma mère, des compassions trouvées entre maris, amants et amis et du fait que j’ai peu d’ennemis! », ajoute-t-il.

Impossible de dissocier l’artiste de l’activiste. En plus de 50 ans de carrière, Evergon a participé à bien des combats sociaux. En effet, cet avant-gardiste a mis à l’honneur la culture gaie, encore très marginalisée à une certaine époque, et a mis en question la masculinité, un sujet sur toutes les lèvres aujourd’hui.

Parmi les accomplissements qui jalonnent sa carrière, il préside en 1993 le Mois de la photographie de Montréal. Il est aussi le sujet d’un documentaire, réalisé par Alan Burke et présenté à la télévision de la CBC, ainsi que dans le cadre du Festival international du film sur l’art de Montréal en 1994. En 1999, le film Photographies d’Herménégilde Chiasson, produit par l’Office national du film, met en valeur certains de ses polaroïds immenses et permet de pénétrer dans l’intimité de la création d’autres artistes dont Raymonde April et Angela Grauerholz. En 2022-2023, le Musée national des beaux-arts du Québec consacre à Evergon une rétrospective, témoignant de toute la pertinence de son travail. L’artiste décrit ainsi le fait de recevoir le prix Paul-Émile-Borduas : « C’est comme si j’arrivais enfin en haut de l’escalier, mais que je découvrais une autre série d’escaliers d’Escher qui mènent à un autre endroit. Après 77 ans de lutte pour la vie, les droits, les amours et l’art, je suis satisfait, mais je dois faire face à une renaissance productive. »

Et il n’a pas l’intention de s’arrêter de sitôt : « Je ne veux jamais achever mon travail. Je veux vivre comme un continuum. Ce travail ne s’achève jamais. Ce travail vivra au-delà de ma vie. C’est mon héritage à la communauté LGBTQIA+ et à l’humanité. »

Information complémentaire

Membres du jury :

  • Mona Hakim (présidente)
  • Ève De Garie Lamanque
  • Mathieu Gaudet
  • Diane Gougeon
  • Ute Wolff

 

Crédit photo :
  • Joanie Fortin