Francine Grimaldi

Francine Grimaldi a façonné le métier de chroniqueuse culturelle. En quatre décennies, elle a tout vu – ou presque! – de la scène culturelle québécoise. Précieux oiseau de nuit, elle raconte la vie artistique au public comme nul autre. D’ailleurs, les mots suffisent à peine pour décrire la passion et la reconnaissance qu’elle voue à son métier.

« Radio-Canada m’a toujours laissé faire ce que je voulais. Jamais de sujet imposé ni de refus. Tous les jours, je découvre. C’est la vie rêvée. En plus, j’ai travaillé avec des gens d’exception à la réalisation et à l’animation. C’est fabuleux! »

Jusqu’en 1970, Francine Grimaldi – fille du comédien, directeur de théâtre et producteur de tournées Jean Grimaldi – se destine à la scène. Enfant, elle multipliait déjà les apparitions au théâtre. Au début de sa carrière de recherchiste, elle continue à fouler les planches du théâtre des Variétés, le soir. « Je ne pensais jamais faire autre chose. Depuis que je suis au monde, je baigne dans le milieu du théâtre. Je suis une enfant de la balle. C’est le vaudou et Radio-Canada qui ont complètement changé ma vie. »

Alors qu’elle est en vacances en Haïti, Francine Grimaldi croise la recherchiste de l’émission Studio 11 animée par Lise Payette et lui parle des séances de vaudou auxquelles elle a assisté. À son retour, elle se retrouve donc à Radio-Canada pour parler de vaudou, de son père et des artistes avec qui elle a grandi : Rose Ouellette, Manda Parent, Juliette Pétrie, Olivier Guimond, père et fils, etc. Après ce passage remarqué, Claude Morin, réalisateur de l’émission Studio 11, lui propose de devenir recherchiste pour amener « ces vieux de la vieille » au micro de Lise Payette. Or, Francine Grimaldi ne se limite pas à ce mandat. Par sa nature audacieuse, elle va jusqu’à inviter un dompteur d’ours – avec son ours! – en studio. « Cette entrevue a été un moment de radio inoubliable. Lise Payette avait ce don de faire de la radio visuelle. »

En 1975, la recherchiste se voit confier la préparation d’un calendrier d’activités culturelles pour les émissions CBF Bonjour et Montréal express. C’est alors que l’équipe en place lui demande de lire le calendrier en ondes. Voilà qui marque le début d’un riche parcours de chroniqueuse, un parcours bonifié par des études en chant classique, en piano et en peinture.

« Plus tard, Raymond Charrette a assuré l’animation, et il m’appelait la “fille de club” parce que je fréquentais les clubs de jazz et les boîtes à chansons. C’est effrayant!, lance-t-elle en riant. Puis, le réalisateur Jacques Lalonde m’a surnommée “La vadrouilleuse”. Il faut dire que j’avais des yeux et des oreilles partout. »

D’un simple calendrier d’activités, la formule se raffine et le style de Francine Grimaldi s’impose. Habituée à travailler sept jours par semaine dès son jeune âge, elle ne compte pas ses heures. Amoureuse de culture, elle est de tous les événements pour proposer au public le meilleur de l’offre culturelle. En parallèle, elle écrit entre autres pour le journal La Presse durant une vingtaine d’années. Elle joue aussi dans des films comme Après-ski (1971), La vraie nature de Bernadette (1972) et L’eau chaude, l’eau frette (1976).

L’année 1977 voit naître un duo indissociable avec l’arrivée de Joël Le Bigot à la barre de CBF Bonjour. Les chroniques de Francine Grimaldi se livrent dès lors sur un fond de taquineries de l’animateur. En 2018, cette dynamique complice perdure. « Je demande souvent à Joël Le Bigot : “T’as pas envie de me changer pour une neuve?”, et il me répond toujours : “Il n’en est pas question” ».

Avec sa voix reconnaissable entre mille, le cliquetis de ses bijoux, ses boubous et ses turbans aussi colorés que sa personnalité, Francine Grimaldi dégage un charisme transcendant les ondes radiophoniques. D’ailleurs, partout, les témoignages attestent sa cote d’amour auprès du public.

Fort estimée du milieu culturel, Francine Grimaldi est espérée et attendue à toutes les premières. Elle a d’ailleurs assisté aux balbutiements de nombreux artistes et de plusieurs institutions culturelles majeures telles le Cirque du Soleil et le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue. Sa curiosité insatiable l’a aussi poussée dans des endroits peu fréquentés par les journalistes et a ainsi permis au public de profiter de ses découvertes. « Maintenant, je cours moins les bars comme les Foufounes électriques, mais j’y suis allée souvent pour découvrir des groupes. »

C’est ainsi qu’en cherchant la nouveauté, qu’en frayant dans l’endroit et l’envers de la vie artistique et qu’en illuminant l’univers radiophonique, Francine Grimaldi est entrée dans la légende.

Francine de Montigny

Enfant, Francine de Montigny hésitait entre une carrière d’infirmière et une d’enseignante. À l’âge de dix ans, son choix est fixé : elle deviendra infirmière. À cette époque, elle était loin de se douter qu’elle deviendrait un jour pionnière du développement psychosocial des familles, en plus de participer à l’amélioration des pratiques professionnelles en santé dans le domaine de la périnatalité.

C’est grâce à une approche avant-gardiste, à une vision humaine basée sur le partage des connaissances et à une pratique collaborative que Francine de Montigny a réussi à mettre de l’avant toute l’importance du rôle du père au sein de la famille et dans le mieux-être des couples accueillant un enfant ou vivant un deuil périnatal.

Diplômée en technique de soins infirmiers au printemps 1978, Francine de Montigny s’envole pour la Suisse et les Pays-Bas, où elle vivra sa première expérience de soutien en deuil périnatal. Cette expérience la motive à pousser ses études plus loin; elle entreprend, quatre ans plus tard, un baccalauréat en sciences infirmières à l’Université du Québec à Hull et poursuit à la maîtrise à l’Université de Montréal. Elle se tourne ensuite vers l’Université du Québec à Trois-Rivières pour amorcer un doctorat en psychologie. Elle y fait également un postdoctorat en psychologie développementale au sein du Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et la famille.

Tout au long de sa carrière, Mme de Montigny récolte les mentions d’honneur pour l’excellence de ses travaux. Encore à ce jour, la nature de ses recherches et de ses projets lui a permis de recevoir de nombreux prix ainsi qu’une subvention de recherche de près de 14 millions de dollars en provenance du Québec, du Canada et d’organismes internationaux. Elle est ainsi boursière principale du Fonds de recherche du Québec, récipiendaire de l’Insigne du mérite de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec en 2014 et officière de l’Ordre national du Québec en 2017.

Francine de Montigny est la première infirmière québécoise à devenir titulaire d’une chaire de recherche au Canada, un important témoignage de son engagement, de son expertise et de son parcours impressionnant. La Chaire de recherche du Canada sur la santé psychosociale des familles assure la poursuite de ses travaux et de ceux de ses équipes de recherche au Québec, en France, en Suisse et au Brésil.

La chercheure est reconnue internationalement pour son apport auprès de ses pairs de la communauté scientifique. En alliant l’enseignement, le travail clinique et la recherche, elle a réussi à implanter une méthode de transfert des connaissances unique qui a influencé positivement les gestionnaires et les décideurs, les cliniciens et les étudiants, puis le public et les participants aux études. Tenant à partager ses découvertes ainsi que le travail de son équipe, elle s’assure de vulgariser ses découvertes afin de toucher une large population.

Son engagement à contribuer au mieux-être des familles et des collectivités, de même qu’à celui des professionnels de la santé, et ses efforts pour influencer les décideurs dans la promotion et l’amélioration des programmes de santé confirment sa grande capacité de mobilisation dans toutes les sphères de la société.

Au quotidien, cela se traduit par la mise sur pied de nombreux projets qui ont permis d’outiller les familles ainsi que leurs différents intervenants. L’initiative Amis des pères au sein des familles, des formations telles Fausse couche à l’urgence ou Accompagner les hommes en deuil d’un enfant à naître et la revue IMPACT en sont des exemples. Par ailleurs, elle a publié 6 livres, signé 35 chapitres de livres et 106 articles et créé près de 80 outils pédagogiques. À l’international, elle est sollicitée pour donner des conférences sur le deuil périnatal, l’intervention auprès des pères et ses projets de recherche, heureuse de constater la place grandissante qu’occupe le soutien des familles et des pères dans le milieu de la santé.

La formation de la relève est également une priorité pour la professeure. Elle a à cœur de soutenir les étudiants de 2e et 3e cycle, les stagiaires postdoctoraux et les nouveaux professeurs. Elle a cocréé un programme court de 2e cycle en périnatalité et codéveloppé un programme doctoral en sciences de la famille qui s’implantera en 2019. Depuis 2010, elle dirige le Centre d’études et de recherches en intervention familiale, avec lequel elle a développé, implanté et évalué des programmes novateurs de prévention et de promotion de la santé psychosociale des familles.

À l’époque où la famille se redéfinit et où le rôle des parents évolue, les apports de Francine de Montigny et de ses équipes sont primordiaux. En mettant l’humain au premier plan, la chercheure aura permis un avancement spectaculaire dans la compréhension et l’inclusion du rôle du père au sein de la famille, en plus d’améliorer considérablement l’approche des infirmières et d’autres professionnels de la santé envers leur clientèle, en toute situation.

André Gladu

Après des études en design graphique à l’École des beaux-arts de Montréal, en design au London College of Printing et en cinéma à la Columbia University, André Gladu aborde la réalisation de films documentaires en 1971. Inspiré par les arts et par ce qu’ils révèlent de la société, le cinéaste entreprend plusieurs projets de films et crée un patrimoine unique sur les cultures francophones d’Amérique. Ses sujets de prédilection : les traditions musicales populaires, la peinture, la prise de parole et la poésie. Son principal outil de travail : l’intuition.

« J’ai entrepris mon travail porté par la conviction qu’un peuple développe toujours au fil du temps une culture qui lui ressemble et qui lui permet de préserver ce dont il a besoin pour rester vivant. »

Parmi les 48 documentaires d’auteur qu’il a réalisés en 45 ans, mentionnons quelques films marquants : Matawinie – la rencontre des eaux (2016); Marron (2006); Gilles Vigneault – Portager le rêve (1997) coréalisé avec Jean-Claude Labrecque; La conquête du grand écran (1996); Gaston Miron – Les outils du poète (1994); Liberty Street Blues (1988); Pellan (1985) et Marc-Aurèle Fortin 1888-1970 (1983). Ses films, denses et à grande portée, lui ont valu nombre de prix et de présences dans des festivals.

Le Son des Français d’Amérique, une série de documentaires coréalisés avec Michel Brault de 1974 à 1980, figure dans une catégorie à part. Dans cette série comprenant à elle seule 27 films, le cinéaste explore l’univers des musiciens traditionnels francophones qui essaiment sur le vaste territoire de l’Amérique du Nord. Si André Gladu capte partout les accords, les chants et les témoignages de musiciens, il réussit surtout à dévoiler des personnes de cœur et à nous faire entendre une parole qui a traversé le temps.

« J’ai compris, entre autres, que la musique des violoneux avait joué pour nous le même rôle que le blues et le jazz pour les Afro-Américains. Avec ses contredanses, ses gigues et son tapement de pieds, le violoneux forçait les participants à oublier, le temps d’une danse, leur difficulté de vivre. Il répondait à un besoin de cohésion sociale à une époque où les populations francophones sur le continent étaient maintenues dans un état de pauvreté et de sous-développement chronique. »

Avec Le Son des Français d’Amérique, André Gladu marque un repère dans l’histoire du cinéma québécois, puisque cette œuvre a été inscrite, en 2017, au Registre international Mémoire du monde de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). La reconnaissance de la valeur universelle de cette série confirme, l’humanité et le souci de transmission avec lesquels il exprime son rapport au réel. Sa filmographie témoigne d’ailleurs de son talent à saisir l’instant, l’imprévu, l’invisible et, ce faisant, la sincérité de l’âme humaine. Il faut dire qu’il a suivi la voie des grands du cinéma direct, dont Michel Brault, Pierre Perrault, Bernard Gosselin et Jean Rouch.

« Le cinéma est un travail d’équipe et cela demande de collaborer avec des gens à la fois solides professionnellement et matures personnellement. J’ai beaucoup appris au contact des autres. On n’y arrive pas tout seul. »

Certes, André Gladu sait tracer le chemin pour raconter. Dans ses films, la caméra se mêle aux protagonistes pour mieux suivre l’action, tandis que le micro enregistre les confidences et crée la proximité avec le sujet. Tout devient propice à la spontanéité et à l’authenticité pour mieux révéler la nature profonde des personnages. La clé, selon lui, c’est le lien de confiance qui permet aux participants de s’exprimer sans détour. Au moment de la projection, cette captation sans filtre, fait oublier l’écran et donne l’impression au spectateur d’être un témoin privilégié de l’histoire.

« Il y a une forme d’intelligence dans le cinéma documentaire, vécu sur le terrain, qu’on ne peut pas acquérir dans les livres ou à l’école. Mes sujets de films m’ont éduqué et je ne serais pas le même si je n’avais pas rencontré Pellan, des violoneux, Gaston Miron, des musiciens de jazz de La Nouvelle-Orléans et tous ces porteurs de tradition en Acadie, en Bretagne ou en France. Une bonne partie de mon inspiration et de mon éducation m’ont été données par ces gens, qui m’ont fait confiance et m’ont donné le meilleur d’eux-mêmes. »

Par ses œuvres socialement engagées, André Gladu a réalisé une cartographie des pratiques culturelles méconnues et, ainsi, mis en lumière des collectivités dans l’ombre. Tout au long de son parcours, il a cherché à mettre son art au service des artistes et des peuples francophones luttant pour leurs droits et la survie de leur culture afin que leur contribution à l’Amérique soit reconnue.

Jean Caron

La vocation scientifique de Jean Caron s’est dessinée dès l’enfance. Inspiré par son entourage, il a hérité du sens de l’observation de son père arpenteur-géomètre, de l’esprit inventif de sa mère artiste et des capacités entrepreneuriales de son grand-père paternel, des qualités essentielles au travail de chercheur.

« On se construit à partir de différents modèles », fait remarquer le professeur titulaire en physique et hydrodynamique des sols à l’Université Laval. Et au fil des ans, il a mené une carrière impressionnante.

Depuis son arrivée en poste à l’Université Laval, en 1992, Jean Caron a dirigé des projets de recherche d’envergure. En étudiant l’aération des sols, il a remarqué à quel point les plantes réagissaient au stress hydrique. Par la suite, ses recherches se sont concentrées sur la régie de l’irrigation en pépinière, puis en champ. Ainsi, les travaux de son équipe ont permis d’obtenir des rendements jusqu’à 40 % supérieurs lors de la récolte de la laitue romaine en sol organique, en période de canicule.

De 2010 à 2016, M. Caron a dirigé la Chaire en irrigation de précision de la fraise et de la canneberge à l’Université Laval. Grâce à ces travaux, la production de canneberges a connu une croissance phénoménale au cours des dernières années au Québec. En appliquant des techniques avant-gardistes en matière de régie de l’eau, son équipe, ses partenaires et lui ont contribué de façon importante à l’augmentation de la rentabilité à l’hectare dans ces cultures.

Pour la fraise, les résultats ont démontré des hausses de rendement de 10 à 25 % avec une réduction de l’apport en eau de 10 %. L’industrie de la tourbe et des technologies connexes profite aussi de plusieurs des enseignements de Jean Caron.

Ces années-ci, le chercheur se préoccupe de la qualité des sols organiques avec des maraîchers du sud-ouest de Montréal. En collaboration avec eux, il met en place une chaire en conservation et en restauration des sols organiques, fort d’un budget de plus de 10 millions de dollars, afin d’assurer la pérennité de ces surfaces responsables de 50 % de la production maraîchère au Québec.

Il fait d’ailleurs remarquer que, partout sur la planète, les sols sont fatigués. « Avec la population mondiale qui augmente, on va devoir produire plus avec nos sols, alors que leur qualité chute », souligne-t-il en ajoutant que nous sommes les artisans du changement.

Là réside d’ailleurs sa plus grande fierté : avoir contribué à améliorer les pratiques en agriculture. « Je suis fier que des recherches fondamentales aient pu être appliquées sur le terrain. »

M. Caron a notamment cofondé, en 2002, une entreprise florissante, Hortau, dont le nom est un amalgame d’horticulture et de technologie. Hortau conçoit des systèmes pour mesurer l’humidité du sol en temps réel. Jean Caron a participé à neuf des dix brevets d’invention de l’entreprise. Située à Lévis, Hortau emploie aujourd’hui 90 personnes. Elle a remporté six prix d’innovation technologique et a figuré à plusieurs palmarès, dont le Global Cleantech des 100 entreprises à surveiller en haute technologie environnementale en 2017.

Des prix, Jean Caron en compte plusieurs à son actif. Il a reçu 34 récompenses individuelles ou d’équipe, dont le prix Joseph-Armand-Bombardier de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS, 2007), le Science for Society Award (2009), le titre de fellow de la Société canadienne de la science du sol (2011), le prix Auguste-Scott de l’Association québécoise des spécialistes en sciences du sol (2015) et la Médaille de distinction agronomique de l’Ordre des agronomes du Québec (2016). « La clé, c’est de savoir s’entourer », dit-il.

Ainsi, Jean Caron travaille avec des collaborateurs de longue date et compte une vingtaine de personnes dans son laboratoire. Il a publié plus de 141 articles scientifiques sur les sols minéraux et organiques, dont 13 chapitres de livre. Il a aussi 15 brevets d’invention actifs.

Parmi ces inventions figure l’Aquamat, un matelas capillaire qui permet de réduire de 40 à 70 % la quantité d’eau et de fertilisants utilisés en pépinière. Cette découverte est issue de travaux menés dans les années 1990 avec des étudiants diplômés et son mentor, le professeur David Elrick de l’Université Guelph, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de la Floride. Commercialisée par l’entreprise Soleno de Saint-Jean-sur-Richelieu, la technologie Aquamat a reçu le prix du ministre de l’Agriculture pour le produit innovateur de l’année en horticulture en 2005.

Avec toutes ses réalisations, Jean Caron est sollicité à travers le monde pour partager ses connaissances. Au cours de sa carrière, il a donné plus de 362 conférences, dont plusieurs comme conférencier principal.

Le prix Lionel-Boulet vient couronner sa fructueuse carrière, à laquelle il entend consacrer encore quelques années avant de prendre sa retraite. D’ici là, le leadership et la vision du professeur Caron et de son équipe continueront de marquer l’évolution de l’industrie agricole.

Lise Gauvin

Professeure émérite du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, essayiste, critique littéraire, nouvelliste et plus encore, Lise Gauvin, après avoir obtenu un doctorat en littérature de la Sorbonne, a mené une brillante carrière dans l’enseignement. Or, il faut surtout retenir l’esprit dans lequel elle poursuit son cheminement : une curiosité insatiable à l’égard de la langue française et de la situation de l’écrivain francophone.

« J’aime apprendre et j’ai une curiosité naturelle pour une foule de sujets. J’ai encore beaucoup de projets en chantier. Je viens de déposer un manuscrit sur le roman francophone. Je termine aussi un baccalauréat en musique à l’Université de Montréal. J’en suis assez fière. »

Tout au long de sa carrière, Lise Gauvin a cherché à comprendre l’évolution parallèle de la langue française et de la littérature en plaçant côte à côte les auteurs de différents espaces francophones. L’interrelation de la langue et de l’écriture, elle l’a examinée dans tous ses rhizomes. Ainsi, elle a fait œuvre de pionnière en proposant un portrait d’ensemble de la situation de l’écrivain de langue française et en s’intéressant à la portée de l’acte d’écrire dans différents contextes.

À en juger par leur nombre impressionnant, les réalisations de Lise Gauvin semblent relever de l’exploit. Son œuvre se démarque tant par son étendue que par son unicité. En effet, tout en maintenant son point de vue comparatiste, elle est parvenue, en les scrutant avec constance et acuité, à jeter un éclairage nouveau sur les rapports de la langue française avec la littérature et la société québécoise.

Son propos emprunte plusieurs formes – essais, nouvelles, critiques, anthologie, etc. – et trouve un écho favorable dans la francophonie. Ses publications lui valent les éloges de la critique et une large diffusion internationale. Pour leur pertinence et le caractère inédit de leurs lignes de force, ses travaux et ses concepts – dont celui de « surconscience linguistique » – font autorité.

« Je suis heureuse que mes concepts aient pu être utiles et utilisés dans toutes les littératures francophones. Cela signifie qu’ils correspondent à des réalités très diverses, mais liées par des dénominateurs communs. »

L’écrivain francophone à la croisée des langues (1997 et 2006), Langagement : l’écrivain et la langue au Québec (2000), La fabrique de la langue : de François Rabelais à Réjean Ducharme (2004 et 2010), Écrire, pour qui? : l’écrivain francophone et ses publics (2007) et D’un monde l’autre : tracées des littératures francophones (2013); voilà quelques-uns des ouvrages majeurs qui jalonnent son parcours. De toutes ses publications, l’écrivaine dit cependant avoir un faible pour ses nouvelles, ses fictions et ses récits plus personnels. « J’aime bien théoriser sur la langue, mais j’aime aussi la manier de façon plus libre. Mon travail d’écrivaine, j’y tiens. »

Une autre valeur attribuée à ses activités réside dans l’accompagnement de ses étudiants. D’ailleurs, la qualité de son enseignement se traduit par la direction d’une quarantaine de mémoires et de thèses. Car Lise Gauvin demeure attachée à la formation d’une relève compétente et active. « Je trouve stimulant de travailler avec de plus jeunes passionnés. »

Chemin faisant, la renommée de Lise Gauvin s’est étendue par ses invitations comme conférencière dans de nombreux pays, sa participation à des jurys prestigieux, ses collaborations avec les médias, entre autres la direction de la revue Études françaises, de 1994 à 2000, et sa chronique « Lettres francophones » au journal Le Devoir. À cela s’ajoutent ses ouvrages traduits et de multiples distinctions.

Bref, partout, on sollicite sa parole et son érudition. Lise Gauvin se voit ainsi reconnue par plusieurs organismes : membre de la Société royale du Canada et de l’Académie des lettres du Québec, officière de l’Ordre du Québec, membre de l’Ordre des francophones d’Amérique et chevalière de l’Ordre des Palmes académiques (France).

En septembre 2018, Lise Gauvin participe à la formation du Parlement des écrivaines francophones avec des auteures des cinq continents. « Je souhaite que ce parlement rende plus visible le point de vue des femmes sur l’éducation et la société. J’espère aussi que cette dynamique renforcera le rayonnement des œuvres de femmes qui sont trop souvent reléguées au second plan. Un regroupement de femmes de tous horizons peut aussi favoriser l’égalité et donner davantage de poids au moment d’intervenir. »

Ainsi, par cette nouvelle avenue, Lise Gauvin poursuit sa formidable incursion dans la langue française pour nourrir une curiosité intellectuelle qui jamais ne fléchit.

Anne Bruneau

Il est rare d’avoir une plante nommée en son honneur, alors imaginez en avoir deux! C’est un fait dont pourrait se vanter Anne Bruneau. Le travail de la professeure titulaire au Département des sciences biologiques de l’Université de Montréal a inspiré deux de ses collègues à donner le nom d’Annea afzelii et d’Annea laxiflora à deux légumineuses arbustives.

Un hommage pleinement mérité lorsque l’on constate l’impressionnante contribution de la biologiste à son domaine de recherche. Première femme à occuper le poste de directrice de l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV), elle est notamment reconnue pour avoir travaillé à une nouvelle classification des légumineuses. Animée par sa passion et sa soif de découverte, Anne Bruneau suit les traces du frère Marie-Victorin, qui a fondé l’Institut botanique, l’ancêtre de l’IRBV, et travaille à enrichir les connaissances sur la biodiversité.

Durant ses études doctorales, à l’Université Cornell dans l’État de New York, la chercheuse s’est intéressée à la systématique végétale. Alors fascinée par l’immense variété des légumineuses, elle s’est rendu compte que leur classification n’était pas exacte. En 1994, elle a entrepris de reconstituer leur évolution en faisant leur analyse phylogénétique : un défi de taille qu’elle a relevé avec rigueur et plaisir.

Plusieurs années plus tard, en 2015, elle a profité d’un congé sabbatique au jardin botanique d’Édimbourg en Écosse pour travailler à un reclassement des légumineuses. Elle souhaitait alors mettre en place une classification plus logique et plus facile à enseigner et à retenir.

En collaboration avec 97 collègues d’un peu partout sur la planète, elle a amassé les données de différents laboratoires pour proposer une nouvelle classification comportant six sous-familles, plutôt que trois. Elle a ainsi contribué à renouveler une classification vieille de 300 ans.

Cette façon de travailler en collégialité illustre bien la personnalité d’Anne Bruneau. En effet, malgré la persistance d’un esprit compétitif dans le domaine de la recherche universitaire, elle tente de pratiquer la collaboration depuis qu’elle est jeune étudiante. La scientifique prône le partage des connaissances. « C’est comme ça que la science peut et doit avancer, dit-elle. On peut progresser tellement plus vite ensemble. Les recherches sont plus riches en connaissances si l’on peut partager et croiser nos données. »

Ce souci de partage, Anne Bruneau le nourrit aussi avec le public. Dès le début de sa carrière, elle a rêvé d’un complexe ultramoderne qui serait érigé sur le site du jardin botanique de Montréal. Un lieu ouvert au public et consacré à la recherche sur la biodiversité, à la conservation des collections d’histoire naturelle et au partage de données.

Le Centre sur la biodiversité de l’Université de Montréal a été inauguré en mars 2011. Les efforts d’Anne Bruneau pour réaliser son rêve lui ont permis de décrocher un financement de près de 25 millions de dollars, notamment auprès de la Fondation canadienne pour l’innovation.

Le centre réunit d’importantes collections de plantes, d’insectes et de champignons, des laboratoires à la fine pointe de la technologie, un réseau informatique sur la biodiversité, des salles d’enseignement pour les étudiants et une salle d’exposition pour le grand public.

Sa créatrice en assume la direction scientifique, tout en dirigeant l’IRBV, qui regroupe aujourd’hui 21 chercheurs, soit le plus grand nombre de son histoire, et plus de 200 stagiaires, professionnels de recherche et étudiants aux cycles supérieurs.

Elle demeure elle-même très active en recherche, ayant publié plus de 80 articles dans des revues avec comité de lecture et donné 26 conférences à des congrès nationaux et internationaux. Cette pionnière a aussi mis sur pied le Consortium des universités canadiennes sur la biodiversité ainsi que le projet Canadensys. Ce réseau national de bases de données sur la biodiversité regroupe plus de 50 collections et inventaires et consigne près de 4,2 millions de spécimens de tous les continents.

Anne Bruneau entend continuer à se consacrer à ce projet au cours des prochaines années. « C’est important de mettre en valeur les collections et les spécimens pour les rendre utiles et disponibles », dit-elle.

Le travail de la chercheuse a été récompensé par différents prix au fil de sa carrière. En 2012, l’Association des biologistes du Québec lui a décerné le prix Pierre-Dansereau pour sa contribution exceptionnelle à une meilleure connaissance et à la conservation de la diversité biologique. En 2016, elle obtenait le prix Michel-Jurdant de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) pour ses travaux et ses actions dans le domaine des sciences de l’environnement.

En plus de contribuer activement à l’évolution de sa discipline, Anne Bruneau porte une attention particulière à la transmission des savoirs traditionnels. Elle se fait un devoir de renforcer cette base, essentielle à la compréhension de la biodiversité. « J’aimerais que la taxonomie soit maintenue et que les cours d’histoire naturelle demeurent importants à l’université », affirme la lauréate du prix Armand-Frappier.

Diane Dufresne

« Faut qu’y en aye une qui l’fasse. Pis j’donnerai pas ma place! », a chanté Diane Dufresne.

Heureusement, elle a pris sa place tout entière dans notre univers culturel, devenant ainsi une icône de la chanson québécoise.

Première rockeuse francophone. Femme libre et rebelle. Intègre et créative jusqu’au bout des ongles. Superstar, malgré elle; réelle force de la nature, partout sur son passage, Diane Dufresne a soulevé les passions.

Des cabarets du Paris Rive Gauche jusqu’aux « clubs tough » du Québec, Diane Dufresne a d’abord cherché son chemin. « J’ai connu un certain succès à Paris. Je pensais que c’était parti pour un tour, mais, ici, ma carrière n’a pas fonctionné au début. Avec mon côté rebelle, je suis devenue la fille de club. Je montais sur les tables tellement je voulais que les gens se taisent. C’est là que Clémence Desrochers est venue me voir pour faire Les girls. J’adorais Clémence, elle a vu autre chose en moi. »

La revue Les girls marque un grand virage dans le parcours de Diane Dufresne. C’est à cette époque qu’elle rencontre le compositeur et musicien François Cousineau, qu’elle présente au parolier Luc Plamondon. La chimie opère et le trio de création prend vie, multipliant les succès et les audaces.

Ainsi, en 1972, son premier album surgit comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. « Dans Tiens-toé ben, j’arrive!, je parlais le joual et je hurlais. Je me suis dit : “Je me lance et ça peut finir là.” »

N’empêche, l’artiste se révèle. Diane Dufresne est une voix, un phénomène de scène! On la nomme diva, mais elle est d’abord modeste et convaincue que tout reste à faire. On la qualifie d’exubérante, mais elle est avant tout réservée et, surtout, dévouée à son public. On la pense provocatrice, mais elle cherche à dépasser ses propres limites. Car chanter ne suffit pas pour elle. La voix se met au service des émotions et de la théâtralité pour le public.

« C’est un privilège d’aller sur scène et à la rencontre du public. J’écris toujours les spectacles en fonction de ce que ressent et voit le public, du point de vue de la salle. Non pas de celui de la scène et de ce que je projette. J’inverse le regard. C’est peut-être ce qui a créé les rendez-vous. Je n’ai jamais voulu que le public soit passif. »

De Mon premier show à Magie Rose, de l’Olympia de Paris à la Place des Arts, elle enfile les projets en se métamorphosant pour mieux surprendre son public et – sans le vouloir! – déstabiliser la critique. « J’étais dans un esprit créatif, envers et contre tous. »

À vol d’oiseau, les quelque 56 000 personnes vêtues de rose venues aduler leur idole au stade olympique lors de Magie Rose donnent la pleine mesure de l’effet Dufresne. « J’ai dû me préparer à vivre ces émotions. Pendant des mois, j’ai marché dans les rues la nuit, avec un chronomètre, pour apprendre à être centrée en traversant le stade. Mais quand tu arrives et que tu vois le stade tout rose, tu te dis : “C’est eux qui mènent.” Et c’est ce qui est extraordinaire, c’est vraiment eux qui mènent! »

Diane Dufresne chante une époque, celle du Québec moderne. Elle assume son rock décomplexé et incarne la femme émancipée. Son grand talent artistique s’épanouit aussi dans l’écriture de chansons et dans la peinture. Ainsi, elle est devenue fondamentale et incontournable dans le Québec culturel.

« Les réalisations qui me chavirent le plus viennent du public. On me critiquait pour mes costumes, que l’on disait insensés et extravagants, mais le public était habillé de manière plus excentrique que moi! C’était la réponse. Le public a toujours été là. Tu donnes et tu reçois. »

Du concert intime jusqu’au spectacle le plus grandiose, Diane Dufresne vit sur scène comme sur la corde raide. Sans compromis. Le cœur ouvert. Les bras tendus. Portée par son public, qu’elle sait transporter en retour.

La beauté de son parcours réside dans le fait qu’elle n’a rien perdu de la fille de Tiens-toé ben, j’arrive! Anticonformiste, audacieuse et « surtout pas assagie ».

Christina Cameron

Tout en vouant sa carrière au passé, Christina Cameron garde les pieds bien ancrés dans le présent et la tête tournée vers l’avenir. Comme le dit l’adage amérindien qu’elle affectionne particulièrement : « On ne reçoit pas le monde en héritage de nos parents. On l’emprunte aux générations futures. »

Aujourd’hui, le Québec, le Canada et bien d’autres nations considèrent Christina Cameron comme une grande défricheuse dans l’histoire de la conservation du patrimoine culturel. Pour elle, le patrimoine n’est pas un concept figé dans le temps et il faut aborder sa conservation, sa mise en valeur, son appropriation et sa gestion dans un esprit d’ouverture.

« À la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti, nous ne sommes pas simplement des chercheurs en vase clos. Nous participons à plusieurs projets de société. » Ainsi, l’analyse fine de l’experte et son approche du caractère évolutif de la valeur universelle du patrimoine aiguillent les professionnels du monde entier.

C’est durant les premières années de sa carrière à Québec, pour Parcs Canada, que l’intérêt de Christina Cameron pour le patrimoine se cristallise. Elle œuvre à titre de chercheure et de directrice générale des « Lieux historiques nationaux » de 1970 à 2005. « Mon passage à Québec a beaucoup influencé le reste de ma carrière. J’y ai dirigé des recherches sur le patrimoine bâti de la capitale. Le Vieux-Québec a été une révélation et une grande source d’inspiration. »

Au fil du temps, ses minutieux travaux de recherche sur le patrimoine paysager et la conservation du patrimoine culturel matériel et immatériel attirent l’attention. Puis, son tempérament de précurseure et ses réalisations la propulsent vers l’international alors qu’elle prend la direction de la délégation canadienne au Comité du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), de 1990 à 2008. Une tâche qui demande jugement et discernement au moment d’inscrire une ville dans le club sélect des sites à valeur universelle, de protéger une espèce animale menacée d’extinction ou encore de préserver un écosystème fragilisé par la pression touristique.

« Le comité ne souhaite pas mettre les villes sous cloche ni en faire des musées à ciel ouvert. Le patrimoine ne doit pas prendre tout l’espace, il doit laisser la place au bien-être des populations. […] Le comité prend des décisions pour assurer la pérennité des biens et des lieux et, parfois, cela implique des changements pour les rendre utiles. C’est là où la conservation rejoint le développement durable. »

Toujours pour l’UNESCO, Christina Cameron a présidé le comité d’experts responsable de la création de la stratégie globale pour une liste plus représentative du patrimoine mondial. « Nous avons ouvert la Convention du patrimoine mondial et élargi sa mise en œuvre pour considérer l’Afrique et certaines parties de l’Asie absentes de la liste. On ne voyait pas leur place dans un système qui semblait surtout valoriser le patrimoine bâti : châteaux, monastères, etc. »

Ainsi, l’apport intellectuel et la collaboration de Christina Cameron à divers groupes internationaux accélèrent l’avancement des connaissances sur les enjeux du patrimoine mondial.

Théoricienne convaincante, source fiable pour les médias nationaux et étrangers, référence pour le remaniement de lois et de politiques, la spécialiste a vu son rayon d’action s’étendre sans cesse. Concrètement, elle a été nommée membre de comités scientifiques pour la révision de la Loi sur les biens culturels (2007) et de politiques du patrimoine culturel québécois (2016-2017 et 2007).

Mais c’est dans son rôle de professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal et à la direction de la Chaire de recherche que l’approche de Christina Cameron se concrétise le mieux depuis 2005. « C’est en formant la jeunesse qu’on arrive à changer les choses. »

Ainsi, elle sollicite son vaste réseau pour favoriser le partage d’idées et le débat constructif. Attachée à la formation d’une relève compétente et engagée, Christina Cameron organise les Tables rondes de Montréal et y invite des experts internationaux et nationaux. Ce réseautage – entre ses collègues du Québec, ses étudiants et les spécialistes – concourt à élever la pensée et à alimenter les discussions sur des enjeux aussi pertinents que la valeur culturelle de la nature, les effets du tourisme de masse ou encore la perception des lieux de mémoire.

« Il ne faut pas oublier que l’on construit le patrimoine de demain. Le défi est donc d’ajouter des “couches de valeur” pour préserver les éléments du passé sans refréner l’avenir. » Voilà un propos illustrant bien que Christina Cameron ne déroge jamais de sa ligne de pensée.

Geneviève Cadieux

Geneviève Cadieux, une trajectoire stellaire dans le milieu des arts visuels. C’est qu’elle a contribué à une émergence de la photographie comme discipline au premier plan de l’art contemporain.

« J’ai été formée en peinture à l’Université d’Ottawa, mais ma pratique s’est cristallisée en photographie, une discipline artistique qui me permettait de m’exprimer de manière plus précise. Sans m’attarder à ses règles inhérentes, j’ai traité la photographie comme un matériau vers d’autres supports. Plus tard, j’ai participé à des expositions importantes comme Passage à l’image au Centre Georges-Pompidou à Paris. Cet événement consacré aux images contemporaines issues de la photographie, du cinéma et de la vidéo s’intéressait aux rapports entretenus entre ces moyens d’expression. Avec ma génération, la photo acquérait soudainement un autre statut. »

Depuis 40 ans, Geneviève Cadieux expose son talent et propose sa vision dans le monde. Ses réflexions sur l’image et sa relecture du langage photographique sont saluées par la critique internationale. Dès ses premières expositions, au début des années 1980, la force d’évocation de son œuvre laisse entrevoir un parcours prometteur.

Au moyen de son appareil photographique et de prises d’images en plans rapprochés, Geneviève Cadieux observe et livre une vision du corps humain fragmenté où s’inscrivent le passage du temps, les cicatrices et les ecchymoses. Ainsi s’ouvrent autant d’avenues d’introspection : perception, désir, perte et souffrance. L’artiste soumet ses images aux codes cinématographiques en proposant des œuvres surdimensionnées. Elle offre ainsi une nouvelle expérience perceptuelle, troublante et vraie, de l’intime du corps : par l’effet de l’agrandissement, celui-ci devient un corps-paysage, son sujet privilégié. Dès lors, la représentation du paysage naturel s’inscrit dans son œuvre.

« On a souvent associé l’échelle de mon travail à l’image cinématographique en raison de sa dimension. Cette échelle m’est familière parce que mon père était propriétaire d’un cinéma de répertoire à Ottawa. Ma formation du visuel est intimement liée à l’histoire du cinéma, elle est tout aussi importante que mon passage à l’université. » Inspirée par cette approche, Geneviève Cadieux signe la très emblématique œuvre La Voie lactée (1992) posée à contre-ciel sur le toit du Musée d’art contemporain de Montréal, visible de jour et de nuit. « La voix féminine se trouve au cœur de l’œuvre, non seulement par ce qu’elle représente et par son inscription sur l’institution muséale, mais aussi parce que ce sont les lèvres de ma mère. La langue maternelle et la parole féministe m’ont été transmises par elle, et je lui rends hommage. »

En 1990, Geneviève Cadieux devient la première femme à représenter le Canada en solo à la Biennale de Venise. Son installation in situ La fêlure au cœur des corps, déployée sur les fenêtres du pavillon canadien, est « une image très agrandie d’un baiser flanqué de cicatrices ». L’idée de montrer l’intime dans un lieu public propose une expérience esthétique différente. Cette œuvre magistrale marque l’imaginaire des spectateurs et inscrit une empreinte indélébile dans la vie de la jeune artiste.

« Venise a été une plaque tournante dans ma carrière. Certes, la qualité et la singularité du travail sont déterminantes, mais il y a toute une synergie que l’artiste ne peut contrôler. Au début de ma carrière, on s’intéressait à l’installation, à la photographie contemporaine, à la parole féminine. Mon travail est donc devenu visible très rapidement, et les invitations se sont multipliées. »

Prisées, les créations de Geneviève Cadieux se trouvent aujourd’hui au cœur de plus de 150 expositions collectives et de dizaines d’expositions individuelles à travers le monde; depuis la Tate Gallery de Londres jusqu’à de prestigieux musées à Madrid, à Bilbao, à Anvers, à New York ou encore à Kyoto. Elles se retrouvent parmi de nombreuses collections muséales, corporatives et privées au Québec et ailleurs, notamment au Centre Georges-Pompidou de Paris, à la Caixa de Barcelone et au Musée de Kyoto.

L’art de Geneviève Cadieux est aussi célébré lors d’une rétrospective d’importance au Musée d’art contemporain de Montréal, en 1993, ainsi qu’au Musée des beaux-arts de Montréal, en 2000. L’artiste reçoit le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques en 2011. Elle devient membre de la Société Royale du Canada en 2014.

Professeure agrégée à la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia, elle joue un rôle central dans l’orientation du programme de photographie et contribue ainsi à former des artistes émergents. « Avoir des professeurs qui ont une pratique, c’est inspirant, je le sais, car j’ai eu cette chance. »

Mentore confirmée, artiste renommée et voix féminine originale, Geneviève Cadieux continue de tracer un sillon lumineux dans la vie culturelle québécoise.

Manon Asselin

Manon Asselin est sans conteste une voix influente dans le discours architectural actuel au Québec. Sa firme, Atelier TAG, cofondée et codirigée avec son conjoint Katsuhiro Yamazaki depuis 1997, se distingue par ses réalisations en architecture publique, des projets de société porteurs de la culture.

C’est lors de ses études en physiologie à la Faculté de médecine de l’Université McGill que Manon Asselin saisit l’essence de ce qui deviendra sa pratique architecturale. Ses visites fréquentes à la bibliothèque d’architecture – moins surpeuplée et plus aérée – allument l’étincelle qui fera d’elle une architecte engagée. Ainsi, sa démarche s’inscrit dans une quête de bien-être de la personne en lien avec sa communauté et avec l’environnement bâti.

« Durant mes études, j’étais toujours à la bibliothèque. J’aimais me retrouver avec d’autres que je ne connaissais pas et qui peinaient, comme moi, la tête dans leurs livres. Du simple fait d’être là tous ensemble, il se dégageait un sentiment de pouvoir et de confiance en soi. »

Inspirée par les enseignements de ses professeurs Rem Koolhaas et Alberto Pérez-Gomez, deux figures marquantes de l’architecture, Manon Asselin développe une approche selon laquelle l’espace influence les comportements, la pensée et, même, l’émancipation.

« Nous concevons chaque projet autour de deux pôles : d’une part, la réflexion sur le programme architectural en lien avec le bien-être à la fois physique et émotionnel des usagers et, d’autre part, la culture matérielle du bâtiment en fonction de la société et de l’évolution technologique. »

Ce « nous », c’est Atelier TAG, car l’architecte insiste sur le fait qu’aucun projet en architecture ne peut se conjuguer au « je ». « Je dis « nous » pour TAG, mais aussi pour les équipes d’ingénieurs et les clients avec qui nous travaillons et pensons les projets. »

Dans les lieux signés par Manon Asselin et ses collaborateurs, les gens évoluent avec aisance. Parce que, bien au-delà des réalisations et des honneurs reçus, l’architecte s’illustre par sa conscience du geste social. Voilà pourquoi il résulte des conceptions de Manon Asselin des insertions urbaines réussies. C’est le cas, notamment, du pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein du Musée des beaux-arts de Montréal, du théâtre Gilles-Vigneault de Saint-Jérôme et de la bibliothèque de Saint-Hubert.

« Notre approche axée sur le bien-être s’est matérialisée de manière très concrète au Musée des beaux-arts puisque le pavillon que nous y avons conçu avait un programme centré sur l’éducation et l’art-thérapie. Il y avait un alignement naturel avec l’ambition de l’équipe du musée de faire ressentir aux visiteurs les bienfaits de l’art. »

Manon Asselin s’est aussi vu confier la responsabilité d’intervenir sur des éléments du patrimoine architectural moderne tels que l’oratoire Saint-Joseph et la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des arts. Pour ce dernier projet, le jury du Prix d’excellence décerné par l’Ordre des architectes du Québec en 2017 a d’ailleurs souligné que c’est une « marque de talent et de jugement que de ne pas faire de grands gestes quand des éléments forts sont déjà en place. »

L’excellence d’une vingtaine de projets de concours d’architecture, auxquels Manon Asselin a pris part en 20 ans, est confirmée par une cinquantaine de prix et distinctions, dont quelques médailles du Gouverneur général et un New York Emerging Voices Award. Une aura de succès qu’elle partage avec son partenaire.
« Un moment déterminant de ma carrière demeure la rencontre avec mon mari, devenu mon associé. Il a une sensibilité complètement différente de la mienne. Nous sommes très complémentaires. Nos pensées se situent à des échelles différentes : lui, il est dans le détail et moi, dans les concepts plus larges. La conception de bâtiments touche tout ce spectre. »

Peu après l’obtention de son diplôme de l’Université McGill, Manon Asselin devient professeure au sein de cet établissement universitaire, en 1993, puis joint le corps professoral de l’Université de Montréal, en 2008. Grâce à un engagement pédagogique soutenu et dévoué, Manon Asselin accompagne et forme les nouvelles générations de praticiens à travers le prisme d’une architecture humaniste et novatrice.

« Dans l’enseignement, je trouve la passion des étudiants, leur effervescence et leur capacité à chercher et à regarder là où les autres n’iraient pas. À l’inverse, je peux leur livrer notre vision en plaçant notre pratique au centre de mon enseignement. »

Par son remarquable apport à l’éducation architecturale, l’enseignante démontre son attachement à sa discipline et son intérêt manifeste à la soutenir et à la promouvoir. C’est ainsi que, par une constance exemplaire dans la qualité de sa pratique et de son enseignement, Manon Asselin contribue à façonner de beaux lendemains à l’architecture au Québec.

Yves Gingras

D’aussi loin qu’il se souvienne, Yves Gingras a toujours été fasciné par la science. Des livres de science-fiction qu’il lisait tout jeune, il est passé aux ouvrages de vulgarisation scientifique. On pouvait même observer l’adolescent construire des fusées avec ses compagnons de classe. Déjà, celui que l’on reconnaît comme le pionnier de la bibliométrie et de l’histoire et de la sociologie des sciences au Québec savait qu’il étudierait la physique.

Sa carrière scientifique s’est dessinée sans planification réelle. Au cours de sa maîtrise en physique à l’Université Laval, Yves Gingras se découvre une passion pour les fondements des sciences. Au-delà de la résolution de problèmes précis, il désirait comprendre l’histoire et la philosophie des sciences. Une importante décision change alors son parcours universitaire : s’inscrire au doctorat de l’Université de Montréal, à l’Institut d’histoire et de sociopolitique des sciences. Entouré d’historiens tels que Camille Limoges (Prix du Québec 2004, Armand-Frappier), cofondateur de l’institut, Yves Gingras évolue avec aise dans cette discipline qui devient la sienne.

Il effectuera par la suite son postdoctorat à Harvard, au Département d’histoire des sciences. Là-bas, son sens de la rigueur, de la transparence et de la franchise en aura ébranlé plus d’un, alors qu’il se permet des critiques justes et réfléchies. Encore aujourd’hui, ce besoin d’exposer les faits de manière claire et précise est ce qui caractérise le plus son travail, ce pourquoi il est tant estimé de ses pairs et du public. Ce qui rend une recherche crédible et utile socialement, selon lui, c’est « robustesse et la rigueur des analyses fondées sur des données empiriques ».

Il se fait un devoir d’inculquer le sens critique. Selon lui, il est « primordial d’apprendre aux gens la pensée analytique et rationnelle » : une mission qu’il s’est donnée, autant pour ses étudiants que pour l’ensemble de la population. Voilà pourquoi il est l’un des communicateurs de l’actualité scientifique le plus prisé, notamment à l’émission Les années lumière de Radio-Canada. Ses contributions remarquables se traduisent également par un nombre impressionnant de publications savantes et de présences publiques. Yves Gingras compte à son actif plus de 300 publications, dont 18 livres, plus de 200 articles et chapitres d’ouvrages scientifiques, 250 participations à des colloques scientifiques et plus de 470 conférences grand public et interventions dans divers médias.

Le cadre de ses recherches dépasse largement les frontières québécoises. En plus d’avoir contribué à rédiger une Histoire des sciences au Québec, il est l’auteur, entre autres, d’une Histoire des sciences et d’une Sociologie des sciences, ouvrages parus dans la célèbre collection Que sais-je?. Ses analyses se caractérisent toujours par leur multidisciplinarité. En alliant science, histoire et sociologie (des domaines habituellement séparés), Yves Gingras a contribué à transformer la façon de voir les sciences en les abordant sous plusieurs angles à la fois.

« Comprendre le monde qui m’entoure et en rendre raison », voilà l’objectif qu’il place à la base de son travail. Cette distance critique, il l’a également développée grâce à la bibliométrie, la mesure quantitative du développement scientifique à partir de l’analyse des publications savantes. Pour contribuer à une politique scientifique fondée sur des données probantes, Yves Gingras participe à la création de l’Observatoire des sciences et des technologies (OST). Depuis vingt ans, il est directeur scientifique de cet organisme, le seul au Canada consacré à la mesure de la recherche. Fort de cette expérience, il rédige alors un ouvrage appelé à connaître un succès mondial. Les dérives de l’évaluation de la recherche est en effet rapidement traduit en plusieurs langues dont le portugais, l’anglais, le russe et le chinois.

Ses travaux lui ont valu de nombreuses invitations et reconnaissances nationales et internationales : prix Ivan Slade de la British Society for the History of Science en 2001, prix Gérard-Parizeau en histoire en 2005 et prix Jacques-Rousseau de l’Association francophone pour le savoir en 2007. En 2017, il a été nommé fellow de l’American Association for the Advancement of Science pour ses « contributions remarquables aux domaines de l’histoire et de la sociologie des sciences et de la bibliométrie ».

Selon Yves Gingras, alors qu’il existe des « critiques littéraires », il manque encore trop de « critiques des sciences ». C’est pourquoi il œuvre à mener une réflexion historique et sociologique rationnelle et analytique sur le développement des sciences et leurs effets sociaux. Son souhait : que les chercheurs en sciences sociales se perçoivent moins comme des moralistes et davantage « comme des éthologues qui étudient les divers aspects des sociétés humaines comme on étudie les fourmis ». Il ajoute que c’est ce regard distancié qui rend possible une juste compréhension des choses.

Miriam Beauchamp

« Lâcher prise et avoir confiance dans les opportunités qui se présenteront à nous », voilà l’un des messages simples, mais porteurs, auquel croit profondément Miriam Beauchamp, neuropsychologue et professeure agrégée au Département de psychologie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine.

C’est en psychologie, avec une mineure en biologie, que Miriam Beauchamp entame son parcours universitaire à l’Université Queen’s, en Ontario, avant de s’envoler vers l’Écosse pour continuer son baccalauréat à l’Université d’Édimbourg. L’idée d’opter pour la neuropsychologie commence à germer dans son esprit au cours de ces trois années d’études au premier cycle, à la lecture d’un bouquin sur les manifestations étonnantes que peuvent entrainer les perturbations au cerveau chez l’humain.

Alors persuadée qu’elle étudie dans le bon domaine, elle obtient une maîtrise en psychologie à l’Université Laval. Après deux années passées à Québec, son goût d’apprendre la conduira à l’Université de Montréal, où elle effectue des études doctorales en recherche et en intervention dans le domaine de la neuropsychologie. Elle entreprend ensuite un postdoctorat au Murdoch Children’s Research Institute, à Melbourne, en Australie, sous la supervision de Vicki Anderson. Ses contributions ne passent pas inaperçues : elle se voit remettre une bourse de recherche des Instituts de Recherche en Santé du Canada dès le début de son postdoctorat (2007) et reçoit ensuite des bourses et subventions de plusieurs organismes dont le Harold Mitchell Foundation et le Thrasher Research Fund en 2008.

Nous voilà donc en 2009, au terme d’un riche parcours universitaire. Avec le recul, celle qui fait maintenant face à une classe se considère aujourd’hui très chanceuse d’avoir pu être inspirée et entourée de mentors, qu’elle qualifie d’« extraordinaires ».

En 2009, elle fait son entrée à l’Université de Montréal à titre de professeure associée et devient agrégée en 2014 au même moment où elle inaugure officiellement le laboratoire de neuropsychologie développementale ABCs, situé au Département de psychologie ainsi qu’au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Ses travaux et ceux de son équipe de recherche portent généralement sur le développement cérébral, cognitif et social du nourrisson, de l’enfant et de l’adolescent. Son groupe s’intéresse particulièrement à l’effet des traumatismes crânio-cérébraux et des commotions cérébrales chez les enfants, de même qu’aux habiletés cognitives qui contribuent à une bonne compétence sociale.

Parmi ses nombreuses publications dans divers périodiques, Miriam Beauchamp se montre particulièrement fière de ses écrits portant sur le développement des habiletés sociales chez les jeunes, parus dans le journal Psychological Bulletin. D’ailleurs, cet article est également reconnu comme l’un des 10 plus influents de 2010 par le Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants. Au cours de sa jeune carrière, elle s’est vue décernée plusieurs autres distinctions, dont le Early Career Award de l’International Neuropsychological Society et une subvention de type « Fondation » des Instituts de Recherche en Santé du Canada.

Yoshua Bengio

Sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle, fin janvier, le chercheur Yoshua Bengio a été accueilli en vedette. « Vous êtes une méga rock star! », lui a lancé un homme d’affaires. Dans le milieu des technologies de pointe, les superlatifs ne manquent pas pour décrire cette sommité mondiale qui a fait de Montréal un pôle d’attraction en intelligence artificielle.

Professeur d’informatique à l’Université de Montréal, Yoshua Bengio rêvait depuis longtemps de faire éclore l’intelligence des machines. Pour cela, il sondait les couches profondes des réseaux de neurones artificiels. En s’inspirant de la façon dont le cerveau humain calcule, il a pu démontrer que l’ordinateur arrivait à découvrir plusieurs niveaux de représentation correspondant à plusieurs niveaux d’abstraction. « Autrement dit, j’ai vu que la machine pouvait apprendre à se représenter les concepts qui expliquent ses observations », résume le chercheur.

Ses travaux ont largement contribué à révolutionner l’intelligence artificielle. Si bien qu’il est aujourd’hui considéré comme l’un des pionniers de l’apprentissage profond (deep learning), une approche basée sur des réseaux de neurones artificiels numériques, qui se trouve à l’origine d’avancées spectaculaires dans plusieurs domaines, dont la reconnaissance de la voix et des images, la vision par ordinateur et la compréhension du langage. Par exemple, si Google propose de meilleures traductions automatiques depuis environ un an, c’est grâce à ses recherches. Né à Paris de parents venus du Maroc, Yoshua arrive à Montréal à l’âge de 12 ans. Il obtient son doctorat en informatique de l’Université McGill en 1991, puis effectue un postdoctorat au Massachusetts Institute of Technology. Deux ans plus tard, il devient professeur à l’Université de Montréal. Il y crée le Laboratoire d’informatique des systèmes adaptatifs, qui donnera naissance, en 2014, à l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal. Le voici donc maintenant à la tête du plus important groupe de recherche universitaire de la planète sur l’apprentissage profond. Et depuis un certain temps déjà, il dirige deux chaires, l’une sur les jeux vidéo, l’autre sur l’apprentissage statistique.

En quelque 25 ans de carrière, le professeur a dirigé près d’une centaine d’étudiants, de la maîtrise jusqu’au postdoctorat. Certains enseignent dans de grandes universités, d’autres occupent des postes importants dans des entreprises telles que Google, Amazon ou Facebook. Il a publié plus de 250 articles scientifiques et 3 livres. Il est lu : ses travaux ont été cités plus de 78 000 fois dans des publications scientifiques. Sa parole est écoutée : il a prononcé plus de 250 conférences à travers le monde. Il est médiatisé : les journalistes d’ici et d’ailleurs le sollicitent sans cesse. En 2015, la revue française La Recherche a classé ses découvertes parmi les 10 meilleures de l’année.

Mais la contribution de Yoshua Bengio dépasse la portée de ses travaux scientifiques. Pour favoriser le partage de la connaissance, le développement de son domaine et le transfert technologique, il a créé Theano, une bibliothèque logicielle basée sur le langage Python, à code source ouvert, permettant une collaboration entre plus de 800 développeurs à travers le monde. Ses travaux ont eu un effet catalyseur pour le secteur technologique de Montréal. En 2001, il a cofondé l’entreprise ApSTAT Technologies, qui offre des produits et services pour la mise en œuvre et l’organisation du forage de données chez les clients. Maintenant, il veut aider les entreprises à prendre le virage de l’intelligence artificielle – souvent une question de survie. C’est pourquoi il a cofondé l’an dernier Element AI, une plateforme pour soutenir le virage des organisations en intelligence artificielle. En tout, depuis 2000, il a été conseiller ou cofondateur de six sociétés.

« On sent un élan incroyable », dit celui qui voit avec bonheur les capitaux investis à Montréal, plaque tournante de l’intelligence artificielle. L’an dernier, l’Institut de valorisation des données (IVADO), dont il est directeur scientifique, a reçu plus de 200 millions de dollars en subventions du privé et du public, notamment en provenance des géants des technologies, tels que Microsoft, IBM, et Intel. Certains ont même ouvert des laboratoires dans la métropole.

Pour Nando de Freitas, chercheur chez Google DeepMind, Yoshua Bengio est un géant parmi les scientifiques de son domaine. Et le meilleur ambassadeur de la science informatique au Canada. « Il nous a montré que la recherche fondamentale peut transformer le monde », formule l’expert. Et Yoshua Bengio est l’un des rares chercheurs susceptibles d’apporter une réponse à certaines questions. Entre autres : qu’est-ce que l’intelligence? Et comment harnacher celle-ci pour le bien de notre planète et de notre société?

Vulgarisateur infatigable, le scientifique montréalais ne manque pas une occasion de rappeler les enjeux éthiques que pose l’intelligence artificielle. Plus les ordinateurs évolueront, plus ils nous rendront service. Dans le domaine de la santé, par exemple, ils pourront aider les équipes médicales à poser des diagnostics précis. Mais la nouvelle révolution industrielle qui s’annonce entraînera aussi des bouleversements sociaux et aura possiblement des répercussions au sein de certaines catégories d’emplois. « La réflexion sur ces enjeux ne peut pas être laissée aux ingénieurs dans les entreprises, prévient l’expert. Elle exige un dialogue collectif. »

Enfant, Yoshua Bengio aimait déjà réfléchir sur le monde qui l’entourait. À parcourir la planète en tous sens, il a désormais bien peu de temps pour laisser libre cours à sa pensée créatrice. Ça lui manque. Car les neurones de l’humain ont besoin de jeu. Il le sait mieux que quiconque.

Michel Bouvier

Depuis le début de sa carrière, Michel Bouvier, professeur titulaire en pharmacologie moléculaire et signalisation cellulaire au Département de biochimie et médecine moléculaire de l’Université de Montréal, a formé quelque 85 étudiants au doctorat et au postdoctorat, dont 45 provenant de l’extérieur du Canada. « Ils sont ma famille et ma fierté », confie le Dr Bouvier, également directeur général de l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC) depuis 2014 et vice-recteur associé à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation de l’Université de Montréal depuis 2015. Lors du 25e anniversaire du laboratoire de recherche de Michel Bouvier, des dizaines d’anciens étudiants sont venus des quatre coins de la planète pour lui faire une surprise. C’est d’ailleurs à ses protégés que le scientifique doit d’avoir remporté le prix Julius Axelrod en pharmacologie 2017 remis par l’American Society for Pharmacology and Experimental Therapeutics. « D’anciens étudiants ont soumis ma candidature, ce qui me touche beaucoup », raconte le chercheur.

Le parcours de Michel Bouvier s’est lui aussi déroulé sous le signe du mentorat. « En 3e secondaire, deux professeurs de sciences m’ont donné la piqûre pour la chimie et la biologie, se souvient-il. C’est ainsi que je me suis inscrit au baccalauréat en biochimie à l’Université de Montréal. » Il devient l’un des premiers étudiants de l’Université de Montréal à faire un passage direct vers le doctorat en sciences neurologiques. La rencontre avec son directeur de thèse Jacques de Champlain, lauréat quelques années plus tard du prix Wilder-Penfield, est déterminante. « C’était un médecin, un scientifique, un humaniste et un amateur d’art et de culture que j’admirais énormément, se remémore Michel Bouvier. Avec lui, j’ai plongé dans l’univers de l’hypertension artérielle, un sujet qui me tenait à cœur puisque mon père était décédé des conséquences de cette pathologie alors que je n’avais que 13 ans et lui, à peine 40. »

Après son doctorat, le chercheur prend le chemin de l’Université Duke, en Caroline du Nord, la Mecque pour l’étude des récepteurs couplés aux protéines G ou RCPG. Ces molécules, qui avaient attiré son attention pendant ses études supérieures, sont les récepteurs qui captent et traduisent pour les cellules les messages chimiques des odeurs, des molécules gustatives, des photons et de la majorité des neuromédiateurs et des hormones. Ils sont la cible de plus de 33 % des médicaments et de la majorité des drogues. « Je voulais comprendre les mécanismes d’activation de ces récepteurs, les processus par lesquels ils modifient les propriétés des cellules cibles, ainsi que leurs caractéristiques pharmacologiques », explique Michel Bouvier. C’est d’ailleurs avec son directeur de stage Robert. J. Lefkowitz, lequel remportera en 2012 le prix Nobel de chimie, qu’il a trouvé sa voie comme scientifique.

Et pas n’importe quelle voie! De l’avis général, Michel Bouvier est un chercheur exceptionnel, et son influence, ressentie à l’échelle mondiale, touche non seulement les connaissances fondamentales, mais aussi leur transfert et leur application dans les milieux de pratique. Le Dr Bouvier a en effet révolutionné la compréhension du fonctionnement des RCPG, notamment avec le concept de signalisation biaisée, selon lequel un récepteur s’apparente à un réseau qui peut activer plusieurs voies cellulaires, et non une seule comme les chercheurs l’avaient toujours cru. « Certaines hormones ou drogues peuvent ainsi initier un sous-ensemble de signaux, ayant des effets souhaités ou non, à travers le même récepteur, explique Michel Bouvier. Cette notion est maintenant utilisée dans le développement de médicaments. » Le scientifique a aussi été le premier à démontrer que les RCPG ont une activité en l’absence d’hormones.

M. Bouvier a également découvert une nouvelle classe d’agents thérapeutiques, qu’il a nommés chaperons pharmacologiques. C’est en étudiant le diabète insipide néphrologique, une maladie résultant d’un repliement anormal de différents RCPG, qu’il a repéré ces composés qui peuvent corriger sélectivement ces défauts. Son laboratoire développe présentement des chaperons pharmacologiques visant les mutations de récepteurs impliqués dans de nombreux cas d’obésité morbide précoce. Enfin, le Dr Bouvier a marqué la recherche en faisant de la BRET (bioluminescence par transfert d’énergie de résonance) un outil pour étudier les interactions entre protéines. Cette technologie lui a permis de concevoir et de produire de nombreux biocapteurs qui sont maintenant largement utilisés par la communauté scientifique et l’industrie pharmaceutique pour suivre les réactions chimiques dans les cellules.

Les retombées de ses travaux sur la recherche ont été telles que le professeur Bouvier a vu le mandat de sa Chaire de recherche du Canada en signalisation cellulaire et en pharmacologie moléculaire renouvelé pour une troisième fois en 2015. Il a également figuré parmi le 1 % des scientifiques les plus cités à l’échelle internationale en 2014 selon la liste de Thomson Reuters. Auteur de 275 articles scientifiques, ayant son nom comme inventeur sur 9 brevets, il a reçu de nombreuses reconnaissances, dont le prix Léo-Pariseau 2006 et le prix Adrien-Pouliot 2011, tous deux remis par l’Association francophone pour le savoir (ACFAS). Il a créé et dirigé le Groupe de recherche universitaire sur le médicament (GRUM) ainsi que le Réseau québécois de recherche sur les médicaments (RQRM), qui regroupe 250 chercheurs de 10 universités au Québec, et il a été l’un des membres fondateurs d’IRICoR, une société à but non lucratif visant à traduire des découvertes scientifiques en solutions thérapeutiques. Sa plus grande réalisation? « Rassembler les meilleures personnes au bon endroit et au bon moment pour favoriser les découvertes », croit Michel Bouvier.

Richard E. Tremblay

En 2003, l’édition canadienne du magazine Time classait Richard E. Tremblay, professeur émérite du Département de psychologie et de pédiatrie de l’Université de Montréal, parmi les cinq chercheurs canadiens en médecine les plus influents dans le monde. En 2014, la prestigieuse revue Nature consacrait trois pages à une rétrospective de sa carrière et de ses travaux de recherche. Tous ses pairs s’accordent pour dire qu’il est l’un des chercheurs canadiens les plus renommés en sciences humaines et sociales. Sa province d’adoption – Richard E. Tremblay est né à Barrie, en Ontario – lui a notamment décerné le titre d’officier de l’Ordre national du Québec et le Prix du Québec Léon-Gérin. Selon André Lebon, président de la Commission sur l’éducation à la petite enfance, le professeur Tremblay est encore plus influent hors Québec. En effet, il a notamment reçu le Prix de Stockholm 2017, l’équivalent du Nobel en criminologie, des mains de la reine de Suède, ainsi que le prix René-Joseph Laufer 2008, en France, pour son livre Prévenir la violence dès la petite enfance. Le chercheur a également été nommé en 2008 grand officier de l’Ordre Gabriela Mistral par la présidente du Chili pour sa contribution à la diffusion des connaissances sur la petite enfance.

Rien ne destinait pourtant Richard E. Tremblay à devenir un spécialiste dans la prévention à la petite enfance. « Jeune, ma vie tournait autour du sport, relate-t-il. Mon père était un joueur de football professionnel et moi, je gardais les buts au hockey. » À l’Université d’Ottawa, le jeune homme s’inscrit donc au baccalauréat en éducation physique. Diplôme en main, il devient responsable de la création d’un service d’activité physique et de loisirs pour adultes à l’Hôpital psychiatrique Saint-Charles, à Joliette. Mais rapidement, Richard E. Tremblay s’aperçoit qu’il n’a pas les outils pour aider cette clientèle. Il s’inscrit donc au nouveau programme de psychoéducation de l’Université de Montréal. « C’est lors d’un stage que j’ai découvert l’univers de la délinquance et de la criminalité, raconte-t-il. J’ai ensuite été recruté par l’Institut Philippe-Pinel pour travailler à la réhabilitation des malades mentaux dangereux, et par l’Université de Montréal comme chargé de cours à l’École de psychoéducation. » Après un doctorat en psychologie à l’Université de Londres, où il évalue l’efficacité des internats de rééducation pour adolescents délinquants, Richard E. Tremblay est nommé en 1976 professeur à l’École de psychoéducation, dont il deviendra le directeur 10 ans plus tard.

Durant sa carrière, le professeur-chercheur a travaillé dans de nombreux pays. « Tous mes travaux sont faits en collaboration avec des chercheurs du Québec et de l’étranger. Au dernier compte, j’avais publié avec 508 personnes différentes », précise-t-il. Ses études, qui ont porté sur plus de 30 000 enfants et leur famille, ont profondément changé la façon d’envisager l’émergence de la violence. Par exemple, le chercheur a démontré que l’être humain se montre agressif et violent dès le début de la vie, et qu’il apprend ensuite à contrôler ses pulsions. Pour 4 % des garçons toutefois, les agressions physiques chroniques perdurent au moins jusqu’à l’adolescence. Heureusement, les interventions préventives peuvent changer la donne. En 1984, Richard E. Tremblay et ses collègues ont commencé à suivre 1000 garçons de la maternelle en milieux défavorisés à Montréal dans une étude sur la prévention de la délinquance. « Trente ans plus tard, les résultats indiquent que les garçons ayant participé au programme de prévention ont été plus nombreux que les autres à terminer leur secondaire et moins nombreux à avoir des problèmes de délinquance et de drogue ou un dossier criminel à l’âge adulte », révèle le Dr Tremblay, qui a ensuite lancé avec des collaborateurs l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec et, pour l’ensemble du Canada, l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes.

C’est sous son leadership scientifique que le gouvernement du Québec a implanté en 2000 le Programme de soutien aux jeunes parents, intégré plus tard au programme SIPPE – Services intégrés en périnatalité et en petite enfance. De plus, Richard E. Tremblay a fondé en 2001 du Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants, un organisme canadien au sein duquel il a créé, avec quelque 270 collègues provenant de 11 pays, l’Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants. Cette ressource virtuelle gratuite, vulgarisée et multilingue est régulièrement mise à jour. En 2016, l’Encyclopédie a été consultée par plus d’un million de visiteurs de partout dans le monde!

Celui qui a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le développement de l’enfant de 2000 à 2007 a également exercé une influence déterminante sur la mission de la Fondation Lucie et André Chagnon, soit l’investissement dans la petite enfance. « Nous devons beaucoup à ses convictions et à son réseau de collaborateurs canadiens et internationaux », de dire M. Chagnon. L’expertise du chercheur se manifeste aussi dans les programmes de prévention Brindam, pour les enfants en milieux de garde, et Fluppy, pour les enfants de maternelle. Plus de 15 000 éducateurs au Canada, en France, en Colombie et en Russie ont reçu une formation pour implanter ces programmes. « On règle rarement un problème à l’intérieur d’une génération », soutient cependant Richard E. Tremblay. Il préconise aussi l’intervention intensive dès la grossesse. Il a donc participé à l’implantation et à l’évaluation, notamment à Dublin et à Paris, de programmes de soutien pour les jeunes femmes enceintes de milieux défavorisés, programmes visant à prévenir la transmission intergénérationnelle des difficultés d’adaptation.

Dès 1984, soucieux de favoriser la collaboration entre les meilleurs chercheurs du Québec et de former la relève, Richard E. Tremblay a cofondé le Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant (GRIP), qu’il a dirigé jusqu’en 2014. Ce regroupement d’une trentaine de chercheurs de plusieurs universités québécoises est devenu l’un des plus importants sur la scène internationale par sa productivité scientifique. Grâce à l’obtention d’une subvention Marie Curie de la Commission européenne, le chercheur a également créé un réseau international de formation de chercheurs et de professionnels dans le domaine de la prévention à la petite enfance.

À un âge où plusieurs prennent leur retraite, Richard E. Tremblay ne voit pas le jour où il accrochera son sarrau de chercheur. « Il y a encore beaucoup de travail à faire en prévention de la violence et de la délinquance », dit celui qui est toujours actif à titre de chercheur au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine. Gardant la forme, le scientifique s’entraîne pour courir deux marathons par année. Il a notamment terminé 10e sur 48 dans sa catégorie au marathon de Dublin, il y a quelques années. Son rêve? Arriver premier dans sa tranche d’âge avant ses 90 ans!

Christophe Guy

Christophe Guy, ce Français d’origine, n’a que de bons mots pour le milieu de la recherche au Québec et au Canada. « Je ne mènerais probablement pas une aussi belle carrière scientifique et administrative si je n’avais pas choisi de m’installer à Montréal », croit celui qui a été nommé au mois d’août dernier vice-recteur à la recherche et aux études supérieures de l’Université Concordia. « Nous avons un système universitaire qui permet de former de façon équilibrée des chercheurs et des citoyens par la science, mentionne-t-il. Nous avons également un beau réseau de centres de recherche, innovateur et avant-gardiste. » L’ingénieur de formation avoue avoir eu beaucoup de chance de venir faire sa maîtrise en génie chimique au Québec. Son directeur, Pierre Carreau, l’a choisi comme étudiant sans l’avoir vu. « Et nous étions en pleine grève des postes à l’époque, se souvient Christophe Guy. J’ai eu de la veine que ma candidature arrive à temps! »

Après sa maîtrise à Polytechnique Montréal, le futur chercheur a poursuivi ses études au doctorat. Il est ensuite retourné en France pour faire deux postdoctorats, l’un au Centre de recherche de Gaz de France et l’autre à l’Institut français du pétrole. Fort de cette expérience, il est revenu à Montréal, où Polytechnique l’attendait avec un poste de professeur. Il restera fidèle à cet établissement, où il grimpera les échelons administratifs, pendant 27 ans! Christophe Guy a en effet rapidement été nommé directeur du Département de génie chimique, fonction qu’il a conservée pendant deux mandats de trois ans. Il a ensuite occupé le poste de directeur de la recherche et de l’innovation pendant six ans, pour finalement accéder à la plus haute marche de l’établissement, en devenant directeur général de 2007 à 2017. Selon ses pairs, Christophe Guy a propulsé Polytechnique Montréal dans le cercle des grandes écoles de génie de la planète. Il a notamment encouragé les partenariats en recherche avec des organismes publics et privés pour répondre aux besoins de la société. Sous sa gouverne, l’établissement a doublé son volume de financement de la recherche, notamment avec l’obtention d’une chaire d’excellence du Canada dans le domaine de la recherche opérationnelle et de la science des données. Récemment, en 2016, Christophe Guy a aidé Polytechnique Montréal à remporter une subvention substantielle au concours national du Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada pour le projet de l’Institut TransMedtech, qui catalysera les technologies médicales de l’avenir.

Parallèlement, son esprit visionnaire l’a poussé à cofonder le Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ), qui fête cette année son 15e anniversaire et qui constitue l’un des premiers regroupements de recherche universités-industries au Québec. L’ingénieur a ensuite participé à mobiliser les chercheurs et partenaires du Canada pour la création du Consortium en aérospatiale pour la recherche et l’innovation au Canada (CARIC). Il siège toujours comme vice-président du conseil d’administration et comme membre du comité directeur des deux organismes. Christophe Guy a également contribué à la mise sur pied des organismes PROMPT, qui soutient les partenariats et le financement dans le secteur des technologies de l’information, NanoQuebec, qui renforce l’innovation en nanotechnologies, et MEDTEQ, qui accélère le développement de technologies médicales. Ce consortium a d’ailleurs connu une croissance phénoménale, passant de 20 à 110 membres en moins de 4 ans. M. Guy a aussi soutenu le démarrage et le développement de plusieurs entreprises québécoises dérivées de la recherche universitaire. Il a lui-même à son actif huit brevets.

À travers ses multiples réalisations, le professeur Guy a continuellement eu à cœur d’intéresser les jeunes, et particulièrement les filles, à la profession d’ingénieur. À l’automne 2016, sous sa direction, Polytechnique a enregistré une fréquentation historique de 26,9 % de femmes. En comparaison, il y a en moyenne 14-15 % d’étudiantes inscrites au baccalauréat en génie dans les universités canadiennes.

En tant que chercheur, il a toujours impliqué ses étudiants dans ses projets. Par exemple, ses travaux sur le traitement thermique des déchets et des effluents industriels ont conduit à la mise au point de trois technologies originales qui ont fait l’objet de demandes de brevets sur lesquelles figure le nom de plusieurs étudiants. Christophe Guy a également cofondé en 1998 l’entreprise Odotech, avec le concours de la société de valorisation de Polytechnique et de l’un de ses anciens étudiants, Thierry Pagé, qui en a été le premier président-directeur général. « Odotech se spécialise dans la mesure des odeurs, la quantification de leurs effets et la mise en place de solutions d’atténuation, explique le professeur Guy. Nous avons été les premiers à développer et à commercialiser des nez électroniques, soit des capteurs calibrés pour mesurer l’intensité des odeurs autour des sources d’émission. » L’entreprise, qui a son siège à Montréal et détient des filiales française et chilienne, a d’ailleurs été classée parmi les 15 meilleures sociétés de technologies vertes du Canada et de la France en 2010.

L’influence de Christophe Guy sur la promotion et l’administration de la recherche a été reconnue à maintes reprises. « En tant que Québécois d’adoption, j’ai été particulièrement honoré d’être nommé officier de l’Ordre national du Québec en 2011 et membre de l’Ordre du Canada en 2014 », révèle l’ingénieur. Sa récente nomination à l’Université Concordia lui permettra de continuer à exprimer sa vision d’innovation, de partenariat, d’entrepreneuriat, de formation de chercheurs et d’enseignement par la recherche. « La recherche a bien évolué depuis le début de ma carrière, révèle le vice-recteur Guy. À Concordia, je compte promouvoir la recherche transdisciplinaire pour faire intervenir différents spécialistes en ce qui concerne les besoins et les défis de la société. »

Peter Tsantrizos

Traiter la masse croissante des déchets est devenu tout un défi pour l’humanité. Défi que Peter Tsantrizos relève avec panache et inventivité. À la tête de sa compagnie Terragon, qui emploie une quarantaine de personnes, il développe des technologies vertes pour valoriser les détritus. À l’âge de cinq ans, cet inventeur rêvait d’ailleurs de devenir éboueur, un métier lié à la gestion des déchets. Des années plus tard, sa mère le taquinait sans merci avec ce rêve de petit garçon. « Tu es allé à l’université, tu as étudié le génie chimique, tu as obtenu un doctorat… et tu as quand même fini par t’occuper des poubelles! », lançait-elle en riant.

« Je suppose que je suis devenu la personne que j’étais destiné à être », conclut avec humour le lauréat du prix Lionel-Boulet 2017.
Chaque Canadien jetterait en moyenne trois kilos de matières par jour. Trente pour cent de sa consommation quotidienne d’énergie irait ainsi droit aux poubelles! Avec son équipe, l’inventeur fournit des outils et de la formation pour convertir ces matières en ressources, sur les lieux mêmes. « En bref, nous avons décidé qu’il n’y aurait plus de déchets », résume-t-il.

Fondée en 2004, l’entreprise Terragon commercialise deux appareils qu’elle a inventés : WETT purifie, par traitement électrochimique, les eaux usées; MAGS transforme des déchets en énergie. Ce dernier chauffe les résidus à 650 °C pour les transformer en un gaz qui est enflammé à ultra-haute température, puis évacué dans l’air après dépollution. Il ne reste dans la cuve qu’une pelletée de carbone, substance inoffensive qui entre dans la composition d’engrais. Toutes les matières peuvent être traitées ainsi, sauf le verre et le métal.

De la taille d’un petit cabanon, chaque machine peut éliminer les ordures produites par 500 personnes tout en générant l’énergie requise par son fonctionnement, voire plus. Un atout précieux dans les lieux dépourvus de service de collecte : navires au long cours, hôtels en nature, chantiers isolés, etc. « Un marché excitant est celui des bateaux de croisière à destination de l’Arctique, où il n’existe pas d’installations de décharge », précise le PDG. En 2017, Terragon a d’ailleurs remporté un prix au concours international GreenTec, qui récompense des produits et des projets novateurs pour l’environnement. Une vingtaine de machines de l’entreprise, fabriquées dans son usine montréalaise, vrombissent déjà en Amérique et en Europe.

Quelle ascension exaltante pour ce Néo-Canadien, arrivé de Grèce avec ses parents en 1971! Le petit Panayotis – qui choisira plus tard le nom de Peter – déboîtait tous les appareils de la maisonnée pour comprendre leur fonctionnement. « Je pense bien être un ingénieur né », reconnaît-il.

Peter Tsantrizos, qui a obtenu son doctorat en génie chimique de l’Université McGill en 1988, est un être particulier : son cerveau abrite une fabrique à idées dans sa partie gauche et un incubateur d’entreprises dans sa partie droite. Capable de cerner un problème et d’imaginer une solution, il peut aussi assurer le transfert technologique. Détenteur de 16 brevets, il a contribué à fonder plusieurs compagnies, dont Terragon et PyroGenesis. Celle-ci produit notamment des appareils servant à faire le traitement des déchets sur les navires, ainsi que de la poudre de titane extrafine pour impression 3D.

Mais ce ne sont pas les choses qu’il crée qui le rendent le plus fier. Ce sont plutôt les objectifs qu’elles servent. « La technologie donne le pouvoir, pas la sagesse, dit-il. Ceux qui inventent des outils doivent aussi développer dans la société le discernement requis pour bien en user. »

C’est justement ce qui porte son nouveau projet, nommé Programme des gardiens. Avec des collaborateurs, l’ingénieur veut former de jeunes Inuits à l’usage de nouvelles technologies (de Terragon ou d’autres compagnies), pour que leurs communautés deviennent plus autonomes dans la production d’énergie, d’eau et de nourriture. Il s’agit de briser la dépendance à l’égard de produits importés du Sud, qui est peu écologique et, surtout, dommageable pour la fierté des peuples nordiques. « Générer une énergie propre, faire pousser des aliments en serre ou à la ferme, purifier l’eau, qui dans le Nord est souvent contaminée… Ces activités aideront les gens à développer les compétences qui mènent à l’autonomie et à une vie saine », estime-t-il.

Mais le travail est-il vraiment du travail quand on y prend plaisir? D’une certaine façon, on pourrait dire que le président de Terragon ne travaille jamais… Cependant, il consacre à la mission de sa vie chaque minute qu’il ne passe pas avec sa famille, qui compte maintenant trois petits-enfants. Cet humaniste considère comme son plus grand succès d’avoir réuni autour de lui une équipe de collaborateurs engagés. Il a d’ailleurs accueilli près de 50 étudiants pour un stage ou un emploi d’été.

Lorsqu’il enseignait à l’Université McGill, dans les années 1980, le jeune professeur avait créé le cours Impact social de la technologie. La notion semblait alors d’avant-garde. Aujourd’hui, elle appartient au cursus officiel. « Le génie doit avoir un objectif qui va plus loin que la fabrication de machines, martèle Peter Tsantrizos. Pour résoudre les problèmes de l’humanité, nous devrons recourir à toute notre ingéniosité, qui nous aidera à adopter un comportement durable. Et ainsi, nous pourrons léguer aux générations futures, et notamment à tous ces enfants imaginatifs qui, par exemple, rêvent de devenir éboueurs, un environnement plus vert au sein duquel la valorisation des ressources par les technologies propres est privilégiée. »

André Gaudreault

Le 16 août 1977, le jour même où Elvis Presley décède, le jeune passionné de cinéma André Gaudreault arrive aux États-Unis. Sa quête ne vise pas à rendre hommage au « King », mais plutôt à visionner deux copies d’un film de 1902, Life of an American Fireman, d’Edwin Porter. Le court métrage est alors l’objet d’opinions divergentes en Europe. Le Québécois en tirera une analyse qui lui ouvrira les portes de l’Université Sorbonne Nouvelle, à Paris, où il obtiendra son doctorat, entamant ainsi une carrière qui révolutionnera l’étude du septième art.

Professeur titulaire en études cinématographiques à l’Université de Montréal depuis 1991, et avant cela rattaché à l’Université Laval, André Gaudreault enseigne depuis plus de 40 ans. Il a écrit une vingtaine d’ouvrages, qui font figure de références dans le domaine de l’histoire et de la théorie liées au cinéma. Du littéraire au filmique : système du récit (préfacé par le grand philosophe français Paul Ricœur), publié en 1988 et réédité en 1999, a assuré sa réputation. Le chercheur a aussi signé plus de 120 chapitres de livres ou articles spécialisés.

C’est d’abord le cinéma des premiers temps, c’est-à-dire celui qui se trouvait sur les écrans entre 1890 et 1915, qui retient l’attention de ce pionnier. Il accomplit un travail d’archivage d’une grande valeur, qui le transforme en historien reconnu de cette période. Sa conception novatrice des productions de l’époque aura un effet majeur sur la manière dont l’histoire du grand écran et de la forme filmique est perçue. « Le cinéma des premiers temps n’est pas l’antichambre du cinéma classique, c’est un phénomène à part », répète-t-il. À ses yeux, ce ne sont pas les « vues » des frères Lumière qui ont muté pour donner lieu aux œuvres hollywoodiennes : c’est plutôt une forme nouvelle qui a émergé.

André Gaudreault a créé plusieurs concepts-clés qui permettent de saisir les liens entre la technique et l’esthétique du septième art, parmi lesquels figure la notion de « cinéma des attractions », élaborée en 1985 avec Tom Gunning, alors professeur à l’Université de Harvard. « L’attraction, c’est le choc visuel qui attire l’attention. Elle est aux antipodes de la narration, explique le professeur Gaudreault. Tout film se situe entre les deux pôles. » Le cinéma à ses débuts se révèle très « attractionnel », alors que les œuvres classiques s’attachent davantage à raconter une histoire. Selon lui, nous vivons aujourd’hui un retour à l’attraction, avec les formats courts, comme le prouvent toutes ces vidéos en ligne qui se résument à une série d’images saisissantes sur un thème étonnant.

Le spécialiste travaille à établir des ponts éclairants entre le passé et le présent. L’identité actuelle du cinéma n’est pas sans rappeler celle de ses débuts, la discipline traversant une révolution sous l’influence des nouvelles technologies et de la convergence des plates-formes. L’homme a tiré de ses observations sur cette métamorphose un ouvrage remarqué, La fin du cinéma? Un média en crise à l’ère du numérique (cosignée avec Philippe Marion, professeur à l’Université catholique de Louvain), en 2013. Sa réflexion porte tant sur le récit et la technique que sur le divertissement des auditoires. « Le numérique est le plus grand égalisateur des médias », dit-il au sujet de la culture médiatique actuelle.

André Gaudreault a contribué de manière exceptionnelle à l’émergence des études cinématographiques. « Avoir participé au développement d’un champ d’études inexistant au Québec et au Canada demeure la réalisation dont je suis le plus fier », confie celui que ses pairs, partout dans le monde, reconnaissent comme le fer de lance du domaine. Il a notamment été nommé l’an dernier chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres de la République française.

Le théoricien a aussi contribué à fonder de nombreux groupes de recherche qui réunissent des collaborateurs de partout sur la planète; l’association Domitor, qui joue un rôle déterminant dans l’étude du cinéma des premiers temps, est l’un de ces groupes. Actuellement, il dirige la section canadienne de Technès, un important partenariat international qui compte 50 chercheurs canadiens et étrangers, et qui regroupe 18 institutions prestigieuses, dont la Cinémathèque québécoise, l’Office national du film du Canada (ONF), la Fédération internationale des archives du film, le Georges Eastman Museum et la Cinémathèque française.

Ce partenariat, qui s’intéresse à l’évolution des technologies du cinéma, est à l’origine d’un projet cher à André Gaudreault : la création de l’Encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma, qui sera une sorte de musée virtuel accessible à tous. « Ce site utilisera toutes les ressources du Web pour sauvegarder la mémoire des techniques cinématographiques, dont plusieurs sont en voie de disparition », explique le directeur du projet. L’Encyclopédie mettra à la disposition du public des documents audiovisuels d’époque, des démonstrations du fonctionnement d’appareils anciens et des entretiens avec des artisans du milieu. La première livraison de ce riche outil de connaissance est prévue pour 2019.

Au milieu de tout cela, ce conférencier prolifique continue de prendre part à nombre de colloques spécialisés avec une fougue et une générosité admirées de ses collègues. Et quand il ne creuse pas dans l’histoire du septième art, André Gaudreault mitonne de petits plats. « Je travaille comme un fou, mais jamais je ne lésinerais sur le temps que je consacre chaque soir à nourrir les miens », affirme-t-il. Si ses talents culinaires sont à la hauteur de ses réussites professionnelles, ses convives ont bien de la chance!

Jana Sterbak

Illustrant les mythes du monde contemporain, l’œuvre de Jana Sterbak est percutante, d’un point de vue à la fois esthétique et conceptuel.

Par son approche interdisciplinaire intelligente, l’artiste d’origine tchèque assure l’adéquation entre le concept derrière ses œuvres et l’originalité des matériaux périssables et organiques qu’elle emploie pour leur donner vie sans égard à la pérennité. « Une œuvre d’art vraiment réussie représente plus que la somme de ses parties, exprime-t-elle. Chaque pièce est une exploration qui aboutit à sa conclusion particulière et répond à sa propre logique. »

Née à Prague, Jana Sterbak émigre à Vancouver à la fin des années 1960. Elle élit ensuite domicile à Montréal où elle obtient, en 1977, son diplôme en beaux-arts de l’Université Concordia. Elle se fait rapidement remarquer en participant à la définition d’une scène artistique québécoise radicale et communautaire. À ses débuts, son succès lui ouvre des portes jusque-là inaccessibles pour les artistes de l’époque.

Matériaux et savoirs traditionnels, scientifiques et industriels sont conjugués dans les nombreuses œuvres performatives et installatives inscrites sur sa feuille de route. Avec la condition humaine comme sujet de recherche, elle aborde la fragilité de l’être et sa fatalité existentielle. Qu’il s’agisse de sculpture, de photographie, de vidéo ou d’installation, les créations qui naissent de son génie artistique suscitent invariablement l’intérêt, sans jamais être prévisibles.

En 1989, l’artiste québécoise est invitée à la Biennale canadienne d’art contemporain. L’année suivante, l’invitation lui vient de l’Exposition internationale d’art contemporain de la Biennale de Venise. Cette participation à l’une des plus anciennes et prestigieuses manifestations artistiques au monde a pour effet de l’introduire dans des musées et galeries en Europe. Ce rayonnement en sol européen facilitera aussi son entrée en Australie, en Asie, aux États-Unis et au Moyen-Orient.

Chaque fois plus assumées, les œuvres de Jana Sterbak prennent place dans près d’une centaine de collections et d’expositions de lieux culturels de renom, dont le Musée d’art contemporain de Montréal, le Musée des beaux-arts du Canada, le Museum of Modern Art de New York ainsi que le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou de Paris.

C’est pour le Musée national des beaux-arts du Québec qu’elle imagine Dissolution (Auditorium), une installation qu’elle chérit particulièrement. Cette création « à la fois drôle et dramatique » est, selon elle, un des temps forts de sa carrière. L’œuvre inusitée regroupe des chaises constituées de tuyaux d’acier et de glace qui fond au gré de l’exposition, laissant pour seules traces de son passage de l’eau et du métal.

En 1991, Vanitas : robe de viande pour albinos anorexique fait plus de bruit que ne le souhaite son auteure et devient, dans la controverse, sa première œuvre reconnue internationalement. Souvent censurées, ses créations n’expriment pourtant pas de position philosophique ou politique.

Jana Sterbak fait un second passage à la Biennale de Venise en 2003, après avoir été choisie pour y représenter le Canada avec From Here To There. Cette œuvre mettant en vedette Stanley, le chien caméraman insolite, traite du pouvoir, du contrôle et de l’utilisation de la technologie pour dépasser les limites du corps humain, thème qu’affectionne particulièrement l’artiste. Dans cette création qui marque l’imaginaire, elle laisse l’animal se promener librement avec une caméra fixée sur le corps, remettant en question la vision humaine du monde.

Les expositions The Real Princess, Mask et Les Papesses, cette dernière au Palais des Papes, à Avignon, auxquelles elle participe dans les années 2000, coïncident avec le retour du thème de la féminité et du conditionnement social qui lui est associé.

La carrière de Jana Sterbak est récompensée à maintes reprises. Elle remporte, entres autres, le prix de la Fondation John Guggenheim, dans les années 1990; le prix Lynch-Stauton du Conseil des Arts du Canada, en 1994; le prix Ozias-Leduc de la Fondation Émile-Nelligan, en 1996; et le Prix du Gouverneur général du Canada, en 2012. En 1993, elle est la première personne à remporter le prix Guichard décerné par le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, en France.

Figure emblématique de la scène artistique internationale depuis plus de quarante ans, Jana Sterbak y rayonne et, ce faisant, met en lumière le Québec en tant que lieu fécond de conception et de diffusion de l’art. Son influence auprès des jeunes artistes et critiques féminines est particulièrement importante.

Jean-Claude Lord

Ses pairs s’accordent pour dire qu’il y a un « avant » et un « après » Jean-Claude Lord. Sans lui, la télévision québécoise ne serait tout simplement pas ce qu’elle est aujourd’hui. En saisissant les temps forts de l’histoire du Québec et en les offrant de façon aussi novatrice aux téléspectateurs, ce visionnaire a profondément transformé la manière de faire de la télévision.

Tout au long de sa vie professionnelle, malgré les obstacles qui se sont dressés devant lui, Jean-Claude Lord a fait preuve de résilience et n’a jamais cessé de lutter pour porter à l’écran ses idées, pour la plupart à tendance sociale.

« Je suis quelqu’un qui sait se battre pour ses idées et qui a réussi à en concrétiser au moins une douzaine, ce qui justifie selon moi près de cinquante-cinq ans de métier », affirme humblement celui qui est derrière une quinzaine de films et une trentaine de séries télévisées, documentaires, téléréalités et téléfilms, et qui a encore de nombreux projets en cours et à venir.

Réalisateur, scénariste, monteur, producteur et romancier, Jean-Claude Lord excelle dans tous les domaines et sait toucher l’inconscient collectif quel que soit le projet qu’il mène à bien.

Sa carrière débute d’abord au cinéma, alors qu’il est âgé de 20 ans. Dès lors surgit l’idée du scénario à rebondissement de Trouble-fête, auquel il collabore avec Pierre Patry. Le film se hissera au sommet du box-office québécois. S’ensuivent des œuvres cinématographiques à caractère social, dont Parlez-nous d’amour, devenu un film culte, et Bingo, l’un des plus gros succès commerciaux du cinéma québécois des années 1970.

Jean-Claude Lord réussit un tour de force dans les années 1980 en occupant la deuxième place au box-office américain avec Visiting Hours, son premier film en langue anglaise. Cette prouesse, que peu de cinéastes francophones peuvent se targuer d’avoir accomplie, donne le coup d’envoi à trois autres films destinés au même public.

Au milieu des années 1980, il réalise la première de Lance et compte et révolutionne le paysage télévisuel d’ici. Il s’agit de la toute première série lourde tournée dans le style cinématographique, avec de nombreux plans extérieurs, un rythme soutenu à l’américaine et des intrigues contemporaines. Regardée assidûment chaque semaine par plus de deux millions de téléspectateurs, elle connaît un succès fulgurant et lui vaut plusieurs Gémeaux; tout comme à Richard Martin, qui prendra le relais les deux années suivantes. Avec Lance et compte, dont il reprend la réalisation de 2000 à 2008, Jean-Claude Lord réussit l’exploit de river plusieurs générations de Québécois et Québécoises au petit écran et ajoute d’ailleurs d’autres premières québécoises à sa liste déjà bien étoffée. La série, en plus d’être tournée simultanément en français et en anglais, est en effet l’objet d’une coproduction en France et inclut des acteurs étrangers dans sa distribution.

Jean-Claude Lord dirige plusieurs autres séries dramatiques qui marquent chacune à leur façon le paysage télévisuel, dont : L’or, Galidor: Defenders of the Outer Dimension, Quadra, Sirens, Jasmine, Urban Angel, Diva et 30 vies III. Cette dernière est d’ailleurs en nomination aux côtés d’autres remarquables séries aux International Emmy Awards 2017, tenus à New York.

Lors des prix Gémeaux 2017, l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision a remis le prix Jean-Besré aux artistes et artisans de District 31, dont fait partie le réalisateur Jean-Claude Lord. Ce prix souligne l’excellence, l’innovation ou l’originalité d’une œuvre dans le domaine de la production télévisuelle ou numérique. Entre septembre 2016 et avril 2017, les cotes d’écoute de cette série dramatique plus vraie que nature n’ont cessé de grimper, atteignant une moyenne de 1,5 million de téléspectateurs après quelque 120 épisodes, un exploit rarissime pour un rendez-vous quotidien.

À travers les histoires auxquelles il donne vie de part et d’autre de la frontière canado-américaine, le réalisateur dénonce des problèmes sociaux, suscitant réflexion et débat. Avant-gardiste, son œuvre télévisuelle, abondante et jalonnée de rendez-vous importants, dénote un besoin viscéral de faire évoluer la société.

Gabriel Pelletier, président de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, décrit ainsi la marque profonde imprimée par Jean-Claude Lord : « Son plus inestimable legs à la vie culturelle québécoise aura été de réaliser des œuvres divertissantes qui, pour la plupart, nous auront également fait réfléchir. Sans qu’on en prenne parfois pleinement conscience, le discours aura fait son chemin; et voilà tout le génie de l’homme qui possède l’art et la manière de raconter des histoires. »

Partie intrinsèque de la vie des Québécois et Québécoises, l’œuvre de Jean-Claude Lord est étudiée dans les cours de cinéma et de communication.