Nicole Brossard

Dès le début de sa pratique littéraire au milieu des années
soixante, Nicole Brossard a manifesté ses préférences en
poésie tout en explorant la diversité de ses autres champs d’écriture
: poésie d’abord, mais aussi roman (French Kiss, 1974 ; Le
Désert mauve
, 1987 ; Baroque d’aube, 1995) et critique, théâtre
et essais, textes théoriques et radiophoniques, articles d’intervention
dans des revues nationales et internationales. Avec près d’une quarantaine
d’œuvres, dont les temps forts sont réunis dans deux rétrospectives
Le Centre blanc. Poèmes 1965-1975 et Double Impression.
Poèmes et textes 1967-1984
–, elle a participé très
activement, comme chef de file et comme activiste, à la génération
des années soixante et soixante-dix qui a renouvelé les thèmes
et les formes de la poésie québécoise. À l’écart
de la célébration du pays qui a marqué la génération
des poètes de L’Hexagone, elle a fondé son art poétique
sur une recherche théorique et pratique, sur une remise en question systématique
et radicale des formes acceptées du langage littéraire et du discours
de réflexion, puis, au cours des années soixante-dix surtout,
où son œuvre s’est consacrée plus exclusivement au « 
continent des femmes », sur la mise en œuvre d’une écriture
au féminin dans une dynamique où alternent plans de fiction et
pans de réalité, dynamique qu’elle nommera « fiction théorique
 ».

Dans une rigoureuse et sensible quête du signifiant, l’écriture
singulière de Nicole Brossard interroge la matérialité
du texte et, tout en mettant en scène le sujet féminin, fait valoir
« la pensée de l’émotion et l’émotion de la pensée
 ». Dans une problématique de la transgression et de la rupture,
elle a déployé une œuvre dont les thèmes les plus
percutants disent le corps lesbien, l’urbaine radicale, la lumière et
le silence, ainsi que sa fascination pour les actes de passage que sont ceux
de la traduction, de l’écriture et de la lecture. Cela donne à
son univers poétique et romanesque, et même à ses textes
plus théoriques, une vaste amplitude, ancrée dans la sensibilité
et l’angoisse humaines les plus fondamentales, fondatrices des œuvres littéraires
cardinales.

Lauréate de plusieurs prix littéraires, activiste plurielle,
cofondatrice et codirectrice de La Barre du Jour, cofondatrice de la
revue Les Têtes de Pioche, coauteure d’une Anthologie de la
poésie des femmes au Québec
(1991), Nicole Brossard a vu son
œuvre poétique, ses romans et ses essais largement traduits en anglais,
puis en espagnol, en allemand, en japonais, en roumain, en italien… Œuvre
phare, elle est étudiée et continue son rayonnement auprès
des nouvelles générations.

Frédéric Back

Frédéric Back est un artiste engagé, un écologiste
fervent qui s’est porté à la défense de la nature à
travers toute son œuvre, d’Illusion ? (1974) au Fleuve aux grandes
eaux
(1993). Mais cette conscience sociale intraitable ne laisserait pas
une telle marque si elle n’était portée par une approche esthétique
cohérente et riche, qui renouvelle l’art du dessin animé en l’entraînant
sur la voie d’une sorte d’impressionnisme en mouvement. Il aura tout de même
fallu au cinéaste des années de pratique pour définir cette
esthétique, des années à illustrer des livres, à
réaliser des murales, à décorer des restaurants, des années
passées à mettre son talent au service de diverses émissions
pour la télévision de Radio-Canada. Et à travers cette
montagne de travaux, quelques films personnels à travers lesquels se
définit progressivement un style qui atteint sa plénitude à
partir de Tout rien (1978).

En 1981, avec Crac !, c’est la consécration, un succès
international, un premier Oscar et plus de 20 prix. On croit alors la carrière
de Back à son apogée, mais six ans plus tard, L’Homme qui plantait
des arbres
fait encore mieux avec un nouvel Oscar, le Grand Prix du Festival
d’Annecy et une trentaine d’autres récompenses internationales. Désormais
connu et reconnu au Québec comme à l’étranger, Back ne
change pas et demeure cet homme de convictions, à la fois modeste et
direct. Le statut dont il bénéficie maintenant ne lui sert qu’à
attirer plus d’attention sur les causes qu’il endosse.

Alsacien formé à l’École des beaux-arts de Rennes par
Mathurin Méheut, Back est homme de culture qui n’hésite pas à
citer, à l’intérieur de ses films, les peintres qu’il admire.
C’est d’abord Chagall dans Illusion ?Crac !, ou encore Monet et Brueghel
dans L’Homme qui plantait des arbres. Mais toutes ces références
s’intègrent au tissu des films sans ostentation, avec le naturel et la
simplicité qui marquent l’approche de l’artiste.

Point d’orgue d’une œuvre imposante, Le Fleuve aux grandes eaux
est un film porté par l’urgence, un film habité autant par l’amour
et l’admiration envers la nature que par l’indignation et la colère face
à la conduite irresponsable des hommes dans leur course au profit. Avec
cette réalisation grandiose, couronnée elle aussi par le Grand
Prix d’Annecy et d’Hiroshima, Frédéric Back persiste et signe.
Cet homme pacifique continue d’exprimer ses idées fermement, son œuvre
élève la voix pour lui.

Mircea Steriade

Ce moment agréable où l’on glisse doucement dans le sommeil,
en route vers le monde des rêves, voilà le principal sujet d’étude
de Mircea Steriade. Toutefois, ce qui l’intéresse, ce ne sont pas tant
les lambeaux de conscience que conserve alors l’esprit que la façon dont
le cerveau et, plus précisément, les cellules du thalamus et du
cortex modifient leur activité lors du passage de l’état de veille
au sommeil.

Le docteur Steriade dirige le Laboratoire de neurophysiologie de la Faculté
de médecine de l’Université Laval, qu’il a lui-même fondé
en 1969. Sous sa direction, ce laboratoire va s’imposer comme l’un des meilleurs
centres de recherche au monde sur le comportement des cellules dans le contrôle
cérébral du cycle veille-sommeil.

Une carrière sur deux continents

Mircea Steriade fait des études de médecine, couronnée
par un doctorat en 1952, avant de se diriger vers la recherche en sciences neurobiologiques.
Il obtient en 1955 un second doctorat en sciences de l’Institut de neurologie
de l’Académie des sciences de Bucarest. Il présente alors une
thèse ayant pour sujet l’influence du cervelet sur l’activité
électrique du cortex cérébral. La publication d’une monographie
sur le même sujet lui permet de quitter la Roumanie pour effectuer un
stage postdoctoral à Bruxelles, auprès d’un éminent neurophysiologiste,
le professeur Frédéric Bremer.

De retour à Bucarest en 1958, Mircea Steriade dirige pendant dix années
le Laboratoire de neurophysiologie de l’Institut de neurologie. Il y démontre
pour la première fois que les signaux électriques provoqués
par des stimulations lumineuses dans le thalamus (principal relais entre les
organes des sens et le cortex) sont augmentés lors de l’éveil
par des stimulations lumineuses.

En 1968, la rencontre de Mircea Steriade, en France, avec un chercheur de l’Université
de Montréal, Jean-Pierre Cordeau, marque un tournant décisif dans
sa carrière et dans sa vie. Il quitte la Roumanie et vient poursuivre
ses recherches au Québec, à l’Université Laval. Il y trouve
un terrain neuf et des conditions de travail qui vont permettre à sa
recherche de s’épanouir. Trente-trois années plus tard, les travaux
du docteur Steriade se situent toujours à la fine pointe de la recherche
fondamentale sur les états de sommeil et de veille. Ses recherches sont
constamment soutenues par le Conseil de recherches médicales du Canada
(récemment transformé en Institut de recherche en santé
du Canada), par d’autres organismes fédéraux et provinciaux ainsi
que par le National Institute of Health des États-Unis et un organisme
international prestigieux (Human Frontier Science Program).

Pendant le sommeil

Le docteur Steriade se penche d’abord sur les fluctuations de l’activité
des neurones thalamiques et corticaux aux différents niveaux de vigilance.
Avec son équipe, il met en évidence, par des méthodes physiologiques,
les neurones du thalamus et du cortex cérébral qui entrent en
action pendant l’état de veille et l’état de sommeil. Il montre,
de plus, comment ces états présentent deux types de fonctionnement
différents.

Cependant, l’événement contribuant de plus près au rayonnement
des travaux de Mircea Steriade est sans aucun doute la découverte du
noyau réticulaire entourant le thalamus, comme générateur
de certains signaux électriques caractéristiques de la phase d’endormissement.
Ces signaux se traduisent, sur l’électro-encéphalogramme, par
des oscillations en forme de fuseaux. La découverte de ces signaux permet
aux chercheurs d’établir un lien entre l’activité des cellules
du thalamus et du cortex et l’épilepsie du type « petit-mal ».
En effet, ces crises se produisent surtout pendant les périodes de sommeil
caractérisées par les mêmes signaux en fuseaux.

Au cours des dernières années, l’équipe du professeur
Steriade s’est penchée sur une oscillation nouvelle, plus lente, qui
apparaît pendant les phases tardives du sommeil et disparaît lorsque
le sujet est éveillé. C’est la première fois que ces rythmes
lents d’origine corticale sont étudiés et que leurs mécanismes
cellulaires sont élucidés.

Un auteur prolifique

Deux importantes monographies, parues en 1990 (Thalamic Oscillations and
Signaling et Brainstem Control of Wakefulness and Sleep
), rendent compte
des travaux du docteur Steriade. Ces derniers sont aussi l’objet d’une analyse
laudative dans la revue Science, qui n’hésite pas à parler
d’apogée technique et d’ouvrages destinés à faire époque.
En 1997, Mircea Steriade publie deux volumes sur le thalamus qui seront élogieusement
qualifiés d’œuvre monumentale dans la revue Trends in Neuroscience.
En 2001, il signe The Intact and Sliced Brain, une monographie qui compare
les résultats obtenus in vivo avec ceux des études menées
en tranches isolées du cerveau.

Travailleur inlassable, Mircea Steriade publie de très nombreux articles
(330 à ce jour) dans les meilleures revues de sa spécialité,
notamment dans Science, Nature, le Journal of Neuroscience, le
Journal of Neurophysiology, ainsi que le Journal of Physiology
et Neuroscience. Il écrit également des ouvrages théoriques
concernant l’histoire des connaissances sur le cerveau ou les rapports entre
le cerveau et la conscience. Éditeur en chef d’une nouvelle revue parue
en 2001, Thalamus and Related Systems, Mircea Steriade fait en outre
partie du comité éditorial de quatre autres revues de neuroscience.
Membre d’honneur de la Société de neurologie de Paris, il reçoit,
en 1965, la médaille Claude-Bernard de l’Université de Paris et
devient, en 1989, le premier lauréat du Distinguished Scientist Award
de la prestigieuse Sleep Research Society. Depuis 1994, le docteur Steriade
est membre de la Société royale du Canada (Académie des
sciences).

Ses nombreuses études, les ouvrages qu’il a publiés et les distinctions
qui lui ont été remises démontrent bien que Mircea Steriade
continue de faire preuve d’un flair et d’une productivité qui le situent
au premier plan de la recherche en neurophysiologie. Avec lui, cette recherche
connaît d’ailleurs à l’heure actuelle une évolution à
un rythme accéléré.

Michel Goulet

Le plus jeune lauréat du prix Paul-Émile-Borduas n’a pas une
longue carrière au moment de sa nomination, mais il s’est déjà
imposé comme une figure marquante de la nouvelle sculpture québécoise.

Michel Goulet sera d’abord ce qu’il est convenu d’appeler un « sculpteur
abstrait , le meilleur de sa génération, qui travaille les
entités traditionnelles de la modernité sculpturale : l’horizontalité
et la verticalité, la frontalité, l’équilibre… Avec des
matériaux divers : le plastique, d’abord, puis le métal. En 1980,
le Musée d’art contemporain de Montréal présente une mini-rétrospective
de ses travaux des cinq dernières années, qui révèle
toute la richesse et la justesse de la première manière de Goulet.

Au début des années quatre-vingts – à la suite de
sa participation au Symposium international de sculpture environnementale de
Chicoutimi, où il a l’impression que les gens viennent le voir travailler
sans avoir de véritables contacts avec lui –, le sculpteur fera
un pas en direction du public, sans rien renier de ses propres exigences par
rapport à la discipline de la sculpture. Il continuera à assembler
des formes et des matières – même si celles-ci sont devenues des
tables, des chaises, des lits, des entonnoirs, des valises, des fusils, des
boîtes, des poubelles… Le message demeure le même ; il n’y
a que le lexique qui change. Goulet reste fidèle à sa pratique
d’inventoriateur : « L’art qui découvre renonce à la
priorité de l’invention (images, fantaisies, placements aléatoires).
Il renoue plutôt avec la mémoire privée et collective. Il
tend à l’inventaire des acquis culturels (constructions et comportements)
qui permettent de décrire plutôt que d’illustrer, d’agrémenter,
de séduire, etc. »

Au cours des 20 dernières années, le travail proprement sculptural
de Michel Goulet a été présenté régulièrement
dans les lieux les plus prestigieux au Québec et au Canada, mais aussi
à Paris, à New York et à Venise, notamment, où il
représentait le Canada à la XLIIIe Biennale d’art contemporain.
Par ailleurs, Goulet est l’auteur de plusieurs œuvres d’art public – un
domaine dont il a largement contribué à transformer le langage
–, dont l’une (Les Lieux communs, 1989) a été présentée
sur Doris Freedman Plaza, à New York, à l’invitation du Public
Art Fund. Le sculpteur est enfin scénographe de théâtre,
et ses réalisations dans ce champ lui ont déjà valu de
nombreux prix au Québec, en plus de le conduire, en 1997, au Festival
d’Avignon, dans la Cour d’honneur du Palais des papes.

Leo Yaffe

Professeur émérite de l’Université McGill, Leo
Yaffe mène depuis ses débuts une brillante carrière de
chercheur et de professeur de chimie nucléaire. Pendant près de
50 ans, il saura communiquer son enthousiasme et son goût pour la recherche
scientifique à des dizaines d’étudiants diplômés,
devenus ensuite chefs de file dans leur domaine. Ses publications (au-delà
de 150) et ses conférences à l’échelle mondiale (pas moins
de 400 dans 20 pays différents dont l’Angleterre, le Japon, l’Italie,
l’URSS et la Chine) constituent une contribution éclatante au rayonnement
international du Québec.

L’énergie atomique au service de la paix

Leo Yaffe obtient, au début des années 40, un baccalauréat
en sciences et une maîtrise en chimie physique de l’Université
du Manitoba, qui lui remet quelques années plus tard, un doctorat honoris
causa
en sciences. Cette période d’initiation à la recherche
marque une étape importante de sa formation, car il apprend à
mener une expérience à terme tout en conservant le détachement
indispensable à l’interprétation de résultats scientifiques.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, il déménage à
Montréal où il entreprend des études menant à l’obtention
d’un doctorat à l’Université McGill. Ses travaux portent sur la
mise au point d’un filtre pour la fumée, destiné à des
masques antipoison pour les militaires.

En 1943, le nouveau docteur est recruté par Énergie atomique
du Canada pour travailler en secret à l’Université de Montréal.
« Nous ne travaillions pas sur la fabrication de bombes, précise-t-il,
mais plutôt sur des utilisations pacifiques de l’énergie atomique.
 » Le jeune chercheur se trouve rapidement plongé dans un univers
de recherche à caractère international. Plus de 200 scientifiques
renommés qui ont quitté l’Europe dévastée par la
guerre y formeront un groupe exceptionnel.

À la fin du conflit, l’équipe déménage à
Chalk River, en Ontario, où, pendant sept années, Leo Yaffe dirige
le Groupe de recherche en chimie nucléaire. Ce travail de recherche fondamentale
débouche sur quelques applications pratiques, particulièrement
sur la thérapie au cobalt. En 1952, Leo Yaffe revient à Montréal
pour enseigner à l’Université McGill, tout en poursuivant ses
travaux de recherche. Il contribue au développement de l’enseignement
de la chimie de cet établissement en élaborant deux nouveaux cours
de chimie nucléaire. Parallèlement, il poursuit ses travaux de
recherche fondamentale sur la fission nucléaire, qui débouchent
notamment sur l’utilisation de traceurs radioactifs en médecine. Il agit
aussi à titre de consultant dans divers hôpitaux, où il
préconise sans relâche une utilisation sécuritaire du matériel
de recherche radioactif, comme il le fait d’ailleurs dans les laboratoires de
l’université. Par ailleurs, il devient conseiller de la délégation
canadienne lors des Atoms for Peace Conferences à Genève, en 1955
et en 1958.

En 1963, le professeur Yaffe profite d’un congé sans traitement pour
se rendre à Vienne. Pendant deux années, il y dirige la recherche
et les laboratoires de l’Agence internationale de l’énergie atomique
(AIEA), organisation sous l’égide des Nations Unies, dont le mandat consiste
à diffuser les utilisations pacifiques de l’énergie atomique dans
les pays en voie de développement.

Un pédagogue hors du commun

Le séjour de Leo Yaffe à la direction du Département de
chimie, de 1965 à 1972, est perçu encore aujourd’hui comme l’âge
d’or de la chimie à l’Université McGill. En effet, au cours de
ces années, le personnel du Département double et l’on décerne
près du quart de tous les diplômes des cycles supérieurs
attribués depuis 1910, l’année du premier doctorat! Le Département
prend également la tête dans l’élaboration de méthodes
d’enseignement innovatrices. Leo Yaffe, reconnu pour son discours éloquent
et coloré, attire nombre d’étudiants de toutes les disciplines
dans son cours intitulé : « Introduction to Nuclear Chemistry ».

Le professeur-chercheur s’engage aussi dans des associations de chimistes.
En 1979, l’Institut canadien de chimie, qu’il préside pendant deux années,
lui attribue la Médaille de Montréal. Trois années plus
tard, l’Association américaine de chimie lui décerne l’ACS Award
for Nuclear Chemistry, la plus prestigieuse reconnaissance au monde en matière
de chimie nucléaire.

Malgré l’accumulation de tâches administratives, la recherche
et l’enseignement demeurent une priorité pour Leo Yaffe. Son rôle
de pédagogue en particulier lui procure beaucoup de joie, car, explique-t-il,
« la transmission de connaissances de génération en génération
demeure pour moi la plus noble des professions ». D’ailleurs, à
l’occasion de son 65e anniversaire de naissance, ses étudiants, collègues
et amis profitent d’un colloque sur la chimie nucléaire pour honorer
cette facette de son œuvre en créant le prix Leo-Yaffe, accordé
chaque année à un professeur de la Faculté des sciences,
en reconnaissance de l’excellence de son enseignement.

Au cours des dernières années de sa carrière, Leo Yaffe
se passionne pour un nouveau champ de recherche, l’archéométrie.
En collaboration avec des archéologues et des anthropologues, il scrute
des fragments de poterie. La composition atomique de l’argile qui façonne
ces fragments révèle leur origine géographique.

Au fil de sa carrière, Leo Yaffe défend toujours avec acharnement
l’utilisation pacifique de l’atome. Ses nombreuses participations à des
conférences internationales sur la question en témoignent. Jusqu’à
sa mort, le 14 mai 1997, il reste convaincu que l’utilisation sécuritaire
du nucléaire à des fins énergétiques est non seulement
possible mais essentielle. Son seul regret est de ne pas avoir réussi
à dissocier, dans l’esprit de la population, l’image de la bombe de celle
de l’énergie atomique dont il a tenté, pendant toute une vie,
de percer le secret.

Le souvenir de Leo Yaffe flottera sûrement éternellement entre
les murs de l’Université McGill ainsi que dans la communauté scientifique
canadienne et internationale. « Il a su intégrer l’honnêteté
intellectuelle, l’humanité et la vitalité à tout ce qu’il
a fait », se souviennent collègues et amis.

Fernand Dumont

Une interprétation du monde

Maître à penser de générations d’étudiants
en sciences sociales, Fernand Dumont est considéré comme l’un
des plus grands intellectuels de son temps. Au lendemain de son décès
le 1er mai 1997, Réginald Martel écrit fort justement que «
Fernand Dumont a fait le pont entre l’ancien Québec et le nouveau Québec
». Esprit hors du commun, ce penseur universel interprète le monde
à partir de celui dans lequel il vit. À la fois philosophe, historien,
théologien et poète, le sociologue laisse une œuvre considérable,
inclassable aussi parce que Fernand Dumont est un esprit généraliste
et un grand humaniste.

Son œuvre – 20 livres, 17 ouvrages édités et environ 200
articles – est la preuve de l’originalité de sa pensée, de son
enthousiasme indéfectible pour la recherche et la réflexion critique
comme de son souci constant d’une pensée rigoureuse et d’une langue soignée.
Chaleureux, Fernand Dumont sait exposer les concepts les plus élaborés
avec une simplicité et un naturel qui révèlent son don
exceptionnel de communicateur. Ses étudiants se souviennent de lui comme
d’un enseignant magistral, un homme qui sait éveiller la curiosité,
stimuler l’intelligence.

Un sociologue de la connaissance et de la culture

Né en 1927, à une époque où le travail à
l’usine, dès la fin de la septième année, est monnaie courante,
Fernand Dumont, passionné par les études, convainc ses parents
de la nécessité de le laisser poursuivre sa formation. Après
son cours scientifique, il choisit d’entreprendre des études classiques
qui le conduisent à la nouvelle Faculté des sciences sociales
de l’Université Laval. La liberté d’esprit et la valorisation
de l’initiative personnelle qui y ont cours le séduisent immédiatement.
Alors qu’il achève une maîtrise en sociologie sur la pensée
juridique, les autorités de l’Université lui laissent entendre
que, une fois son doctorat terminé, il pourra enseigner à la Faculté.
Stimulé par cette perspective, Fernand Dumont se rend à Paris
en 1953 faire un doctorat en sociologie. Durant ce séjour en France,
il s’initie aussi à l’étude de la psychologie et de la psychanalyse,
disciplines auxquelles il restera attaché toute sa vie, comme en témoignent
les constantes références qui émaillent son œuvre,
allant même jusqu’à écrire un article, « L’idée
de développement culturel : esquisse pour une psychanalyse », très
remarqué lors de sa publication en 1979.

De retour à Québec, en 1955, Fernand Dumont enseigne et fait
de la recherche à l’Université Laval, où il restera jusqu’à
sa retraite. Ses cours portent alors principalement sur la sociologie de la
connaissance, la théorie de la culture et l’épistémologie
des sciences humaines. Parallèlement à sa carrière de professeur,
il fonde l’Institut supérieur de recherches en sciences humaines à
l’Université Laval et l’Institut québécois de recherche
sur la culture. En 1960, avec Yves Martin et Jean-Charles Falardeau, la revue
Recherches sociographiques, qui demeure la principale revue interdisciplinaire
d’études québécoises, est lancée sous son impulsion.

De 1968 à 1970, Fernand Dumont préside la Commission sur la place
des laïcs dans l’Église au Québec, dont les travaux suscitent
beaucoup d’intérêt, et il fait une incursion dans la haute fonction
publique québécoise afin de participer, avec Guy Rocher, à
la rédaction du projet de loi 101 et de la Charte de la langue française.
Savant et homme de culture, Fernand Dumont est aussi un acteur engagé
dans les débats politiques de son temps, comme le montrent ses nombreuses
conférences publiques et entrevues, dont les principales sont réunies
dans un ouvrage posthume : Fernand Dumont, un témoin de l’homme
(2000).

Un auteur prolifique

Fernand Dumont laisse derrière lui une œuvre savante considérable
répartie selon trois axes principaux : la philosophie des sciences humaines
et la théorie de la culture, la pensée religieuse et philosophique
et, enfin, les études québécoises. De son expérience
vécue entre le monde ouvrier de son enfance et le monde de la culture
savante de sa vie d’adulte, le sociologue de l’Université Laval tire
une conception originale de la culture comme milieu et horizon, présentée
dans Le lieu de l’homme (1968), ouvrage récompensé par
le Grand Prix littéraire de la ville de Montréal et le Prix du
Gouverneur général du Canada. Si la culture est bien un lieu,
« ce n’est pas comme une assise de la conscience, mais comme une distance
qu’elle a pour fonction de créer » , écrit-il dans cet ouvrage
dans lequel il reconnaissait le mieux le sens de ses recherches. Fernand Dumont
publie aussi sa thèse de doctorat, La dialectique de l’objet économique
(1970), traduite en espagnol, ensuite Les idéologies (1974), L’anthropologie
en l’absence de l’homme
(1981), Le sort de la culture (1987) et L’avenir
de la mémoire
(1995).

Ses travaux concernant les études québécoises comptent
des publications importantes, dont L’analyse des structures régionales
(avec Yves Martin), La vigile du Québec (1971) et Raisons communes
(1997). Son ouvrage ayant pour titre : Genèse de la société
québécoise remporte le prix France-Québec en 1993 et est
alors qualifié de « bible de la société québécoise
», allant de Christophe Colomb jusqu’à la seconde moitié
du XIXe siècle. Cet ouvrage, dans lequel il retrace l’émergence
en Amérique du Nord d’une société globale nouvelle, propose
du même coup une conceptualisation originale pour l’étude des sociétés
autour du concept de référence.

Poète et écrivain, Fernand Dumont publie en outre au fil des
années trois recueils de poèmes, réunis dans La part
de l’ombre
en 1996, et une autobiographie, Récit d’une immigration
(1997), rédigée tout juste avant son décès. Il s’intéresse
à la théologie et au renouvellement de la pensée chrétienne
tout au long de sa carrière. Au soir de sa vie, il aura encore le temps
d’écrire un ouvrage personnel, Une foi partagée (1996),
à la fois analyse lucide sur son époque et témoignage de
sa propre foi chrétienne.

Joseph Rouleau

Le plus important concours d’art vocal au Canada porte son nom depuis 1993.
Récemment, la Ville de Matane donnait à son nouveau complexe culturel
le nom de Joseph Rouleau. Ces hommages, de même que l’attribution du prix
Denise-Pelletier, témoignent de la reconnaissance d’une carrière
exceptionnelle et de l’attachement de Joseph Rouleau à la ville où
il est né.

L’art lyrique québécois lui doit en effet beaucoup. Non seulement
le chanteur l’a-t-il auréolé de sa renommée internationale,
mais il l’a de plus gratifié de son engagement indéfectible et
de son enseignement. Sa voix de basse a résonné sur les scènes
les plus prestigieuses du monde. Il a eu comme partenaires les chanteurs et
les chanteuses les plus célèbres, a travaillé avec les
plus grands chefs d’orchestre, les meilleurs metteurs en scène et interprété
les plus grands rôles.

Après avoir étudié à Milan, Joseph Rouleau remporte
en 1955 le concours du New Orleans Experimental Theatre, ce qui l’amène
à faire ses débuts américains dans le rôle de Colline
dans La Bohème de Puccini. C’est sur cette lancée qu’il
signera l’année suivante un premier contrat avec la Royal Opera House,
à Covent Garden. Joseph Rouleau y deviendra basse principale et membre
permanent. Il y chantera pendant 30 années consécutives et prendra
part à 1 000 représentations dans pas moins de 45 productions.
Il fait ses débuts au Metropolitan Opera de New York en 1984 dans le
rôle du Grand Inquisiteur de Don Carlos de Verdi. À la fin
des années quatre-vingts, il reprendra chez nous, en version concert,
le grand rôle de sa carrière, Boris Godounov, dont un enregistrement
est maintenant disponible.

Joseph Rouleau a été le fondateur et le président du Mouvement
d’action pour l’art lyrique du Québec qui donnera naissance à
l’Opéra de Montréal. Professeur de chant à l’Université
du Québec à Montréal, il y fonde un atelier d’art lyrique.
De sa collaboration étroite avec le compositeur Jacques Hétu naîtront
au cours des années quatre-vingts le film musical de Gilles Groulx, Au
pays de Zom
, dont il tient le rôle principal et le cycle Les Abîmes
du rêve
créé à partir de quatre poèmes
d’Émile Nelligan. Il a aussi tenu le premier rôle de La Messe
sur le monde
de Clermont Pépin présentée par l’Orchestre
symphonique de Québec en 1993. Son éclectisme et sa polyvalence
l’ont amené en 1990 à enregistrer un album de chansons de Félix
Leclerc autour duquel il donne des récitals et des concerts.

De nombreux prix et distinctions au Canada et à l’étranger ont
émaillé le parcours de sa brillante carrière. Malgré
ce succès international impressionnant, Joseph Rouleau, qui est président
des Jeunesses musicales du Canada depuis 1989, est demeuré profondément
enraciné au Québec, y œuvrant sans relâche à
l’épanouissement de l’art lyrique.

Andrée Maillet

Issue d’un milieu familial de journalistes et d’artistes, Andrée Maillet
a commencé jeune une œuvre personnelle et une carrière de
correspondante de presse en Europe – dès 1941, en fait. Membre de
l’Anglo American Press Association, éditorialiste au Petit Journal,
propriété de son père, directrice de la revue Amérique
française
, fondatrice du Pen Club canadien-français, candidate
du R.I.N. dans Westmount, Andrée Maillet a mené tambour battant
une vie militante et produit une œuvre féconde : des contes et des
romans pour enfants et adultes, des poèmes, du théâtre à
la scène, à la radio et à la télévision.

Ses œuvres les plus connues demeurent, en poésie, Le Chant de
l’Iroquoise
(1967), en roman, le mythique Profil de l’orignal (1952),
Les Remparts de Québec (1964), À la mémoire d’un
héros
(1975) et Lettres au surhomme I-II (1976-1977), en nouvelles,
le recueil, désormais classique, Les Montréalais (1963).

Jean Éthier-Blais disait que l’œuvre d’Andrée Maillet « 
enseigne le réel ». Elle plonge au cœur des couches sociales
les plus variées, qui faisaient les délices de Balzac, et s’attarde
à démonter les mécanismes subtils et souvent cruels, d’intérêt
multiple et stratégique, de la passion qui s’empare des êtres de
chair comme des êtres de papier, cette maladie romantique qui permet de
se fuir soi-même en plongeant dans une altérité déraisonnable.
Féministe avant l’heure, libre penseuse engagée, elle a su explorer
les cœurs et les ambitions des héroïnes canadiennes-françaises
de la petite bourgeoisie, aussi bien que ceux des anarchistes en chambre, de
la faune subversive de Radio-Canada des années cinquante et soixante,
des millionnaires de Westmount et des néo-Canadiens qui s’intègrent
mal à la nouvelle réalité d’un Québec en pleine
mutation, surtout à la suite des tragiques et ambigus événements
d’octobre 1970 qui ont, aux yeux de la romancière, profondément
stigmatisé l’imaginaire artistique d’ici, lui imposant un nouveau rapport
à l’Histoire. À propos de Profil de l’orignal, qui a donné
la mesure de son talent dans des pages fastueuses et épiques, le poète
Gaston Miron a écrit : « Premier roman d’imagination et des métamorphoses
de notre littérature. »

Le regard qu’Andrée Maillet porte sur la société québécoise
en mouvement et sur les changements de mentalité des femmes fait état
des transformations du monde du travail, des conditions familiales, des modèles
de l’amour. D’une écriture fine et large, audacieuse et dénonciatrice,
engagée jusqu’au bout des mots, réaliste jusqu’au poétique,
l’œuvre d’Andrée Maillet est enracinée dans la modernité
littéraire et politique du Québec.

Gilles Carle

La Vie heureuse de Leopold Z. (1965) et les longs métrages
qui vont suivre permettent à Gilles Carle d’introduire une nouvelle dimension
dans le cinéma québécois : celle du conte, de la fantaisie,
de la fable sociale amusée.

Contrairement à la majorité des cinéastes québécois
de sa génération, Carle n’est pas allé à l’école
du cinéma direct. Véritable touche-à-tout, il se destine
plutôt à une carrière en arts visuels, participe à
la fondation des Éditions de L’Hexagone avec Miron et d’autres écrivains,
puis signe quelques brefs documentaires aux accents très personnels (Dimanche
d’Amérique
, 1961 ; Percé on the Rocks, 1964). Le ton
est donné, la carrière de Carle ira dans tous les sens, de la
fiction au documentaire, de la publicité à la grande série
historique (Épopée en Amérique, 1997-1998), du film
érotique intimiste (L’Ange et la Femme, 1977) à la superproduction
(Les Plouffe, 1981).

Mais derrière cet éclectisme, toujours la même verve, l’effronterie,
la truculence et l’amour des femmes. Dans ses meilleurs films, Carle pose un
regard tendre et amusé sur la société pour traiter de l’opposition
nature/culture. Ce sont Les Mâles (1970) puis La Vraie Nature
de Bernadette
(1972), dans lesquels l’utopie d’un retour à la terre
se butte aux désirs primaires des individus. À ces longs métrages
s’ajoutent Le Viol d’une jeune fille douce (1968), Red (1969),
La Mort d’un bûcheron (1973) et La Tête de Normande Saint-Onge
(1975), quatre films dans lesquels le cinéaste aborde les questions de
l’aliénation et de l’exploitation à travers des personnages en
quête d’une structure familiale. Car la famille est au centre des préoccupations
de Carle, ce qui explique probablement qu’il ait été si à
l’aise au moment de mettre en scène la fresque des Plouffe.

Unique, l’œuvre de Gilles Carle a été longtemps la seule,
au Québec, à réconcilier le public et la critique, à
obtenir à la fois une reconnaissance locale et internationale. C’est
sans doute qu’elle aborde avec sincérité la réalité
québécoise, mais à travers un rapport à la fois
simple et personnel aux genres et à l’écriture cinématographique.
Carle ne pose pas la question du cinéma d’auteur en l’opposant au cinéma
populaire ; il intègre plutôt la singularité de son regard
à une volonté manifeste d’être entendu. Ainsi, rien d’étonnant
à ce qu’il ait été le premier à découvrir
André Forcier, car comme lui son œuvre s’appuie sur des fondements
réalistes pour déboucher sur l’imaginaire.

Claude Tousignant

Le jury du prix Paul-Émile-Borduas couronne en 1989 un plasticien radical
qui écrivait en 1959 dans le catalogue de l’exposition Art abstrait,
présentée à l’École des beaux-arts de Montréal
: « Ce que je veux, c’est objectiver la peinture, l’amener à
sa source, là où il ne reste que la peinture vidée de toute
chose qui lui est étrangère, là où la peinture n’est
que sensation. »

Claude Tousignant fait ses études au School of Art and Design, à
Montréal, de 1948 à 1951. Il entre très tôt en contact
avec la production des grands Américains – entre autres, Pollock,
de Kooning, Guston, Rothko – à l’occasion d’une exposition présentée,
en 1949, au Musée des beaux-arts de Montréal. Pendant l’année
1952-1953, il séjourne à Paris d’où il rentre très
déçu de ce qui s’y fait en peinture à ce moment-là.
Il trouve le milieu montréalais autrement stimulant : c’est l’époque
des expositions Place des artistes, en 1953, La Matière chante,
en 1954, et Espace 55.

C’est dans ce contexte qu’il commence à exposer des œuvres géométriques
de plus en plus épurées, qui l’amèneront à réaliser,
dès 1956, son célèbre Monochrome orangé.
Au début des années soixante, il découvre l’œuvre
de Barnett Newman, qui le confirme dans son parti pris d’explorer la couleur
pure et la forme épurée. Dans la foulée, il commence à
inscrire la forme ronde dans ses tableaux, ce qui le conduira, autour de 1965,
à adopter le format circulaire, à faire coïncider le format
et la forme. De là sortiront les fameuses séries qui demeurent
la « marque de commerce » de Tousignant : les Transformateurs
chromatiques
(1965), les Gongs (1966), les Accélérateurs
chromatiques
(1967).

Les manifestations importantes de Claude Tousignant ne se comptent plus, depuis
sa première exposition, en 1955, au bar de l’Échouerie. En 1973,
la Galerie nationale du Canada lui consacrait une rétrospective qui a
circulé ailleurs au Canada, tandis que le Musée d’art contemporain
de Montréal présentait, en 1980, ses Diptyques des deux
dernières années. Mentionnons aussi une exposition importante
de ses seules sculptures au Musée des beaux-arts de Montréal,
en 1982, et, plus récemment, une rétrospective ne réunissant
que ses MONOCHROMES de 1978 à 1993 au Musée du Québec.

Jacques LeBlanc

Jacques LeBlanc fait figure de pionnier de la recherche biomédicale
au Québec et au Canada, et cela, non seulement à cause de l’époque
héroïque pendant laquelle il a commencé sa carrière
(1950), mais aussi parce qu’il s’est fait connaître très tôt
par la qualité et l’originalité de ses recherches.

Michel Jobin, professeur associé et ex-directeur, Département
de physiologie, Faculté de médecine, Université Laval.

Le physiologiste Jacques LeBlanc, dont l’œuvre est basée sur la
relation de l’être humain avec son milieu, inspire le respect dans le
domaine de la recherche biomédicale en raison de l’audace de ses travaux.
Depuis près de 50 ans, ce chercheur passionné interprète
un aspect tout particulier des liens étroits de l’être humain avec
la nature : l’exposition au froid. Les travaux de ce Québécois,
qui s’impose en expert des mécanismes de résistance et d’adaptation
au froid, suscitent très tôt l’intérêt des milieux
scientifiques internationaux en raison de leur qualité et, surtout, de
leur nouveauté.

Les chemins de la recherche

Dès sa sortie du tout nouveau Département de biologie de l’Université
Laval — en 1947, il est de la troisième promotion —, Jacques LeBlanc
fait preuve d’initiative. Il poursuit des études de troisième
cycle à une époque où la recherche biomédicale en
est encore à ses premiers balbutiements. L’aventure en vaut la peine.
Il devient l’un des chefs de file de la jeune discipline.

D’abord pour le ministère de la Défense canadienne puis celui
de la Défense américaine, le chercheur s’attaque, au cours des
années 50, à un domaine peu exploré : la physiologie humaine
appliquée. Ses premiers travaux témoignent de « son effort
de guerre » sur le plan scientifique. Il démontre en effet que
la vitamine C réduit les douleurs aux pieds, à l’œdème,
ainsi que la difficulté à marcher des militaires exposés
au froid pendant longtemps et dont le régime est déficient en
calories. À la suite de ces résultats, 500 mg de vitamine C seront
ajoutés aux rations de survie de l’armée canadienne.

Que ce soit dans les laboratoires de recherche ou dans l’immense laboratoire
naturel du Grand Nord canadien, Jacques LeBlanc dissèque les moindres
détails de la machine du froid pour ses études réalisées
sur les Inuits, les militaires, les pêcheurs de la Gaspésie, les
débardeurs ou encore les postiers. Ses résultats, résumés
dans ses multiples publications ou livrés lors de communications dans
le monde entier, se trouvent finalement rassemblés, en 1975, dans un
ouvrage qui fait autorité dans les milieux scientifiques : Man in
the Cold
. Cet ouvrage présente les découvertes de l’un des
premiers physiologistes à se pencher sur les mécanismes de régulation
des températures.

De l’espoir pour le traitement du diabète et de l’obésité

Les travaux de Jacques LeBlanc ne se limitent pas au seul domaine du froid.
Se greffent bientôt sur ceux-ci des études concernant l’endocrinologie,
le système nerveux, la nutrition et l’activité physique, ce qui
confère ainsi une richesse et une profondeur particulières à
son œuvre. Il s’intéresse plus précisément, dans les
années 70, aux effets de l’exercice sur la tolérance au glucose,
la sécrétion d’insuline et les dépenses énergétiques.
Ses recherches aboutissent à une découverte d’une grande importance
médicale : l’entraînement physique réduit d’environ 40 p.
100 les besoins d’insuline. Ces résultats prometteurs ouvrent de nouvelles
perspectives dans la recherche sur le diabète. Des applications immédiates
quant au traitement et à la prévention de la maladie sont de surcroît
entrevues.

La perspicacité et le sens de l’innovation caractérisant Jacques
LeBlanc le conduisent à des observations originales sur la nutrition
et qui trouvent des applications directes dans la compréhension de l’obésité.
Le chercheur démontre, par exemple, que plus appétissante est
la nourriture, plus grande est la dépense de calories lors de l’ingestion.
Ainsi, il constate que plusieurs petits repas alléchants, au lieu des
trois repas traditionnels, augmentent les dépenses d’énergie du
métabolisme. La découverte de ces mécanismes donnera lieu
à de nouvelles recherches en vue de vérifier s’ils n’ont pas une
incidence sur la prise de poids des personnes obèses.

Dans la lignée des grands physiologistes classiques

Au fil de sa carrière, le professeur Jacques LeBlanc délaisse
souvent les sentiers battus; il est un des rares physiologistes à faire
ses expériences autant sur les animaux que sur les humains, ce qui, dans
le dernier cas, se révèle une plus délicate et complexe
entreprise. L’avantage de cette démarche expérimentale vaut tout
de même l’effort, car elle permet de situer le sujet dans sa totalité.

Michel Jobin, un de ses proches collègues, explique d’ailleurs à
cet égard que, « à l’heure où la recherche biomédicale
est de plus en plus orientée vers la biologie moléculaire, Jacques
LeBlanc continue de mener avec beaucoup de succès une recherche plus
globale, qui le situe dans la lignée des grands physiologistes classiques
 ». La perspective d’ensemble qui distingue Jacques LeBlanc est par ailleurs
mêlée d’une touche incontestable d’imagination et d’intuition.
Cette dernière aptitude se manifeste, par exemple, lorsque, parmi une
infinité de possibilités de protocoles expérimentaux, le
scientifique sait détecter celui qui le mènera directement aux
résultats lui permettant de vérifier son hypothèse.

Un enthousiasme intarissable

La qualité de l’ensemble de l’œuvre de Jacques LeBlanc inspire le
respect à ses pairs et lui procure l’appui des organismes subventionnaires,
notamment ceux du Conseil de recherches médicales et de la Défense
nationale. Plus significative encore est l’attribution d’un des rares postes
de chercheurs de carrière du Conseil de recherches médicales du
Canada, qu’il a obtenu en 1956. Cette bourse a été maintenue sans
interruption jusqu’en 1993… au-delà de l’âge de retraite du
chercheur. Voilà qui vient confirmer d’admirable façon la qualité
première que lui reconnaissent ses collègues : un éternel
enthousiasme à l’égard de la dernière recherche en cours.
Cet intarissable engouement se traduit encore à 80 ans, alors que Jacques
LeBlanc poursuit une recherche sur les variations individuelles au stress, subventionnée
par la Défense nationale.

Gérard Bergeron

Le maître politologue

Par sa plume, Gérard Bergeron est devenu théoricien, historien,
journaliste, universitaire, analyste et essayiste. Son œuvre échappe
manifestement à toute catégorie exclusive et trouve plutôt
son unité dans la fidélité inconditionnelle à son
objet d’étude. Aux yeux de ce politologue, dont la renommée s’étend
au-delà des frontières du Québec, les relations politiques
entre les paliers provincial, national et international sont un véritable
laboratoire.

Aux sommets de la science politique

Même si la passion du maître déborde en de multiples directions,
l’œuvre théorique originale de Gérard Bergeron le destine
néanmoins, d’abord et avant tout, à devenir le premier théoricien
politique au Québec. Ses réflexions, qui donnent lieu à
de nombreuses publications à l’étranger, contribuent à
accroître la visibilité de la communauté scientifique québécoise.
Ainsi, en 1965, lors de la publication en France de son imposante thèse
de doctorat, Fonctionnement de l’État, il se mesure, exercice
périlleux, aux maîtres américains et européens. Le
verdict est finalement concluant et l’ouvrage fait autorité dans les
milieux d’études politiques. La préface de Raymond Aron, éminent
sociologue français, donne la mesure de la qualité de l’œuvre
: « N’ignorant rien de la littérature américaine, mais intimement
lié aux sociologues et politologues français, Gérard Bergeron
illustre avec éclat la vocation culturelle du Québec. »

Les ouvrages de cet initiateur en matière de théorie politique
gravitent autour d’un même centre : l’État. Aussi, il s’impose
comme spécialiste de la guerre froide. La coïncidence du début
de sa vie d’adulte avec l’horreur d’Hiroshima a eu une incidence sur le choix
du thème de ses deux ouvrages, La guerre froide inachevée
et La guerre froide recommencée, qu’il consacre à l’histoire
tourmentée des relations entre les deux superpuissances. Suivant pas
à pas l’histoire, Gérard Bergeron y développe un modèle
d’analyse faisant appel aux notions de fluctuations cycliques de « tension-détente
 », qui tient les lecteurs en haleine.

Un observateur lucide

L’œuvre du politologue est multiforme et d’une variété toute
« bergeronnienne » et étourdissante, selon l’expression de
l’économiste Albert Faucher. La capacité de théoriser,
liée à l’observation perspicace et attentive de la scène
politique chez cet homme passionné d’écriture, donne lieu à
plus d’une vingtaine d’ouvrages. Lorsque le théoricien cède la
plume à l’analyste, « il suit pas à pas, dans des essais
historiques et des études de conjoncture, le destin du Québec
de son temps. Il en parcourt l’histoire d’hier et celle d’aujourd’hui, choisissant
en toute lucidité le rôle du sage et les tâches de l’analyse
critique », écrit le professeur Guy Laforest.

Gérard Bergeron fait aussi de fréquentes incursions dans le monde
du journalisme, qui le fascine depuis son tout jeune âge. Pendant les
30 dernières années, et à diverses périodes, il
signe près de 400 articles percutants dans le quotidien Le Devoir
– d’abord sous le pseudonyme d’Isocrate, pour le simple plaisir de la mystification
– ainsi que dans le magazine Maclean. Rassemblés en recueils, ces articles
représentent quelque 2 000 pages à l’intérieur desquelles
sont scrutés les grands débats qui ont agité la société
québécoise.

Une conception de l’enseignement politique
au Québec

Dissimulé derrière l’éclat de ses travaux, l’enseignement
de Gérard Bergeron constitue le pan le moins perceptible de son œuvre.
Encore que l’apport exceptionnel du professeur Bergeron tienne à sa longue
carrière – il dépasse le cap de sa quarantième année
d’enseignement -, il ne faut pas oublier son rôle de pionnier. Figurant
parmi les premiers professeurs du Département de science politique de
l’Université Laval, officiellement reconnu en 1954, il doit concevoir
lui-même son rôle de formateur alors que la discipline émerge.

Premier professionnel de l’enseignement des relations internationales, il présente
aux étudiants une dimension de la discipline jusque-là méconnue.
Les travaux et les préceptes mis en avant par le professeur seront la
source première de leur propre cheminement intellectuel.

Humaniste authentique et exigeant, Gérard Bergeron s’interroge constamment
et sait se démarquer intellectuellement, en raison de son refus permanent
de s’engager dans un parti ou un mouvement. En fait, il résiste à
tous les « branchismes » (le néologisme est de lui) et préfère
demeurer au-dessus de la mêlée, à titre d’observateur critique.
On le reconnaît d’ailleurs comme celui qui « cultive l’art difficile
de s’engager sans se laisser inféoder, tout en gardant sa liberté
de penser et de critiquer » . Lui-même ne s’en cache pas : « 
Je veux garder ma liberté totale au sein même de mon engagement.
L’idéal inaccessible serait d’en être, de cette société,
et de pouvoir en parler comme n’en étant pas. De garder la tête
froide et le cœur chaud. »

Jeanne Renaud

Si Jeanne Renaud n’a pas signé Refus global, c’est qu’elle n’avait
pas atteint l’âge légal de la majorité au moment de la publication
du célèbre manifeste. Mais cette jeune femme déterminée
était animée de l’esprit de contestation, de recherche, de révolte
et de modernisme qui caractérisait les signataires.

Jeanne Renaud, chorégraphe, pionnière de la danse moderne au
Québec, est née dans une famille où l’art était
considéré avec respect. Comme toutes les petites filles de son
milieu social, Jeanne étudie le piano, le ballet et la danse moderne,
mais les chemins déjà tracés ne l’attirent pas. Elle fréquente
les automatistes et, dès 1946, s’associe à la peintre, sculpteure
et danseuse Françoise Sullivan pour présenter quelques spectacles
à Montréal. Elle étudie la danse à New York, de
1946 à 1949, pour parfaire sa formation, puis elle se rend à Paris
où, de 1949 à 1954, elle enseigne la danse. Elle y donne aussi
un spectacle à l’American Club, en 1952, auquel collaborent Riopelle
(au décor) et Pierre Mercure (à la musique).

Déjà s’exprime chez Jeanne Renaud le goût de confronter
les grands créateurs et d’explorer toutes les diversités artistiques.
Elle sait intuitivement que la danse moderne lui permettra d’exprimer la totalité
de son être et de sa présence au monde et d’illustrer les relations
et la complémentarité qui existent entre les différentes
formes d’art. Elle aime le risque, croit au travail d’équipe et préfère
commander la musique, les décors et les costumes de ses spectacles, provoquant
ainsi des rencontres stimulantes avec Jean-Paul Mousseau, Fernand Leduc, Serge
Garant, Gilles Tremblay, Mariette Rousseau-Vermette…

Fondatrice, avec son amie Françoise Riopelle, de l’École moderne
de danse de Montréal, lieu de la nouvelle danse à Montréal,
elle y sera active jusqu’à ce qu’elle fonde, seule, le Groupe de la Place
Royale. Avant-gardiste, elle présente des spectacles de danse «
sur du silence », crée des chorégraphies pour sa troupe
et poursuit des expériences sur le dépassement des limites de
la danse qui l’amènent à fonder Galerie III, lieu d’exposition,
de présentation de concerts, de danse et de théâtre.

Son expérience professionnelle en fait une personne recherchée
par les institutions culturelles. Conseillère en danse, Jeanne Renaud
est aussi membre de plusieurs conseils d’administration en art. En plus d’avoir
été chef du Service de la danse au ministère des Affaires
culturelles de 1979 à 1981, elle a travaillé au Conseil des arts
du Canada. De 1985 à 1987, elle a été codirectrice artistique
des Grands Ballets canadiens, insufflant à la troupe sa vision moderne
de la danse.

Jean Éthier-Blais

Poète, essayiste, romancier de la solitude et de l’esprit, auteur d’une
vingtaine d’ouvrages de fiction et de réflexion critique, Jean Éthier-Blais
est une des figures les plus étincelantes de la littérature québécoise.
Après une carrière de diplomate à Paris, Varsovie et Hanoï,
il a été critique au journal Le Devoir de 1960 à
1989, et professeur à l’Université McGill. Il a laissé
une œuvre éclectique empreinte d’une vaste culture et d’une profonde
humanité.

Auteur de trois recueils de poésie, Asies (1969), Le Prince
dieu
(1984) et Les Mères (1993), de plusieurs romans et recueils
de nouvelles, dont Les Pays étrangers (1982), Le Désert
blanc
(1986), Entre toutes les femmes (1988), Jean Éthier-Blais
a su tôt imprimer à son œuvre une qualité d’écriture
peu commune. Son amour pour la langue française et les thèmes
universels qu’elle a célébrés au cours des siècles
le range dans la famille des Montaigne par sa passion pour l’essai, mais aussi
dans celle de Saint-Simon pour la singulière observation de la vie et
de ses acteurs sur la scène du temps. Esthète, passionné
d’art occidental et oriental, mélomane, lecteur boulimique d’une mémoire
exceptionnelle, il fréquentait tout aussi bien les bibliothèques
des littératures italienne, allemande et anglaise que sud-américaine
et russe…

Son œuvre la plus révélatrice, Dictionnaire de moi-même
(1976), montre à la fois la dérision qui s’emparait de lui lorsqu’il
se regardait à travers le prisme de ses écrits, et l’impitoyable
vérité qui pouvait sortir de sa plume : « L’homme qui écrit
le fait à la fois pour porter un masque et pour avoir le plaisir de l’enlever.
L’écriture est une. J’ai donc écrit des poèmes, des romans,
des essais ; j’ai tracé des portraits, j’ai trop parlé des œuvres
de mes contemporains. Pour tout dire, j’ai tenté de prendre possession
du jardin de l’écriture, qui est à la fois le paradis des amours
de l’enfant et l’Éden premier où nous voulons tous rentrer, le
soir venu, après la longue journée de travail. »

Admirateur de l’œuvre et de l’engagement du chanoine Lionel Groulx à
qui il a consacré son dernier essai, Jean Éthier-Blais a toute
sa vie poursuivi la quête de soi à travers les écrits du
monde entier, source de toute démarche d’écriture véritable,
convaincu que l’on ne pouvait accéder à l’universel qu’en étant
d’abord soi-même authentique. Il protégeait son hypersensibilité
par l’humour et l’ironie fine, au sein d’une culture vaste et profonde.

Denys Arcand

Denys Arcand est marqué par la formation d’historien qu’il a reçue
ainsi que par une conscience exceptionnelle des règles de la dramaturgie.
Arcand, en effet, aborde à travers ses documentaires le présent
comme histoire en devenir : c’est d’abord le déclin de l’industrie du
textile dans On est au coton (1970), puis les élections québécoises
de 1970 dans Québec : Duplessis et après… (1972),
et enfin le référendum du 20 mai 1980 dans Le Confort et l’Indifférence
(1981). Dans ces trois documentaires, Arcand utilise la comparaison pour donner
à son discours une perspective historique, citant par exemple Le Prince
de Machiavel
pour analyser les jeux de pouvoir à l’œuvre lors
de la campagne référendaire de 1980.

Sur le plan dramaturgique, ses films de fiction renvoient à la tragédie
et à l’opéra (Réjeanne Padovani, 1973) tout comme
ils puisent certains procédés dans la théorie brechtienne
(La Maudite Galette, 1971 ; Gina, 1975). Arcand est fondamentalement
un intellectuel et la plupart de ses films reposent sur des dispositifs précis
et complexes, comme Jésus de Montréal (1989), qui actualise
les principaux événements de la vie du Christ pour confronter
morale religieuse et morale artistique.

Sur le plan thématique, le thème de la décadence domine
nettement. Du crime minable qui tourne mal dans La Maudite Galette à
l’ascension puis à la descente du top model de Stardom (2000),
Arcand semble fasciné par les fins de règne, par la vanité
absurde des actions humaines qui n’ont pour effet que d’accélérer
l’inévitable entropie. C’est pourquoi Réjeanne Padovani reprend
les grandes lignes de l’exécution de l’impératrice Messaline,
Le Confort et l’Indifférence cite abondamment les écrits
du principal témoin de la chute des Médicis, tandis que le plus
grand succès de la carrière du cinéaste s’intitule, simplement,
Le Déclin de l’empire américain (1986).

Observateur attentif de la société québécoise,
Denys Arcand a toujours résisté à la tentation de dicter
une conduite politique au spectateur. Il a plutôt préféré
montrer le présent à la lueur des déterminations historiques,
ce que ses détracteurs ont appelé du cynisme et ses défenseurs
de la lucidité. Il est tout de même remarquable de constater que
dès ses premiers essais réalisés alors qu’il était
dans la jeune vingtaine (Champlain, 1964 ; Les Montréalistes,
1965), Arcand posait sur le Québec ce même regard rigoureux teinté
d’un humour aux allures de désespoir poli.

Fernand Leduc

Curieusement, l’aîné des amis de Borduas ne sera que le quatrième
signataire du Refus global à recevoir le prix, après les
« jeunes »Jean-Paul Riopelle, Marcelle Ferron et Françoise
Sullivan. À l’époque, Fernand Leduc était un des « haut
parleurs » du groupe, avec Claude Gauvreau, et ses écrits,
de même que sa correspondance, demeurent des documents essentiels pour
comprendre le climat culturel du Québec, au cours des années quarante
et cinquante. Plus expérimenté et plus informé que les
autres disciples, il sera une sorte de théoricien doublé d’un
propagandiste du groupe : « L’artiste, un être anormal
? écrivait-il dans le Quartier Latin dès 1944. Mais l’état
normal de l’homme est l’état de vie. L’artiste n’est en marge de la société
que lorsque celle-ci est en marge de la vie. »

Leduc, séduit par l’exposition de Pellan en 1940, puis fortement impressionné
par l’exposition des gouaches de Borduas en 1942, sera de toutes les manifestations
du groupe des automatistes jusqu’à l’événement Espace
55
, au Musée des beaux-arts de Montréal, qui consacre une
peinture non figurative plus dépouillée, plus ordonnée,
souvent en rupture avec l’automatisme. Mais c’est un lent parcours, avec toute
une quête d’équilibre et de rigueur, qui mènera le peintre
des automatistes aux plasticiens : « Seuls sont peintres, écrivait-il
dès 1944, ceux qui construisent, qui ordonnent par le dedans,
dans le sens de la vie. » En 1956, c’est lui qui fonde l’Association
des artistes non figuratifs de Montréal, dont il devient le président.

Leduc sera de plus en plus le peintre de la seule lumière et ne cessera
de redire son admiration pour Rothko et Albers qu’il considère comme
les pères de ce type de recherche picturale. En 1980, soit dix ans après
une première rétrospective de l’ensemble du travail de Leduc,
le Musée d’art contemporain de Montréal présente une exposition
consacrée à sa seule production des années soixante-dix,
les fameuses Microchromies, si radicales qu’elles semblent défier
les lois minimales de la communication. Elles manifestent la quête de
plus en plus ascétique du peintre de la « sérénité
de la contemplation lumineuse ». Vingt ans plus tard, Leduc poursuit
cette quête luministe avec la même passion, ne cessant de pacifier
et de dédramatiser les éléments du tableau.

Entre-temps, le Musée des beaux-arts de Chartres et le Musée
du Nouveau Monde de La Rochelle auront consacré une rétrospective
exhaustive à la production de Fernand Leduc de 1943 à 1985.

Germain J. Brisson

La carrière de Germain J. Brisson, c’est la synthèse réussie
de l’agronome compétent et du scientifique rigoureux. Son action peut
être définie en quatre mots : excellence, modernité, originalité
et persévérance.

Gaston J. St-Laurent, professeur et vice-doyen, Faculté des sciences
de l’agriculture et de l’alimentation, Université Laval; premier étudiant
diplômé du professeur Brisson.

On ne peut évoquer l’émergence de la recherche québécoise
en nutrition sans parler de Germain J. Brisson. Premier agronome francophone
à s’orienter vers la recherche en nutrition animale, il est aussi l’un
des premiers à percevoir la complémentarité des recherches
dans les domaines de l’alimentation animale et de l’alimentation humaine. Ce
chercheur favorisera en outre l’accès du Québec à la scène
agroalimentaire mondiale.

Depuis presque 40 années, l’influence de Germain J. Brisson est déterminante
dans la formation de chercheurs en nutrition. Les applications de ses recherches,
quant à elles, contribuent encore à rationaliser les exploitations
agricoles d’ici et d’ailleurs. L’alimentation de tous et chacun bénéficie
donc de l’esprit perspicace de ce chercheur.

Un guide

Dès 1962, Germain J. Brisson enseigne à la toute nouvelle Faculté
d’agriculture de l’Université Laval. Il devient par la suite le principal
artisan de la création du Centre de recherche en nutrition, qu’il dirige
de 1968 à 1978. Au cours de cette période, ce centre de recherche
s’affirme sur les plans national et international comme partenaire dans l’émergence
et le progrès de l’alimentation humaine et animale. Par son intermédiaire,
l’Université Laval devient la première université canadienne
à participer aux activités de l’Université des Nations
Unies.

L’alimentation quotidienne des animaux d’élevage, dont les porcs, les
veaux, les poulets et les vaches laitières, tire quotidiennement profit
des résultats des travaux scientifiques de Germain J. Brisson. En mettant
en évidence le rôle de l’acide folique (une vitamine du groupe
B) dans la nutrition, le chercheur et son équipe permettront notamment
aux éleveurs de porcs du monde entier d’accroître de près
de 10 p. 100 les portées des truies. L’élevage des jeunes veaux
bénéficie également des travaux de Germain J. Brisson sur
les sources de protéines utilisées dans la préparation
du lait de remplacement. Ses recherches montrent aussi que la composition du
gras du lait peut être améliorée en modifiant l’alimentation
de la vache. À la suite des découvertes de Germain J. Brisson
et de son équipe, des normes de qualité seront définies.
Elles servent maintenant de référence dans le cas de la production
industrielle de certains aliments destinés au bétail.

L’aventure du savoir

Germain J. Brisson parle de la recherche en agriculture et en alimentation
comme d’une aventure passionnante. Il s’émerveille encore de voir ses
étudiants aborder des problèmes très concrets (par exemple,
le besoin de mettre au point un beurre qui resterait onctueux même gardé
au froid), pour se trouver par la suite plongés dans d’impressionnantes
recherches fondamentales, avant d’entrevoir d’autres applications insoupçonnées
de leurs nouvelles connaissances.

Le savoir de Germain J. Brisson, tiré de multiples sources, lui apporte
une compréhension globale des phénomènes et l’incite, au
début des années 80, à prendre la défense des produits
animaux dans la controverse les opposant aux graisses végétales
au sujet du cholestérol humain : « Je me suis rendu compte qu’il
fallait absolument que j’intervienne pour dénoncer le sort injuste fait,
entre autres, au beurre, qui était dénigré par rapport
au produit le plus artificiel et le plus « chimifié » qui
soit, la margarine. Ses prises de position scientifique audacieuses, tandis
que l’intérêt de quelques multinationales et qu’une certaine mode
concourent à discréditer les produits animaux, seront corroborées
par plusieurs chercheurs en pathologie humaine. Son ouvrage publié sur
le sujet, Lipides et nutrition humaine, lui vaudra d’ailleurs le prix
Pierre et Céline Lhermite de l’Académie nationale de médecine
(France).

Tout au long de sa carrière, Germain J. Brisson signera plus de 260
publications et communications scientifiques et prononcera au-delà de
140 conférences dans des congrès scientifiques nationaux et internationaux.
Il agira aussi à titre de consultant auprès de l’Agence canadienne
de développement international (ACDI), du Centre de recherche pour le
développement international (CRDI), du ministère de l’Agriculture
du Canada, de plusieurs ministères québécois et de nombreuses
entreprises. Lauréat du prix Leo-Pariseau de l’Association canadienne-française
pour l’avancement des sciences (ACFAS), il reçoit également le
titre de commandeur de l’Ordre du mérite agronomique de l’Ordre des agronomes
du Québec. L’Institut agricole du Canada soulignera aussi la contribution
marquante du chercheur québécois à la compréhension
des phénomènes de la nutrition animale en le nommant membre (fellow).
Il sera en outre intronisé au Temple de la renommée de l’agriculture
du Québec.

Le travail d’avant-gardiste, de scientifique et de formateur de Germain J.
Brisson contribue depuis ses débuts à donner aux sciences de l’alimentation
leurs véritables lettres de noblesse. « Il est aujourd’hui rassurant
de constater la capacité de l’agroalimentaire québécois
à surmonter les nouveaux défis technologiques, explique Gaston
St-Laurent. Ces défis reposent sur la qualification des ressources humaines
et sur l’accélération de la recherche scientifique. » Le
professeur Brisson est de ceux qui ont permis aux jeunes chercheurs de relever
ces nouveaux défis.

Bien qu’il soit fier des progrès notables rendus possibles grâce
à ses travaux, le docteur Brisson trouve encore plus important son rôle
dans la formation de plusieurs générations de chercheurs en nutrition.
Parmi les 45 étudiants diplômés qu’il formera (certains
venant de pays étrangers), la plupart occuperont par la suite un poste
de responsabilité dans les centres de recherches gouvernementaux, les
universités ou les entreprises; plusieurs milliers d’agronomes québécois
suivront également ses cours de nutrition animale à l’Université
Laval.

Officiellement à la retraite depuis 1988, mais réellement depuis
1995, Germain J. Brisson se perfectionne sans cesse en s’inscrivant à
des cours dans le cadre du programme de formation continue à l’Université
Laval et en suivant l’évolution de la science en général.
C’est avec beaucoup de simplicité qu’il explique sa constante motivation
: « Tous les jours, il faut que j’apprenne quelque chose! » Le scientifique
réaffirme ainsi sa conviction que « les progrès d’une société
reposent sur la qualité de son éducation et de sa recherche ».

Thérèse Gouin Décarie

[…] il ne reste qu’à féliciter Mme Gouin Décarie
d’avoir si clairement montré les points d’accord et de désaccord
entre le courant freudien et nos propres points de vue, ce qui ne peut que favoriser
les travaux ultérieurs et être utile à tous.

Jean Piaget, Genève, avril 1962.

Une vision globale du développement
de l’enfant

Comment s’imbriquent l’affectivité et la cognition dans le développement
de l’enfant est la question au centre des préoccupations de la psychologue
Thérèse Gouin Décarie depuis près de 45 ans. Piagétienne
avant la plupart de ses collègues nord-américains, elle contribue
à faire connaître les théories du scientifique suisse au
Canada et aux États-Unis. Adepte d’une conception globale de la psychologie,
elle rapprochera les théories de Piaget et de Freud pour mettre en évidence
le processus dynamique de l’intégration de l’enfant dans l’univers des
humains.

Pour un développement global

Il ne fait aucun doute, de nos jours, que l’analyse du développement
de l’enfant doit tenir compte des rapports entre les dimensions cognitive et
psychoaffective. Jusqu’au début des années 60, cependant, l’interaction
des théories de Piaget et de Freud n’est pas évidente. Alors que
Piaget voit dans le jeune enfant un petit physicien qui construit ses connaissances
à partir d’objets, Freud perçoit l’importance des instincts et
de la recherche du plaisir. La psychologue Thérèse Gouin Décarie
fait partie des avant-gardistes qui prônent alors et démontrent
l’interdépendance des développements mental, affectif, social
et moteur.

Sa thèse de doctorat, Intelligence et affectivité chez le
jeune enfant
, publiée en 1962 chez Delachaux et Niestlé avec
une préface de Piaget, sera traduite par la suite en anglais, en espagnol
et en italien. Elle constitue indéniablement l’une des premières
tentatives de mise en relation des développements affectif et cognitif
de l’enfant préverbal.

Les enfants de la thalidomide

Au début des années 60, Thérèse Gouin Décarie
étudie le cas des enfants atteints de malformations congénitales
causées par la thalidomide. On ne connaît alors rien du développement
mental des victimes de ce médicament. Des articles de revues médicales
les disent doués d’une intelligence normale ou même supérieure,
mais personne n’a encore vérifié cette affirmation. Invitée
par l’Institut de réadaptation de Montréal à approfondir
la question, elle dirige, de 1962 à 1969, une équipe de recherche
préoccupée par l’évaluation du potentiel intellectuel et
affectif de ces enfants.

Plusieurs d’entre eux n’ont aucun membre supérieur et ne possèdent
donc pas la coordination occulo-manuelle, si importante, selon Piaget, pour
la construction de la notion d’objet. La psychologue Gouin Décarie découvre,
chez ces enfants, une proportion plus élevée de sujets présentant
un déficit intellectuel que dans la population en général.
Elle constate toutefois que cette proportion est habituelle chez les enfants
souffrant de problèmes neurologiques, de déficits moteurs ou de
handicaps visuels.

La socialisation des enfants

La socialisation du nourrisson est aussi un thème cher à Thérèse
Gouin Décarie. Depuis plus de 30 ans, ses travaux mettent en évidence
la propension du nourrisson à être attiré, inquiété,
influencé par les stimulations émanant des êtres humains.
La chercheuse et son équipe comparent, entre autres, les réactions
du bébé à l’égard de la personne étrangère
et celles qui sont suscitées par un objet mobile inconnu.

« Au-delà du monde physique, Thérèse Gouin Décarie
généralise, dans le monde social, les théories de Piaget
 », explique Diane Poulin-Dubois, du Centre de recherche en développement
humain de l’Université Concordia. Néopiagétienne avant
l’heure, la chercheuse aide à faire reconnaître que les relations
amicales précoces contribuent au développement cognitif de l’enfant
et que les confrontations avec les compagnons de jeu sont sources d’évolution.

Depuis 1998, Thérèse Gouin Décarie poursuit, avec sa collaboratrice
Marcelle Cosette-Ricard, une recherche longitudinale relative à la structuration
de la théorie de l’esprit chez les jumeaux.

Un parcours et des engagements

Formée dans les années 40 à l’Institut de psychologie
de l’Université de Montréal, la psychologue étudie à
Boston et à Paris avant de terminer son doctorat à l’Université
de Montréal. Professeure au Département de psychologie de l’Université
de Montréal depuis 1951, elle a formé de nombreux chercheurs en
psychologie. Dans les années 50, elle participe à la fondation
de la Société canadienne des jardinières d’enfants. Elle
est aussi membre du Conseil de l’Université de Montréal durant
de nombreuses années, du Conseil des universités de 1986 à
1991 et de la Commission de vérification de l’évaluation des programmes
des universités du Québec de 1996 à 1999.

Titulaire de trois doctorats honoris causa (des universités Ottawa,
Concordia et Moncton), première femme à recevoir le prix Marcel-Vincent
de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences,
Thérèse Gouin Décarie est également la première
femme, dans le domaine des sciences humaines, à devenir membre du Conseil
national de recherches du Canada et à recevoir un prix du Québec
dans le domaine scientifique. Épouse, mère de quatre enfants et
grand-mère de deux petits-enfants, cette pionnière trouve dans
sa famille ce « quota de bonheur » qu’elle juge essentiel tout autant
pour l’homme de science que pour la femme de carrière.

John Newmark

Son interprétation nuancée et sensible d’un vaste répertoire
musical a valu à John Newmark d’être reconnu comme l’un des plus
grands accompagnateurs de son temps. Son jeu était à ce point
remarquable que souvent il en venait à partager en parts presque égales
le succès de l’artiste qu’il accompagnait. À preuve, cette critique
d’un grand journal de Toronto au lendemain d’un récital de Maureen Forrester,
au début des années soixante, dans laquelle le journaliste, tout
en reconnaissant la superbe performance de la chanteuse, n’en attribue pas moins
la qualité exceptionnellement grande du récital à John
Newmark. « Toujours un accompagnateur fiable, il offrit tout au long de
la soirée une participation inspirée, son jeu devenant partie
intégrante de chaque mélodie, cela sans se rendre coupable de
donner trop ou pas assez. »

John Newmark fait partie de ces artistes errants que le nazisme et la guerre
ont condamnés à l’exil. Il naît en Allemagne de parents
juifs qui vivent pour l’art et la musique. Très jeune, il travaille avec
sérieux le piano et il n’a pas 20 ans qu’il est déjà sollicité
pour des tournées. Mais son père a d’autres visées pour
lui. Il l’envoie à Dresde pour y étudier le dessin. C’est ce qui
explique qu’il aura aussi une carrière de peintre d’envergure internationale.
C’est là que commence sa véritable carrière d’accompagnateur
puisqu’il y fait la connaissance du violoniste Szymon Goldberg avec lequel il
donnera plusieurs récitals et effectuera des tournées. Il se fixe
à Berlin l’année même où le parti nazi prend le pouvoir
en Allemagne. Comme il est juif, il lui sera rapidement interdit de jouer en
public. Il gagne alors Londres mais aussitôt que la guerre se déclare,
il est détenu d’abord dans l’île de Man, puis au Canada. À
sa libération, il se fixe à Montréal où il s’impose
immédiatement par son talent. Dès lors, d’éminents solistes
canadiens et étrangers le réclament.

Pendant deux ans, John Newmark accompagne la célèbre contralto
Kathleen Ferrier, et leur enregistrement de Vier Ernste Gesänge
de Brahms remporte le Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros
en 1952. Puis commence sa longue collaboration avec la Canadienne Maureen Forrester
avec qui il parcourra le Canada et le monde. C’est pour John Newmark le début
d’une longue et brillante carrière internationale. Recherché pour
son jeu inspiré, il a accompagné au cours de sa carrière
plus de 80 chanteurs et instrumentistes étrangers et 160 artistes canadiens.
« Le véritable plaisir, dira-t-il, est d’en arriver à une
synchronisation absolue des deux tempéraments en présence sur
la scène. » C’est justement ce grand talent que la critique lui
a toujours unanimement reconnu.

Michel Tremblay

Auteur d’une cinquantaine de livres, inscrit aux dictionnaires Larousse et
Robert, récipiendaire de plusieurs doctorats honorifiques et de dizaines
de prix littéraires prestigieux, nationaux et internationaux, Michel
Tremblay est un écrivain fécond et généreux. Dramaturge,
romancier, traducteur, parolier, librettiste, il a créé tout un
monde autour d’une famille du Plateau Mont-Royal, microcosme du Québec
montréalais des années cinquante, famille dont le pivot central
demeure la « Grosse Femme d’à côté »,
sa mère Rhéauna Rathier.

Dramaturge de premier plan, il a vu ses pièces devenir rapidement des
incontournables des dramaturgies québécoise, francophone et internationale.
Traduites en près de 30 langues, ses pièces, notamment Les
Belles-Sœurs
(1968), À toi pour toujours, ta Marie-Lou
(1971) et Albertine en cinq temps (1984), ont été acclamées
sur les cinq continents et montées aussi bien à New York qu’à
Tokyo, Paris et Londres, Caracas et Copenhague, Rome et Santiago… Comme
romancier, Michel Tremblay a imposé rapidement la force de son écriture
réaliste et fantastique à travers les Chroniques du Plateau Mont-Royal,
qui comptent maintenant six tomes. Comme mémorialiste, il a raconté
son enfance à travers les prismes du cinéma (Les Vues animées,
1990), du théâtre (Douze coups de théâtre,
1992) et des livres (Un ange cornu avec des ailes de tôle, 1994).

L’univers de Michel Tremblay plonge ses racines dans le Montréal profond,
prolétaire, où s’agitent une centaine de personnages attachants,
plus grands que nature, dont certains deviendront des archétypes du Québec
littéraire moderne : la Grosse Femme, la Duchesse de Langeais, Marcel,
Pierrette, Albertine… Cette galerie de personnages tragi-comiques a des
secrets de famille à dire aux gens de partout, qu’il faut écouter
à cœur ouvert car leur quête profonde, qui ne ressemble à
aucune autre ailleurs dans le monde, ressemble en fait et par ce fait même
à toutes les autres.

Entreprise toute balzacienne que celle de décrire le microcosme de ces
gens du Plateau Mont-Royal, car elle engendre et fait vivre sous nos yeux une
véritable comédie humaine. Entreprise d’un magicien de l’art dramatique,
qui inscrit sa démarche d’écriture dans les traditions de la dramaturgie
grecque et de l’art lyrique, conjuguant les structures et les subtilités
de l’une et l’autre, sans quitter jamais les couleurs du quartier dont il parle,
celui de son enfance, rue Fabre, celui de ses rêves, celui des illusions
perdues et de celles qui permettent encore d’espérer que les lignes de
vie peuvent se croiser au bon moment pour créer une mesure de paix et
de liberté.