Roberto Morandotti

L’essentiel est invisible pour les yeux, a écrit un auteur connu. Cette pensée pourrait s’appliquer au champ d’intérêt qui passionne le physicien Roberto Morandotti. Chercheur de renommée mondiale, ce professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) se spécialise en optique non linéaire et quantique. Il s’intéresse tant aux systèmes en espace libre qu’aux systèmes photoniques intégrés. Des domaines qui, on s’en doute, présentent des éléments de physique fondamentale peu accessibles aux profanes.

« Moi-même, à mes débuts, j’étais un peu découragé par la difficulté à saisir certains concepts », avoue avec candeur ce maître d’une discipline dont il a su percer plusieurs mystères. Ses découvertes ont non seulement fait bondir le savoir en la matière : elles propulsent aussi des avancées pionnières, en particulier dans les champs de la biomédecine et des télécommunications.

Quantique pour l’avenir

« La technologie quantique transmet l’information à l’aide de particules de lumière, appelées “photons”, plutôt qu’à partir d’électrons et de signaux électroniques, comme en informatique classique. Elle traite les données à une vitesse, à une efficacité et à un niveau de sécurité extrêmement élevés tout en étant moins énergivore », résume le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en photonique intelligente.

En apprivoisant le fonctionnement et les comportements encore inconnus des photons, Roberto Morandotti a pu mettre au point des dispositifs qui repoussent les limites des technologies actuelles tout en s’y adaptant. Ses travaux novateurs jouent un rôle majeur dans l’atteinte d’un objectif longtemps convoité par la communauté scientifique : l’ordinateur quantique et l’Internet du futur. Capables de tâches hyperpuissantes, ils permettraient, par exemple, d’exécuter des opérations chirurgicales de haute précision à distance. Ils offriraient également les moyens de simuler virtuellement des expériences multisensorielles avec un réalisme étonnant.

De la science-fiction? « Il y a 50 ans, le film 2001, l’odyssée de l’espace donnait un aperçu de l’actuelle intelligence artificielle. Dans 50 ans, c’est à l’univers d’Avatar que nous aurons accès. Ce que nous pouvons créer en quelques décennies est impressionnant. Pour moi, c’est un privilège d’œuvrer à la matérialisation de ce qui sera utile pour améliorer la vie des gens, de participer au futur de notre société. »

Fasciné par le futur

Ce fascinant futur l’allume déjà, enfant, dans son Italie natale où il se nourrit de Star Trek et d’histoires de robots. Doué, le jeune Roberto est curieux de tout. Son père le voit économiste; lui-même s’intéresse autant à la biologie qu’à la philosophie. Jusqu’à ce qu’une professeure de physique lui dise : « Ton talent est là, Roberto! »

Soupçonnait-elle qu’il deviendrait l’un des chercheurs les plus influents de sa génération dans cette branche? Qu’il compterait, quelque 35 ans plus tard, 289 articles dans les revues les plus prestigieuses et 34 500 citations par des pairs? Qu’il serait reconnu par plusieurs sociétés savantes, qu’il deviendrait fellow (membre) de la Société Royale du Canada, de l’Optical Society of America et de l’American Physical Society? Qu’il agirait comme professeur invité dans de nombreux pays?

Les contributions de Roberto Morandotti lui valent de multiples honneurs. Parmi eux, notons la Bourse commémorative E.W.R. Steacie en 2011, la distinction CRSNG Synergie pour l’innovation en 2019 et le prix Brockhouse pour la recherche multidisciplinaire en 2020, remporté avec son collègue de l’INRS, José Azaña.

La joie d’explorer l’inconnu

Pour en arriver là, Roberto Morandotti accepte de sortir des sentiers battus. Il le démontre dans les universités de Gênes et de Glasgow, où il fait ses études supérieures, comme à Israël et à Toronto, où il mène ses recherches postdoctorales. Lorsqu’il devient professeur à l’INRS, en 2003, il demeure animé de la même vision, qu’il transmet à sa précieuse équipe : « Se pencher sur des idées inédites, explorer l’inconnu. C’est plus complexe que d’expérimenter sur des pistes défrichées. Mais c’est nettement plus stimulant. »

« Osez! », répète-t-il à ceux et à celles qui viennent apprendre à ses côtés. Il en a supervisé plus de 165 depuis 2003, dont une vingtaine sont aujourd’hui titulaires de postes de professeur ou de chaires dans des institutions renommées. Roberto Morandotti en tire une grande fierté. « Publier dans des revues aussi prestigieuses que Science ou Nature donne beaucoup de satisfaction personnelle. C’est toutefois éphémère, car d’autres auteurs suivront bientôt, avec des résultats plus récents. Les jeunes, eux, représentent l’avenir. Mon rôle n’est pas de leur dire quoi faire, mais de les guider. C’est l’aspect le plus important de ma carrière. »

La relève l’apprécie. À preuve, le professeur Morandotti figure parmi les « Mentors exceptionnels » désignés en 2018 par la Canadian Association for Graduate Studies. Ce collectif pour la promotion de l’éducation supérieure réunit une soixantaine d’universités.

« À côtoyer les gens en formation, je reste jeune dans ma tête, se réjouit-il. Ils m’aident à maintenir la passion, la curiosité, le foisonnement d’idées nouvelles. » Et la suite? Le spécialiste de l’infiniment petit voit grand. « Inspirer, changer le monde. Rien n’est impossible. » L’enthousiasme de Roberto Morandotti vibre à la puissance de l’énergie quantique!

Barbara Steinman

Pionnière au Québec de l’intégration de la vidéo et du multimédia au champ des arts visuels, Barbara Steinman marque, de son empreinte unique, la culture québécoise depuis plus de 40 ans. Par l’intermédiaire de ses installations, l’artiste montréalaise déploie une expérience sensorielle aux multiples possibilités d’interprétations, révélant sa brillante inventivité. Celle qui compte une trentaine d’expositions personnelles, plus de 115 expositions collectives et 5 œuvres d’art public défriche sans relâche de nouveaux territoires artistiques, ce qui lui vaut d’être reconnue internationalement pour son audace et la profondeur de son travail d’un grand raffinement, tout en sobriété.

Pour l’artiste, obtenir le prix Paul-Émile-Borduas est « un honneur immense et une reconnaissance tellement significative. On ne travaille pas pour les prix, mais un tel encouragement est une grande source de joie ».

La carrière de Barbara Steinman prend véritablement son envol après un séjour à Vancouver dans les années 1970, où l’occasion lui est offerte d’expérimenter la vidéo. À son retour à Montréal en 1980, elle élargit l’étendue de sa pratique en créant des installations multimédias et in situ, qui définiront par la suite sa signature artistique. Son talent et sa créativité se démarquent rapidement, et ses œuvres sont présentées dans des biennales et différentes expositions au Québec, ailleurs au Canada et à l’étranger, notamment en 1990 dans l’un des plus prestigieux musées au monde : le Museum of Modern Art, à New York.

La création de ponts entre l’individuel et le collectif constitue un moteur de l’inspiration de Barbara Steinman. Chacun de ses projets est un lieu d’exploration émotionnelle et conceptuelle auquel sont soumis les matériaux. Sensible à la vulnérabilité humaine, l’artiste accorde en outre une place importante à la critique sociale dans ses œuvres, qu’elle exprime avec subtilité et finesse. En témoignent ses installations Lux (2000), un lustre de style Empire transformé en chaîne d’acier, et Tapis rouge [d’ici à là-bas], qui intègre un motif d’ondes sonores tissé en laine, créé à la suite des événements du 11 septembre 2001.

Parmi ses autres créations phares, notons Borrowed Scenery (1987), qui dresse des parallèles saisissants entre réfugiés, immigrants et touristes; Jour et nuit (1989), 4 photos d’une personne ayant trouvé refuge dans le chambranle de la porte d’un immeuble; et L’écoute (1992), installation composée de 2 photographies de mains tournées vers l’extérieur, disposées aux extrémités d’un mur.

Son œuvre Signs, présentée à l’exposition inaugurale du Musée d’art contemporain de Montréal en 1992, puis à New York, à Toronto et à Vancouver, a particulièrement marqué les esprits. Devenue iconique, l’installation consiste en des boîtes signalétiques, dont l’inscription « SILENCE », au lieu de « SORTIE », s’allume et s’éteint de manière aléatoire, formant des vagues de lumière. Plus récemment, l’artiste multidisciplinaire repoussait de nouveau les limites de l’audace dans ses expositions Reconfigurations (2014) et Plonger au fond du rêve (2019) en revisitant les archives de son travail antérieur pour provoquer une migration de sens à l’intérieur même de son œuvre. « Je trouve merveilleux que des œuvres que j’ai créées il y a plus 30 ans continuent d’être exposées et de toucher un nouveau public, à côté d’œuvres plus récentes. La juxtaposition d’œuvres nouvelles et d’œuvres de 1986 en exposition solo à la Fonderie Darling, à Montréal, a été une expérience particulièrement gratifiante », mentionne-t-elle.

Barbara Steinman possède une feuille de route remplie d’œuvres marquantes, faisant d’elle un modèle inspirant pour les jeunes générations d’artistes. Bien que discrète, elle brille de manière exceptionnelle par le truchement de son art, à la fois manifestation de son éblouissante éloquence et reflet de son immense talent. Pas moins de 31 institutions publiques au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde comptent 1 ou plusieurs de ses créations dans leurs collections permanentes. Celle qui se distingue également grâce à des œuvres d’art public, notamment avec Perennials (1998), à Vancouver, pour laquelle l’artiste a obtenu un prix Gold Georgie for Design Excellence, a aussi été récompensée d’un Prix du Gouverneur général, en 2002, et a reçu un doctorat honorifique de l’Université Concordia, en 2015.

« Le meilleur conseil que j’ai reçu, et ce, très tôt, c’est : “N’arrête jamais de travailler” », dit-elle. À son tour, elle souhaite transmettre celui-ci à la relève : « Visez l’authenticité, gardez le cap sur votre travail, et votre carrière suivra. »

Alain Saulnier

Au fil des 40 dernières années, Alain Saulnier s’est bâti une solide crédibilité, attirant le respect à la fois de ses pairs et du public. Ayant occupé tour à tour les postes de journaliste, de réalisateur, de rédacteur en chef, de directeur du service de l’information radio et des services français de l’information de Radio-Canada, en passant par la présidence de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), ce grand rassembleur a contribué de manière remarquable à l’avancement du journalisme et, ce faisant, à l’évolution de la société québécoise. Au cours de la dernière décennie, il a enseigné à l’Université de Montréal, s’illustrant cette fois par la formation de la relève. Le parcours admirable d’Alain Saulnier, couplé à son engagement pour une pratique journalistique de qualité, fait de lui un pilier fort du monde médiatique québécois.

Recevoir le prix Guy-Mauffette représente « une superbe récompense » pour le lauréat. « Je suis vraiment honoré. Quand la ministre m’a téléphoné pour m’annoncer que j’en étais le récipiendaire, j’ai d’abord cru à une blague. C’est une récompense de ce Québec que j’aime tant, dans lequel je me suis investi pour favoriser un journalisme de qualité, soutenir la culture et la langue française. »

Tout au long de sa prolifique carrière, Alain Saulnier a fait preuve d’excellence et d’une intégrité irréprochable. Tôt dans son parcours, il réalise des reportages marquants, notamment un portrait du poète-chanteur Léo Ferré lors de sa dernière visite au Québec en 1990. Il obtient de plus une mention spéciale du jury du prix Judith-Jasmin en 1997 pour un reportage comportant des révélations-chocs sur l’assassinat d’un membre du Front de libération du Québec en 1971, alors qu’il agit comme réalisateur pour l’émission Enjeux.

En 1997, Alain Saulnier est promu rédacteur en chef des nouvelles radio de Radio-Canada, avant d’être nommé 2 ans plus tard directeur général de l’information à la radio. Sous sa direction, La Première Chaîne, aujourd’hui ICI Radio-Canada Première, connaît un immense succès d’estime et d’écoute, entre autres pour la couverture des événements qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001.

De 2006 à 2012, Alain Saulnier occupe les fonctions de directeur général de l’information des services français de Radio-Canada. À ce titre, il laissera une marque durable, particulièrement pour avoir mis en valeur le journalisme d’enquête et l’information internationale. Il est notamment le maître d’œuvre de l’émission Enquête qui, depuis sa création en 2008, exerce une influence tangible sur la société québécoise. C’est également sous sa direction qu’est créée l’émission Une heure sur terre (2008-2012), s’appuyant sur une équipe de correspondants à l’étranger pour la couverture des dossiers les plus chauds et significatifs de l’actualité mondiale.

Sa marque, Alain Saulnier ne l’a pas uniquement laissée comme journaliste ni dirigeant du plus important service d’information francophone au pays. Président de la FPJQ de 1992 à 1997, pourvu d’un sens aigu de l’éthique, il est aussi à l’origine du premier guide de déontologie journalistique au Québec, devenu une référence incontournable et un outil indispensable. Son passage à la tête de l’organisation a fait souffler un vent de changement sur celle-ci, menant à une plus vaste adhésion et à une plus grande reconnaissance.

De 2012 à 2022, Alain Saulnier a enseigné le journalisme à l’Université de Montréal, où sa contribution s’est révélée tout aussi exemplaire. Le diplôme d’études supérieures spécialisées en journalisme qu’il y a élaboré jouit d’une grande notoriété et demeure à ce jour l’unique programme francophone de deuxième cycle au Québec voué à la pratique de cette profession. Cet expert reconnu et apprécié mène en outre une réflexion continue sur la place de l’information, de la culture et des médias dans l’environnement numérique dominé par les superpuissances du Web. En témoigne son plus récent ouvrage, Les barbares numériques (2022), dans lequel il expose l’influence de ces entreprises sur nos sociétés.

Selon lui, « le journalisme d’aujourd’hui doit se tailler une place dans ce nouvel univers. Pour cela, il doit plus que jamais se distinguer. La course pour être les premiers à diffuser la nouvelle, les réseaux sociaux l’ont maintes fois gagnée. Dans ce contexte, les journalistes doivent faire plus de journalisme d’enquête, travailler à améliorer la qualité du métier, par ricochet de notre démocratie ».

Alain Saulnier a également contribué à titre d’administrateur et de responsable d’importants comités aux organismes Culture Montréal et Groupe Femmes, Politique et Démocratie de 2012 à 2019.

Lucie K. Morisset

Lucie K. Morisset a consacré sa carrière à la connaissance et à la valorisation du patrimoine québécois. Historienne de l’architecture et de l’urbanisme, spécialisée dans l’étude de la ville et de ses représentations, cette professeure et chercheuse se distingue notamment par son approche transdisciplinaire, à la fois historique, théorique et pratique, liant l’expertise scientifique à l’expérience des résidents et des résidentes ainsi que des propriétaires d’immeubles patrimoniaux. Affectionnant tout particulièrement les ensembles planifiés et l’architecture vernaculaire du 20e siècle, elle œuvre depuis plus de 30 ans à la reconnaissance et à la préservation du paysage construit de plusieurs villes et régions québécoises, entre autres à Québec et au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Son engagement en ce sens, tout comme ses travaux sur le patrimoine industriel, le patrimoine religieux, l’histoire du patrimoine ou encore le tourisme, constitue une contribution majeure au rayonnement de l’héritage culturel du Québec.

« Cet honneur m’oblige à me mesurer à la grande lignée de celles et ceux qui ont fait exister le patrimoine au Québec et qui, à l’instar de Gérard Morisset, ont montré que le Québec n’avait rien à envier aux “vieux pays”. C’est une invitation à faire plus et mieux, pour continuer de faire exister le patrimoine, d’enrichir le sens que porte notre environnement », répond la professeure quand on lui demande ce que recevoir le prix Gérard-Morisset signifie pour elle.

Lucie K. Morisset est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et chercheuse au Centre Cultures – Arts – Sociétés de l’Université Laval. Son travail met en évidence le rôle joué par le patrimoine dans la société en exposant les liens entre l’identité et la culture dans l’environnement bâti. Pour la lauréate, « le patrimoine n’est pas un ornement dans la ville ou le village ni une simple manifestation culturelle : c’est un morceau de milieu de vie qui construit l’attachement des personnes à un territoire ».

La chercheuse de renommée internationale a publié plus de 200 articles et une quinzaine d’ouvrages, dont Territoires d’identité : les villes de compagnie du Canada (2019), Des régimes d’authenticité : essai sur la mémoire patrimoniale (2009) et Les églises du Québec : un patrimoine à réinventer (2005), avec Luc Noppen, proche collaborateur depuis 3 décennies. Elle a aussi dirigé de nombreuses publications collectives, dont La ville : phénomène de représentation (2011) et L’architecture de l’identité (2021).

Également organisatrice et coordonnatrice d’importants projets d’étude et de mise en valeur, Lucie K. Morisset s’est particulièrement intéressée au rôle du patrimoine dans le développement local, surtout dans un contexte de désindustrialisation et de décolonisation. Ses recherches font aujourd’hui d’elle une référence majeure dans la compréhension de l’héritage de l’ère industrielle. Ses écrits sur la théorie du patrimoine ont aussi grandement influé sur la manière dont on considère et préserve le patrimoine dans plusieurs régions du monde. La chercheuse se dit fière « d’avoir contribué à faire évoluer la compréhension du patrimoine en tant que construit social, en situant le Québec et ce qu’on y fait, en français, sur la scène internationale ».

La ville d’Arvida occupe une place de choix dans les travaux de Lucie K. Morisset. La scientifique a développé une véritable passion pour la capitale mondiale de l’aluminium, déclarée site patrimonial par le gouvernement du Québec depuis 2017. Elle lui a consacré plusieurs conférences, articles et ouvrages, dont Arvida : cité industrielle (1998) et Les maisons d’Arvida (2022). Dans ses interventions comme dans ses publications, elle expose l’unicité et l’influence, sur le reste de l’Amérique et du monde, de cette ville construite de 1926 à 1948 pour accueillir les travailleurs de l’aluminerie Alcan. La chercheuse, animée par l’engagement et la détermination de la population et des collectivités locales, collabore aussi de près avec elles dans la conception et la mise en œuvre d’instruments novateurs de protection du patrimoine.

L’apport de Lucie K. Morisset à la formation de la relève est également remarquable. Élue comme membre de la Société royale du Canada en 2011 et lauréate de prestigieuses récompenses pour sa contribution exemplaire à la connaissance, à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine, elle a supervisé plus de 80 thèses de doctorat et mémoires de maîtrise, accueilli de nombreux stagiaires postdoctoraux étrangers et dirigé une centaine d’auxiliaires de recherche.

Madeleine Careau

Au fil des 5 dernières décennies, Madeleine Careau s’est bâti une impressionnante carrière grâce non seulement à sa détermination et à son travail acharné, mais également à son flair incroyable pour la réussite. Tous les mandats qui lui sont confiés, aussi variés et ambitieux soient-ils, se transforment en succès, témoignant de ses solides compétences, de son dynamisme inaltérable et de ses qualités exceptionnelles de rassembleuse. À la tête de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) depuis plus de 20 ans, celle qui ne craint pas les défis est en plus dotée d’un talent extraordinaire pour trouver des réponses novatrices aux situations semblant insolubles. La contribution remarquable de Madeleine Careau à l’avancement et au rayonnement des arts de la scène laisse une marque indélébile sur le paysage culturel du Québec et fait d’elle une véritable bâtisseuse.

Obtenir le prix Denise-Filiatrault représente une reconnaissance de son « métier d’administratrice en culture » qui, selon elle, est « un rouage essentiel du développement de notre société. Il faut des artistes, mais il faut aussi des gens dans l’ombre qui font en sorte de les soutenir dans le développement de leur carrière ».

De responsable de la campagne d’abonnement pour Les Grands Ballets canadiens au début des années 1970 jusqu’à sa nomination à la direction de l’OSM en 2000, Madeleine Careau a suivi un parcours aussi brillant que rempli, défrichant au passage des chemins inexplorés. Tour à tour cofondatrice de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo en 1978, qu’elle dirigera jusqu’en 1983; directrice de la programmation de Télévision Quatre-Saisons en 1985-1986; productrice du premier Gala des prix Gémeaux en 1986; et directrice du Festival Juste pour rire de 1987 à 1991, elle acquiert de poste en poste une notoriété qui ne cessera de s’étendre.

Au cours de la même période, Madeleine Careau a également laissé sa marque en politique de 1983 à 1985 comme chef de cabinet du ministre de la Culture de l’époque, Clément Richard, puis chef de cabinet adjointe et responsable des dossiers culturels au Bureau du premier ministre du Québec, jouant ainsi un rôle clé dans le développement et la promotion de la culture québécoise.

Dans les années 1990, Madeleine Careau se consacre au rayonnement international de la culture québécoise, notamment en tant qu’agente du parolier québécois Luc Plamondon de 1995 à 2000, particulièrement pour le développement d’une stratégie de diffusion internationale de son opéra rock Notre-Dame de Paris, qui a connu un succès planétaire phénoménal.

C’est cependant à partir des années 2000, à titre de directrice générale de l’OSM que cette figure phare du milieu culturel québécois obtient les succès parmi les plus flamboyants de son prolifique parcours professionnel. Encore plus que d’avoir relancé l’ensemble musical, elle l’a propulsé vers de nouveaux et de plus hauts sommets. Sa ténacité et son pouvoir d’influence ont mené à plusieurs réalisations marquantes, dont la construction de la Maison symphonique, inaugurée en 2011, et la mise sur pied de la Fondation de l’OSM, aujourd’hui l’un des principaux fonds de dotation en arts au Canada.

On doit en outre à cette passionnée le recrutement des grands directeurs musicaux Kent Nagano et, plus récemment, Rafael Payare, ainsi que la création de la Virée classique, un festival urbain de musique classique unique en Amérique du Nord, conceptualisé par M. Nagano. Madeleine Careau se dit particulièrement fière de la sélection de ce dernier, puis de Rafael Payare, à laquelle ont contribué des comités internationaux, dont des musiciens de l’OSM : « Les directeurs musicaux sont cruciaux dans le cheminement des orchestres. Ils les imprègnent de leur vision et déterminent leur avenir. »

Tout au long de sa carrière, l’importante administratrice a œuvré, dans l’ombre, au rayonnement et au développement des arts de la scène, de même qu’à la démocratisation de la culture. Son apport n’en est pourtant pas moins éblouissant. Celle qui a été faite chevalière de l’Ordre national du Québec en 2020 a pris part à la mise en place d’institutions et d’événements majeurs pour le Québec, faisant d’elle un modèle et une source d’inspiration.

« Je souhaite léguer l’amour et la passion de mon métier, dit Madeleine Careau. Je souhaite aussi valoriser la place des jeunes qui sont souvent en quête de défis emballants. Travailler en culture leur offre cette vie emballante! »

Louis Mercier

Au cours des 4 dernières décennies, Louis Mercier s’est imposé comme un acteur clé des réussites lexicographiques du Québec et a participé à l’enrichissement de la description de la langue française. Sa contribution à la reconnaissance, à la mise en valeur et au rayonnement du français tel qu’il est parlé ici n’est rien de moins que remarquable. Plus qu’une référence en matière de lexicographie francophone, le linguiste et lexicologue réputé s’est révélé un véritable promoteur de ce patrimoine linguistique collectif et vivant, en œuvrant à lui donner une réelle légitimité et à en faire un objet de fierté.

Louis Mercier dit recevoir le prix Georges-Émile-Lapalme comme « la reconnaissance par l’État québécois de la pertinence de [son] engagement à servir la description et la mise en valeur du français québécois, et de l’utilité collective de l’humble travail d’artisanat lexicographique qui [l’]occupe depuis 40 ans ».

Ses travaux de recherche portent notamment sur les liens étroits entre la langue, la société et la culture ainsi que sur la mise en perspective lexicographique des variétés de français avec, au premier plan, celle du Québec. Le chercheur s’est particulièrement intéressé au traitement des noms d’espèces naturelles dans les dictionnaires du français. Aujourd’hui à la retraite, ce passionné des mots continue de travailler au développement numérique d’un dictionnaire historique des noms français des oiseaux du monde, dont les 500 premiers articles sont accessibles en ligne depuis février 2022.

Pour Louis Mercier, l’environnement numérique contribue au renouvellement de la pratique de la lexicographie. Son dynamisme, sa facilité d’accès et son usage collaboratif, entre autres, permettent non seulement de faire évoluer les contenus en fonction de l’avancement des connaissances, mais également de faire profiter rapidement le public de cette évolution. Le chercheur a collaboré à des ouvrages majeurs et novateurs en ce sens qui ont fait, en outre, progresser les savoirs sur la variété de français parlé au Québec.

Parmi ceux-ci, notons l’Index lexicologique québécois, un corpus informatisé créé par le Trésor de la langue française au Québec à la fin des années 1970, et le dictionnaire Usito, premier dictionnaire général du français entièrement développé dans un environnement numérique. Le premier a bénéficié des compétences du chercheur alors en début de carrière, de 1981 à 1985, tandis que le second, de son expertise confirmée, à titre de conseiller éditorial et responsable de la description des mots de la flore et de la faune, dans les années 2000-2010.

Accessibles en ligne gratuitement, ces réalisations constituent des repères incontournables. Aujourd’hui, l’Index recense plus de 100 000 formes de mots et comporte plus de 500 000 références bibliographiques. Quant à Usito, développé sous la direction éditoriale, entre autres, d’Hélène Cajolet-Laganière, il compte plus de 2 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices au Québec, au Canada et dans la francophonie. Louis Mercier se dit particulièrement fier d’avoir participé à la rédaction de ce dictionnaire. « La description moderne et ouverte du français qu’offre Usito témoigne avec éloquence de la richesse du français en usage au Québec, de la place centrale que cette variété occupe dans la culture québécoise, ainsi que de son profond ancrage dans le contexte nord-américain », précise-t-il.

En plus de ces 2 contributions marquantes, le lexicographe a notamment participé à la rédaction du Dictionnaire du français Plus (1988) et du Dictionnaire historique du français québécois (1998), sous la direction de Claude Poirier. Ce dernier ouvrage constitue un apport majeur à la connaissance de l’histoire du français québécois.

Professeur et chercheur à l’Université de Sherbrooke de 1994 à 2015, Louis Mercier y a également occupé pendant 13 ans les fonctions de directeur du Centre d’analyse et de traitement informatique du français québécois, renommé depuis Centre de recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec. Si ce lieu d’excellence, dont il est toujours membre, a acquis une large reconnaissance dans la francophonie, c’est grâce notamment à son dynamisme comme directeur et à son engagement dans le développement et le rayonnement de la recherche sur le français québécois.

Soucieux d’assurer la transmission du patrimoine linguistique du Québec, Louis Mercier a contribué à former une relève lexicographique qualifiée et à rendre le savoir des dictionnaires accessible à un vaste public. Selon lui, « les lexicographes de la relève ne devront pas hésiter à innover pour tenir compte de l’évolution de la société québécoise et de ses questionnements linguistiques ».

Alain Fournier

Alain Fournier possède « le don de sculpter le vide et l’espace / pour ces peuples oubliés du temps », écrit l’auteure innue Maya Cousineau Mollen dans un poème qu’elle lui dédie. Plus encore, possédant une sensibilité profonde à l’égard des premiers peuples du Québec, il démontre un engagement exemplaire dans la valorisation et le rayonnement de leurs cultures. Grâce à son écoute et à son respect, l’architecte a développé des collaborations précieuses avec les communautés inuites et des Premières Nations au fil de sa carrière, qu’il poursuit depuis 47 ans. Ces aptitudes remarquables lui ont permis de contribuer significativement à l’amélioration de leur milieu de vie par la conception d’un environnement bâti de qualité, reflétant leur vision du monde. Sans contredit, les réalisations de ce créateur rassembleur constituent de véritables modèles pour les projets architecturaux déployés pour les communautés autochtones.

Alain Fournier reçoit le prix Ernest-Cormier comme « la reconnaissance et la prise de conscience générale que l’architecture constitue un véhicule identitaire important pour les Inuits, les Premières Nations et les Métis ». C’est un encouragement à « continuer à soutenir les communautés autochtones dans leur volonté de devenir maîtresses de leur environnement bâti et maîtresses des leviers de leur destinée », ajoute-t-il.

L’intérêt d’Alain Fournier pour la culture inuite prend racine dans son enfance, à la suite du visionnement d’un documentaire sur la fabrication d’igloos. Sa fascination pour cette culture et l’architecture ne cessera de grandir par la suite, le menant, à 17 ans, à travailler sur un chantier de construction à Frobisher Bay (aujourd’hui Iqaluit), puis à étudier à l’École d’architecture de l’Université McGill.

Après avoir obtenu son diplôme en 1975, Alain Fournier exerce sa profession chez PGL architectes, où il collabore à plusieurs projets internationaux, avant de fonder sa propre firme en 1982. Le projet de l’aérogare d’Iqaluit (1983), auquel il contribue à titre de consultant, est déterminant dans l’évolution de la carrière de l’architecte. Le bâtiment de couleur jaune éclatant, clin d’œil aux artistes inuits, devenu un repère culturel du Grand Nord, sert de point d’ancrage à une longue série de réalisations d’Alain Fournier dans les territoires de l’Inuit Nunangat (Nunavik, Nunavut et Nunatsiavut).

« Trois étincelles très rapprochées, en à peine 12 mois, sont à l’origine de mon indignation tranquille et de l’exutoire à celle-ci, l’action par l’architecture : la commande pour la conception et la construction du Shaputuan d’Oujé-Bougoumou, une formation sur les réalités autochtones avec, entre autres, l’historien wendat Georges E. Sioui et la crise d’Oka », explique-t-il.

Parmi les immeubles créés par l’architecte, on note des centres culturels et communautaires, des résidences pour aînées et aînés, des centres de la petite enfance et de santé, des constructions aussi complexes que la Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique, inaugurée en 2019, et bien plus encore. Édifiés depuis 1983, dont un grand nombre pour le compte d’EVOQ Architecture, firme qu’il a cofondée en 1996 et où il travaille toujours aujourd’hui, ces bâtiments portent chacun une signature à forte résonance symbolique pour les communautés dans lesquelles ils sont établis, tout en répondant à leurs besoins, auxquels Alain Fournier se montre extrêmement attentif.

En témoignent, par exemple, ses nombreux projets de logement social, qui s’accordent au mode de vie et aux activités traditionnelles des Inuits par leur organisation spatiale ouverte, ou encore l’aménagement des nouvelles aérogares prévues au Nunavik, dont la disposition des sièges des salles d’attente encouragera l’interaction communautaire plutôt que l’isolement individuel. Développés suivant un processus novateur de cocréation avec les communautés autochtones, les projets d’Alain Fournier permettent à celles-ci de célébrer leur culture avec leur narratif identitaire, favorisant une meilleure appropriation des bâtiments. Ce passionné d’art contribue d’ailleurs à accroître cette fierté par l’intermédiaire de l’intégration des arts à l’architecture, en mettant en valeur le talent d’artistes autochtones dans ses réalisations.

En parallèle de son travail sur le terrain, Alain Fournier est engagé dans plusieurs organisations, notamment l’Association des architectes en pratique privée du Québec, dont il a été le président de 2007 à 2010. Ce membre (fellow) de l’Institut royal d’architecture du Canada est de plus chargé de cours à la Faculté de l’aménagement de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, où il forme les futures générations d’architectes à une meilleure compréhension des défis à relever dans les territoires autochtones.

Charles Richard-Hamelin

Depuis les tout premiers débuts de sa jeune carrière, Charles Richard-Hamelin s’attire les éloges de la critique et du public. Ses interprétations sensibles et authentiques du répertoire classique, notamment des œuvres de son compositeur de prédilection, Frédéric Chopin, suscitent l’admiration. Dès que le musicien pose les doigts sur les touches d’un piano, la magie opère : la virtuosité est toujours au service de l’émotion et de la beauté. À tout juste 33 ans, Charles Richard-Hamelin poursuit un parcours professionnel déjà riche en succès et en récompenses, auxquels vient s’ajouter le prix Denise-Pelletier 2022, qui reconnaît sa contribution remarquable aux arts d’interprétation. Le pianiste québécois mondialement acclamé devient ainsi le plus jeune lauréat de l’histoire des Prix du Québec culturels.

Cette récompense représente « un grand honneur » pour Charles Richard-Hamelin : « Je suis très attaché à la culture d’ici. Faire carrière au Québec est important pour moi. Au cours de la pandémie, les organisations m’ont beaucoup sollicité et j’étais très content de jouer pour le public québécois. »

Originaire de Joliette, issu d’une famille modeste, Charles Richard-Hamelin est initié au piano dès l’âge de 4 ans par son père, pianiste amateur. Il insiste sur l’importance de sa région natale dans sa formation : « Pour réussir, il faut du travail, du talent et de la chance, à parts égales, affirme le jeune lauréat. J’ai le privilège de venir d’une région où la musique classique est valorisée. J’ai été soutenu financièrement par le père Lindsay, fondateur du Festival de Lanaudière, qui s’est assuré que je participe chaque année à son camp musical. » La passion grandissante de Charles Richard-Hamelin pour son instrument le mènera plus tard à étudier au Cégep régional de Lanaudière à Joliette, à l’Université McGill et au Conservatoire de musique de Montréal. Le célèbre Lanaudois est également titulaire d’une maîtrise de la réputée Yale School of Music, au Connecticut.

Les qualités musicales extraordinaires de Charles Richard-Hamelin attirent rapidement l’attention, et son talent ne tarde pas à être reconnu et récompensé. Après avoir obtenu, entre autres, le centième Prix d’Europe, décerné par l’Académie de musique du Québec, le phénoménal pianiste gagne le Career Development Award du Women’s Musical Club of Toronto. En 2014, il se fait remarquer à l’étranger en décrochant le deuxième prix au Concours musical international de Montréal, en plus du troisième prix et du prix de la meilleure interprétation d’une sonate de Beethoven au Seoul International Music Competition, en Corée du Sud.

C’est en 2015 que Charles Richard-Hamelin obtient la consécration internationale en remportant la médaille d’argent au prestigieux Concours international de piano Frédéric-Chopin, à Varsovie, ainsi que le prix Krystian Zimerman pour la meilleure interprétation d’une sonate. Il est le premier Québécois à atteindre la finale de ce concours de piano parmi les plus compétitifs et exigeants au monde. « J’avais 26 ans. C’est mon plus grand accomplissement à ce jour. C’est ce qui m’a fait connaître », confirme le pianiste.

Depuis 2014, Charles Richard-Hamelin a donné plus de 400 concerts, dont plus de 150 au Québec. Le formidable interprète est particulièrement apprécié au Japon, où 5 tournées l’ont amené à jouer dans 21 villes. Son prochain passage au pays du soleil levant aura lieu en décembre 2022.

Charles Richard-Hamelin a participé à plusieurs festivals internationaux et s’est fait entendre avec une cinquantaine d’ensembles, dont les principaux orchestres symphoniques canadiens, l’Orchestre philharmonique de Varsovie et le Tokyo Metropolitan Symphony Orchestra. En outre, il a enregistré une dizaine d’albums, dont 4 en collaboration avec Andrew Wan, violon solo de l’Orchestre symphonique de Montréal. L’excellence de ces enregistrements, tous parus sous l’étiquette québécoise Analekta, a été soulignée par la critique et récompensée par des prix Félix, Opus et Juno.

Charles Richard-Hamelin constitue l’un des plus prodigieux ambassadeurs culturels du Québec et il est une source d’inspiration pour les jeunes générations d’artistes. Parallèlement à sa brillante carrière d’interprète, il donne des cours de maître dans des conservatoires et des universités ici et à l’étranger. Depuis septembre 2020, il est également professeur invité à l’Université de Montréal. « Partager l’amour de la musique, que ce soit en jouant pour le public ou en enseignant à de jeunes interprètes passionnés, c’est une grande source de motivation et c’est ce que je souhaite faire le plus longtemps possible », conclut-il.

Michel Rabagliati

En à peine plus de 20 ans de carrière comme auteur de bandes dessinées, Michel Rabagliati a contribué de manière magistrale non seulement au renouveau de la bande dessinée québécoise et à son essor, mais également à l’évolution des perceptions à l’endroit de ce genre littéraire. Aujourd’hui, des réponses comme « Non, Léopold, pas une bande dessinée… [Choisis] un vrai livre… » (Paul au parc) se font de plus en plus rares. Car les auteurs de bandes dessinées comme Michel Rabagliati écrivent de vrais livres. Dans sa série Paul, ce créateur sensible et doté d’un humour exquis raconte le parcours de vie d’un homme ordinaire, le Québec et sa métropole avec un réel talent de romancier, doublé de qualités exceptionnelles de dessinateur. Les histoires de ce personnage attachant ont permis au neuvième art d’atteindre des sommets de popularité et de reconnaissance jamais égalés au Québec. En devenant le tout premier auteur de bandes dessinées à recevoir le prix Athanase-David, Michel Rabagliati parvient à des sommets encore plus hauts : cela  confirme que la bande dessinée occupe une place majeure dans la littérature québécoise.

Pour l’auteur, « c’est un immense honneur et une surprise » d’obtenir ce prix. « J’applaudis cette audace » des Prix du Québec. C’est « une réjouissante preuve que la perception du neuvième art a changé, tout comme la bande dessinée elle-même. Elle s’adresse aujourd’hui à tous les lecteurs, jeunes ou vieux, et ses thèmes sont aussi réfléchis que ceux des ouvrages “sérieux” sans images ».

L’essentiel de l’œuvre de Michel Rabagliati se déploie en 9 tomes, plus 1 album hors-série, comme autant de moments dans la vie de son personnage central Paul. Puisant à son propre vécu, le plus célèbre des auteurs de bandes dessinées québécois a gagné l’amour du public en racontant tout simplement le temps qui passe,  grâce à son alter ego. La jeunesse, l’achat d’une première maison, la naissance d’un enfant, la mort d’un proche ou encore la dépression font partie des étapes de l’existence que l’auteur revisite et réinvente dans sa série sans jamais en atténuer l’authenticité.

De son premier album Paul à la campagne (1999) au plus récent tome de la série, Paul à la maison (2019), Michel Rabagliati se révèle également extrêmement habile à représenter les lieux phares de Montréal, comme le Stade olympique dans Paul au parc (2011). Ce natif du quartier Rosemont et grand amoureux de sa ville fait de la métropole un véritable décor, plaçant dans ses albums des repères architecturaux, historiques et culturels.

Le moment de sa carrière dont l’auteur est le plus fier? « Lorsque j’ai décidé de commencer à écrire ma première histoire en bande dessinée, Paul à la campagne, un après-midi de septembre 1998. Je m’étais jusque-là interdit de travailler à quelque chose d’entièrement personnel. J’avais, durant 20 ans, travaillé comme graphiste et illustrateur pour des clients ou des entreprises. Le pont n’était pas facile à franchir pour moi, la liberté complète de création me donnait le vertige. »

Si les œuvres de Michel Rabagliati ont touché le cœur de centaines de milliers de lecteurs, elles ont également suscité une admiration unanime de la critique. Lauréat de nombreux prix, dont 4 Bédélys Québec et 2 Bédéis Causa, le « romancier qui écrit avec les images », comme le titrait La Presse en 2011, s’est aussi fait remarquer en recevant le Doug Wright Award for best book en 2006, en 2013 et en 2014. En 2010, il devient le premier Québécois à être récompensé au prestigieux Festival international de bande dessinée d’Angoulême en remportant le Prix du public pour Paul à Québec (2009) et répète l’exploit en 2021 en obtenant Le Fauve – Prix de la Série pour Paul à la maison. En outre, Michel Rabagliati a été nommé compagnon de l’Ordre des arts et des lettres du Québec en 2017 et chevalier des arts et des lettres de France en 2022. À ce jour, près de 500 000 exemplaires de la série Paul ont été vendus dans la francophonie, sans compter les nombreuses traductions.

Bien que Michel Rabagliati dise n’avoir aucun « conseil magique » à prodiguer à quiconque voudrait s’essayer à la bande dessinée, il invite néanmoins les débutantes et les débutants « à plonger, et à voir ce que ça donne! C’est un travail difficile, solitaire et assez demandant physiquement. Commencez par des histoires courtes, plutôt que de travailler en vase clos à un pavé durant plusieurs années. La réaction rapide des lecteurs vous aidera à aiguiser votre travail ».

Mireille Dansereau

Au fil des 55 dernières années, Mireille Dansereau s’est taillé une place unique dans l’histoire du cinéma québécois. Plus encore, elle a ouvert la voie à des générations de réalisatrices grâce à sa détermination et à son audace, en offrant comme modèles des œuvres authentiques, pertinentes et singulières. Possédant une habileté rare à fusionner avec subtilité le documentaire et la fiction, cette pionnière explore dans ses films les enjeux intimes comme sociaux. Le rapport au corps féminin, la famille, la relation mère-fille ou le suicide sont autant de thèmes abordés dans son œuvre vaste et variée, révélant une profonde sensibilité et une grande intégrité artistique.

Recevoir le prix Albert-Tessier représente pour Mireille Dansereau « une reconnaissance au Québec de [son] travail de 55 ans de cinéma ». « À mon retour de Londres, j’ai choisi de rester au Québec et de faire mes films en français, alors que j’avais des occasions en Europe », précise-t-elle avec fierté.

Mireille Dansereau attire l’attention comme cinéaste dès son premier court métrage Moi, un jour…, sélectionné au Festival du film de Montréal et présenté lors d’Expo 67. Ce film pose les premiers jalons thématiques de son œuvre cinématographique, dont la quête de liberté des femmes dans une société en changement. Puis, elle obtient une maîtrise du Royal College of Art de Londres en 1969. Au cours de ses années d’études en Angleterre, elle réalise 2 films, dont Compromise, lequel lui vaudra le premier prix du Festival international du film étudiant à Londres, ce qui est exceptionnel à l’époque pour une femme étudiant en cinéma.

De retour au Québec, elle cofonde en 1971 l’Association coopérative de productions audiovisuelles. En plus d’être la seule femme à participer à la fondation de cette organisation, elle devient l’année suivante la première Québécoise à réaliser un long métrage de fiction avec La vie rêvée, récompensé de plusieurs prix, à Toronto et sur la scène internationale. Ce film, qui porte un regard féministe tout nouveau sur la société québécoise des années 1970, lance véritablement la carrière de la réalisatrice. Avec lui s’amorce la création d’une longue série d’œuvres qui ne feront que confirmer la signature distinctive de cette figure majeure du septième art au Québec, faisant s’entrecroiser images de vie réelle, fictionnelle et instants de poésie.

Parmi ces œuvres, notons L’arrache-cœur (1979), dans laquelle elle aborde la relation mère-fille, thème récurrent dans sa filmographie, également exploré dans le moyen métrage Entre elle et moi (1992), exposant son rapport avec sa propre mère. Preuve de l’immense talent de la cinéaste à créer des films de grande qualité, aussi intelligents que touchants, les 2 œuvres ont récolté des récompenses, notamment la première avec un prix d’interprétation pour la comédienne Louise Marleau au Festival des films du monde. Le parcours de Mireille Dansereau est également marqué par son film Le sourd dans la ville (1987), adaptation du roman éponyme de Marie-Claire Blais qui met en scène une femme de famille aisée quittant son milieu pour s’installer dans un hôtel miteux. Ce film obtiendra une prestigieuse mention spéciale du jury œcuménique de la quarante-quatrième Mostra de Venise.

Bien d’autres œuvres importantes ont ponctué la carrière de la cinéaste féministe, l’une des premières au Québec. En font partie J’me marie, j’me marie pas (1973), 4 entrevues avec des femmes expliquant leur relation complexe avec les hommes, la maternité et leur féminité, de même que Les seins dans la tête (1994), Les cheveux en quatre (1996) et Vu pas vue (2018), dans lesquelles la réalisatrice explore le thème du corps féminin.

La cofondatrice de Réalisatrices équitables, entreprise qui défend la place des femmes dans le domaine du cinéma depuis 2007, est en outre à l’origine de films expérimentaux et novateurs, dont Les marchés de Londres (1996), créé à partir d’images tournées lors de ses études en Angleterre. Cette œuvre lui vaudra notamment d’être de nouveau invitée au Festival international du film de Venise et primée à Toronto.

Quel message Mireille Dansereau souhaite-t-elle transmettre à la relève? « N’attendez pas des années que les autres vous disent que vous avez fait un bon film. Continuez envers et contre tous. Construisez votre propre confiance en vous », recommande-t-elle. Pour être cinéaste, « il faut de la persévérance, de la détermination et du travail ».

Lorraine Pintal

Personnalité incontournable du théâtre au Québec, Lorraine Pintal a consacré sa carrière à sa passion pour cet art vivant. En plus de 45 ans de métier, jamais cette comédienne, metteuse en scène et directrice artistique n’a fait défaut de fougue, de détermination, ni d’engagement. Au contraire, elle continue d’enrichir la vie culturelle québécoise avec une constance et un dynamisme admirables par le truchement d’une vision artistique conciliant l’innovation et le soutien à la tradition. Pour sa contribution remarquable au rayonnement des arts de la scène, Lorraine Pintal obtient le tout premier prix Denise-Filiatrault, institué en 2021.

« Recevoir ce prix est un honneur en soi, mais le fait d’en être la première lauréate dépasse toutes mes espérances, se réjouit Lorraine Pintal. Cela me rend fière d’être reconnue comme ayant suivi les traces de Denise Filiatrault. Elle est une source d’inspiration. »

Diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1973, la communicatrice née explore les différentes facettes de la profession dès le début de sa carrière, notamment comme comédienne et metteuse en scène dans la compagnie La Rallonge, qu’elle a fondée, puis codirigée pendant 15 ans. Elle y signe ses premières mises en scène, qui se révèlent audacieuses et qui exposent déjà son intérêt pour la relecture des classiques.

Mais c’est véritablement dans les années 1980 que Lorraine Pintal dévoile son immense talent pour la mise en scène, qui deviendra sa principale occupation. Son approche sensible des textes fondateurs ou des pièces de création font aujourd’hui de cette grande metteuse en scène l’une des plus réputées du Québec. À ce jour, Lorraine Pintal a créé plus de 120 mises en scène pour le théâtre et l’opéra, en plus d’avoir réalisé ou contribué à la réalisation de plusieurs télé-théâtres et séries télévisuelles.

Forte d’une reconnaissance croissante  tant auprès du public qu’auprès du milieu culturel, Lorraine Pintal accède à la direction du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) en 1992. Elle devient ainsi la première femme à assumer à la fois la direction artistique et la direction générale de l’une des plus anciennes et importantes institutions théâtrales de langue française en Amérique du Nord. En outre, celle que l’on qualifie d’infatigable et de rassembleuse a mené avec brio la relance du TNM grâce à son dévouement et à son flair artistique, insufflant au théâtre un vent de renouveau qui n’a pas perdu de sa vitalité près de 30 ans plus tard.

Depuis le début de son directorat, la metteuse en scène a signé une trentaine des quelque 150 productions réalisées jusqu’à maintenant sous sa gouverne, mettant en valeur le meilleur du répertoire dramatique d’ici et d’ailleurs et faisant briller autant les jeunes talents québécois que les créateurs de renom, comme Réjean Ducharme.

En outre, animée par une volonté de faire rayonner le TNM au-delà du Québec, Lorraine Pintal a mené des initiatives fructueuses de coproduction, d’échange de spectacles et d’accueil de succès étrangers. Elle a également ouvert les portes du théâtre à d’autres formes d’art vivant, dont l’opéra et le cirque, favorisant ainsi une diversification du public et une reconnaissance plus vaste de l’institution théâtrale montréalaise.

Les ambitions de Lorraine Pintal pour « son » théâtre témoignent aussi de son souhait de rendre le lieu plus accessible et convivial ainsi que, plus largement, de contribuer à la démocratisation de l’art théâtral et de la culture. Pour réaliser ces aspirations, elle s’est engagée dans une première étape de rénovation du théâtre dans les années 1990, mission qu’elle poursuit aujourd’hui avec un projet d’agrandissement et de renouvellement de l’équipement scénique pour en faire un lieu culturel et de création à la fine pointe de la technologie. Par ce projet, Lorraine Pintal souhaite « créer une véritable maison de théâtre et donner au TNM un caractère d’institution théâtrale d’intérêt national ». Également dotée d’une capacité d’innovation extraordinaire et constamment en phase avec son époque, la directrice artistique et générale fait de la diffusion Web une alliée dans l’accroissement du public et l’accessibilité de celui-ci aux œuvres théâtrales.

Lorraine Pintal œuvre avec passion et ardeur à la vitalité de la scène culturelle québécoise. « C’est une chance immense que j’ai d’être toujours au cœur de la création », dit-elle. Sans contredit, celle qui a notamment été faite officière de l’Ordre national du Québec en 2016 et dont le travail a été récompensé de nombreux prix exerce une influence importante sur l’évolution de l’art vivant et constitue un pilier majeur du rayonnement des arts scéniques au Québec.

André Fournelle

Depuis près de six décennies, André Fournelle façonne la matière pour en faire jaillir la lumière. En véritable alchimiste, il transmute le métal, le feu ou encore le néon en éloquentes œuvres d’art. Ses sculptures et installations, permanentes comme éphémères, exposent sa profonde sensibilité à la fragilité humaine, de même qu’un engagement social fortement ancré. Ce grand nom de l’art contemporain québécois est le créateur d’une œuvre riche, constante et cohérente, qui marque la mémoire et le territoire, tant au Québec qu’à l’étranger.

Orphelin de guerre, celui qui considère que l’obtention du prix Paul-Émile-Borduas 2021 est « un grand honneur » a grandi à Montréal. C’est au début de la vingtaine, alors qu’il travaille dans une fonderie industrielle, qu’il développe une fascination pour le formage des métaux et ses multiples possibilités. Le métal en fusion deviendra ainsi la base de plusieurs de ses œuvres, de même que le charbon et le néon.

Artiste autodidacte, André Fournelle fait son apprentissage par des lectures et des expérimentations et étudie la sculpture dans le cadre d’ateliers aux États-Unis, en Italie, en Belgique et en France. En 1967, il contribue à la mise sur pied d’une fonderie expérimentale et collective, où il bénéficiera du compagnonnage d’Armand Vaillancourt. « Tout ce que j’ai acquis au fil des ans dans mon travail, je le dois en grande partie au compagnonnage ainsi qu’à ma curiosité, à ma passion pour mon métier et à ma persévérance », indique-t-il. Au cours de cette période, il collabore également avec Marcelle Ferron à la recherche d’alliages de verre et de métal et s’intéresse aux technologies, notamment au laser. Ce cheminement l’amènera à intégrer, dans les années 1970, le groupe Experiment in Art and Technology, un laboratoire de création multidisciplinaire américain, sous la direction de Robert Rauschenberg.

L’œuvre d’André Fournelle est issue de la mouvance de l’art engagé des années 1960. Puisant à diverses sources, comme les éléments naturels, les formes géométriques et certains courants de l’histoire de l’art, son travail porte une signature unique et reconnaissable entre toutes.

Plusieurs œuvres d’intégration de l’art à l’architecture et à l’environnement sont le fruit de l’audace et de l’ingéniosité de l’artiste, dont Un moment vivant (2000, Taipei, Taïwan) et Pyrophore (2003, Saguenay). Mentionnons également sa création intitulée Spirale, une imposante structure en néon de forme spiralée réalisée en 1989 et exposée dans le désert de la Vallée de la Mort, en Californie, qui rend hommage à l’un des fondateurs du land art, Robert Smithson.

Loin de se limiter à la sculpture, l’œuvre d’André Fournelle se déploie aussi dans des tableaux, des installations et des performances. Parmi les interventions les plus mémorables de l’artiste, notons Fires in Your Cities, en 1982, un grand X en tubes de néon apposé sur un immeuble qu’on s’apprêtait à démolir à Montréal. Tout aussi évocatrice, Lumière et silence, en 1999, sous le pont des Arts, à Paris, est considérée comme l’une des œuvres les plus spectaculaires d’André Fournelle. En 2005, l’artiste exécute une autre performance qui marquera l’imaginaire : à l’occasion de l’événement Les Incendiaires, présenté simultanément à Paris, au Centre Pompidou, et à Montréal, à la Place des fêtes, il fait brûler du charbon sur des lits en acier forgé afin de sensibiliser les citoyens au problème de l’errance.

Si l’activité artistique d’André Fournelle investit le champ de la critique sociale et politique, les matériaux qu’il emploie renvoient, en parallèle, à l’éphémère et aux cycles de la vie et de la mort. À titre d’exemple, Ligne d’or / Ligne de vie, résultat d’une performance de fonderie en direct réalisée en 2018 à la Fonderie Darling, rappelle la durée et la valeur aléatoires d’une vie.

Depuis le début de sa vaste et prolifique carrière, ce grand humaniste et artiste indigné produit des œuvres brillantes et poétiques, issues de pratiques innovantes, contribuant ainsi à l’avancement des arts. Il se pose en outre en pionnier dans le rayonnement de son art au-delà du territoire québécois, exposant son travail dans de multiples institutions ici comme à l’étranger, dont le Musée national des beaux-arts du Québec, la Galerie Clara Maria Sels à Düsseldorf, en Allemagne, la Chapelle des Brigittines à Bruxelles et l’Hôtel de la Monnaie à Paris.

Le plus grand souhait d’André Fournelle pour les années à venir est d’« avoir l’énergie, la santé, les facultés mentales, la passion, bref tout ce qu’il faut pour continuer à créer ». Du même souffle, il ajoute : « Et dans le prolongement de ce désir, je vous annonce, sans ironie d’ailleurs, que je n’ai aucunement l’intention de prendre ma retraite! »

Céline Galipeau

Rigoureuse, déterminée, passionnée, curieuse : les qualités que l’on reconnaît à Céline Galipeau font consensus. Présente dans l’univers télévisuel québécois depuis plus de 35 ans, cette journaliste aguerrie a développé un style et un ton à la fois humbles et affirmés qui ont façonné sa crédibilité. C’est grâce à l’ensemble de ces qualités remarquables qu’elle s’est taillée une place enviable dans le cœur des Québécoises et des Québécois, soucieuse de bien les informer et de les sensibiliser aux réalités du monde. Celle qui a couvert les événements marquants de la planète pendant deux décennies et qui est devenue la première femme chef d’antenne de la télévision publique canadienne en 2009 représente un modèle exceptionnel pour les jeunes qui aspirent à une carrière en journalisme.

Pour Céline Galipeau, recevoir le prix Guy-Mauffette 2021 est « un encouragement à continuer de pratiquer [son] métier avec intégrité, respect et humanité, comme [elle] essaie de le faire depuis toujours ». « C’est un prix qui rejaillit aussi sur toute l’équipe du Téléjournal. Et de le recevoir à l’ère de la désinformation, c’est encore plus précieux : c’est un message d’appui dans la recherche de la vérité qu’on poursuit soir après soir », ajoute-t-elle.

Née de l’union d’une mère infirmière d’origine vietnamienne et d’un père journaliste et diplomate canadien, Céline Galipeau se prédestinait au riche parcours professionnel et culturel qu’elle mènera adulte, elle qui a passé presque toute son enfance au Togo, au Sénégal, au Liban, en Cisjordanie et en Jordanie.

À l’âge de 20 ans, la jeune globe-trotteuse revient au Québec pour poursuivre des études en sciences politiques et en sociologie à l’Université McGill, avant d’entamer sa carrière à Radio-Canada en 1984. En 1989, elle devient correspondante nationale à Toronto, fonction qu’elle exercera jusqu’en 1992, puis à l’international, soit tour à tour à Londres, à Moscou, à Paris et à Pékin. Dans le cadre de ses affectations en Russie et en Chine, elle est une des premières femmes à occuper un poste de correspondante bilingue en anglais-français pour CBC et Radio-Canada.

Au cours de son parcours à l’étranger, Céline Galipeau couvre divers conflits, dont ceux du golfe persique, de la Tchétchénie, du Kosovo et de l’Afghanistan. En 2001, au Pakistan, elle doit porter le voile pour réaliser ses reportages. L’image de la journaliste, voilée et vêtue d’un gilet pare-balles, marquera les esprits.

Adoptant une approche humaine et engagée, Céline Galipeau s’illustre particulièrement par ses entrevues empreintes de curiosité et de respect et ses reportages sur le sort souvent brutal réservé aux femmes dans les milieux qui leur sont hostiles. Parmi ses reportages-chocs, notons ceux sur les Afghanes s’immolant par désespoir et les veuves blanches de l’Inde. Préoccupée par les conditions de vie des femmes de partout dans le monde, la journaliste a en outre produit une série de reportages sur la quatrième Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes en 1995 à Pékin, qui lui vaudra le prestigieux Prix Amnistie internationale. Encore récemment, en 2020, elle présentait une émission intitulée Ces femmes qu’on tue, sur le thème du féminicide.

D’autres émissions d’actualités internationales ont par ailleurs profité des talents d’animatrice de cette formidable ambassadrice du journalisme québécois, dont En direct du monde (2016-2018), avec les correspondants de Radio-Canada à l’étranger, et Minuit moins une pour la planète (2019), sur l’urgence climatique.

À la barre du Téléjournal de Radio-Canada depuis plus de 10 ans, Céline Galipeau expose aux téléspectateurs les histoires les plus importantes de notre époque, au moyen d’une couverture captivante des troubles politiques dans le monde et d’une fine analyse de l’actualité du jour. Si elle reste discrète et modeste devant les sujets qu’elle aborde, c’est d’abord et avant tout pour porter au premier plan la nouvelle, qu’elle communique avec autant de sensibilité que d’authenticité. « D’avoir contribué, à ma façon, à raconter le monde est sans doute ma plus grande fierté », affirme-t-elle.

Récompensée à maintes reprises, cette pionnière et travailleuse acharnée a notamment été nommée officière de l’Ordre national du Québec en 2009 et a reçu la Médaille d’honneur de l’Assemblée nationale en 2019.

Pour la suite de sa carrière, Céline Galipeau dit vouloir continuer d’aller à la rencontre des gens d’ici et d’ailleurs. « C’est essentiel, pour moi, de prendre le pouls d’une situation, de “sentir la poussière”, comme on dit. Je reste une reporter dans l’âme », confie-t-elle. « Un projet fou? De grandes entrevues avec des femmes aux quatre coins de la planète qui agissent pour faire changer les choses! »

Yvette Mollen

Selon l’UNESCO, pas moins de la moitié des 6000 langues connues sur la planète auront disparu d’ici la fin du siècle et, avec elles, des trésors du savoir humain. Pour Yvette Mollen, il n’est pas question de baisser les bras devant ces prévisions peu encourageantes. Déterminée à renverser le déclin de sa langue maternelle, l’innu-aimun, elle se consacre depuis plus de 25 ans à la préserver, à la transmettre et à la revitaliser.

L’obtention du prix Gérard-Morisset 2021 représente pour Yvette Mollen « une marque de reconnaissance de tout le travail accompli / nishtuapatakanu an kassinu ne atusseun ka ishpish tutaman, eukuan tshipa itenitakuan. Je crois en la sauvegarde de la langue innue et je travaille continuellement à cela. Je souhaite que tous les Innus soient de plus en plus conscients du danger qui guette leur langue ».

Yvette Mollen est née dans la communauté innue d’Ekuanitshit (Mingan), sur la Côte-Nord. D’abord comme enseignante au primaire, puis à titre de directrice du département Langue et culture de l’Institut Tshakapesh, de même que grâce à sa participation à la création de divers outils pédagogiques, elle présente un parcours professionnel exemplaire et cohérent. Sa plus grande ambition : assurer la survie de l’innu-aimun en favorisant le développement d’un intérêt, tant chez les jeunes Autochtones que chez les non-Autochtones, pour cette langue descriptive au vocabulaire riche et complexe.

Les contributions et les réalisations d’Yvette Mollen dans les domaines de l’enseignement et de la recherche universitaire sur les langues autochtones sont nombreuses. Au début des années 2010, la linguiste collabore notamment à la création du Dictionnaire pan-innu (innu-anglais, innu-français et vice-versa), puis à l’élaboration de la grammaire innue, lesquels viennent en appui à l’émergence d’une littérature autochtone. Elle participe de plus à la conception de jeux interactifs et de manuels d’enseignement, ainsi qu’à la composition d’un corpus important et inédit de livres jeunesse. « Je suis très fière d’avoir su amener les locuteurs à s’intéresser à leur belle langue maternelle », mentionne-t-elle.

Pierres angulaires du savoir innu et de la pérennité de la langue, ses travaux et les outils qu’elle a développés sont une source d’inspiration et de véritables modèles pour les communautés linguistiques de partout dans le monde menacées de disparition. Ils ont permis à Yvette Mollen de prononcer des conférences à l’étranger et d’y acquérir une reconnaissance. En 2020, cette pionnière recevait d’ailleurs le premier Prix de la valorisation des langues autochtones de l’Université de Montréal pour s’être démarquée dans ses efforts de protection de celles-ci.

Sa connaissance approfondie de la langue et de la culture innues a par ailleurs amené Yvette Mollen à traduire du français vers l’innu et de l’innu vers le français des documents administratifs ou relatifs aux négociations territoriales autochtones, à la santé, à la politique, etc. Celle qui partage avec passion la richesse de sa culture est la traductrice en innu-aimun de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones présentée à l’ONU, en 2010. Forte de son expertise et de sa notoriété, elle a de plus participé aux consultations du ministère du Patrimoine canadien sur la mise en œuvre de la Loi canadienne sur les langues autochtones.

Nommée professeure invitée au Département de littératures et de langues du monde et du Centre de langues de l’Université de Montréal en 2021, Yvette Mollen y enseigne l’innu depuis 2017. Cette nomination, qui s’inscrit dans la foulée du lancement du plan d’action Place aux Premiers Peuples de l’établissement universitaire, lui accorde notamment le mandat d’agir à titre d’experte-conseil pour la conception d’activités de formation ou de recherche en vue d’une meilleure intégration des savoirs et des pratiques autochtones.

Pour la suite de sa carrière, Yvette Mollen caresse de nombreux projets, dont celui d’enseigner l’innu à ses petits-enfants. « Tshika ui ashu-minakanuat innu-aimunnu anitshenat aianishkat tshe petuteht / La transmission de la langue doit se faire de génération en génération », affirme-t-elle.

Par son importante contribution, celle qui a consacré sa carrière à la survie de sa langue maternelle aura en outre permis de bâtir des passerelles entre allochtones et autochtones, favorisant la réconciliation. À la lumière de ses vastes réalisations, Yvette Mollen incarne rien de moins que l’excellence pour la protection et la valorisation d’un héritage unique au monde.

Claude Poirier

Pionnier dans la création d’outils valorisant les usages du français au Québec, Claude Poirier a bâti un héritage précieux dont profite l’ensemble de la francophonie. En effet, non seulement ses travaux ont servi à documenter le lexique québécois, mais ils ont également exercé une influence sur les dictionnaires de langue française, laquelle dure encore aujourd’hui. L’importante contribution du professeur et linguiste à l’essor de la lexicographie au Québec dans les années 1980 et à la reconnaissance du français tel que nous le parlons ici en font un véritable promoteur de la culture québécoise, ainsi que, plus largement, de la diversité francophone et de ses multiples accents.

Claude Poirier reçoit le prix Georges-Émile-Lapalme 2021 avec fierté. « Il représente la reconnaissance par mon pays, le Québec, des efforts qu’ont déployés les historiens de la langue pour réhabiliter le français québécois », affirme-t-il.

Titulaire d’un doctorat de l’Université des sciences humaines de Strasbourg, Claude Poirier amorce sa brillante carrière de professeur-chercheur en lexicologie et en lexicographie à l’Université Laval en 1975. La mise sur pied du laboratoire de recherche le Trésor de la langue française au Québec, dont il assurera la direction de 1983 jusqu’à sa retraite, en 2011, lui permettra de rassembler une documentation colossale pour réaliser son projet de Dictionnaire historique du français québécois, développé avec des collègues.

Les premiers résultats du Trésor de la langue française au Québec se font voir en 1985, avec la publication du Dictionnaire du français québécois, qui marque le début de la lexicographie québécoise moderne. Pendant cette période, Claude Poirier participera également à la rédaction du Dictionnaire du français Plus (1988), le premier ouvrage du genre à mettre en évidence les auteures et auteurs du Québec.

Puis, en 1998, paraît le Dictionnaire historique du français québécois. Cette œuvre unique constitue un apport magistral à la connaissance de l’histoire du français parlé au Québec. Dans la foulée du succès qu’obtient l’ouvrage, le Trésor de la langue française au Québec, qui comporte aujourd’hui une bibliothèque spécialisée, un fichier lexical de plus d’un million de fiches et une impressionnante base de données panfrancophone, deviendra le plus grand laboratoire de recherche en Amérique sur le français québécois et nord-américain.

Autre projet phare réalisé sous la direction de Claude Poirier, la Base de données lexicographiques panfrancophone, lancée en mars 2004, met en lumière certaines caractéristiques communes du français québécois avec d’autres variantes de la langue française. Celui qui est considéré comme l’une des personnalités centrales de la linguistique canadienne obtient la collaboration d’équipes de pays francophones de partout dans le monde pour alimenter cette banque de données créée par le Trésor de la langue française au Québec. En outre, Claude Poirier contribuera à accroître l’accessibilité aux renseignements colligés au moyen de la numérisation du fichier lexical, rendant plus de 400 000 fiches disponibles aux chercheurs du Québec et de l’étranger.

La Base de données lexicographiques panfrancophone est la réalisation dont Claude Poirier se réjouit le plus. « En comparant les usages québécois avec ceux d’une vingtaine de pays ou de régions de langue française, on a pu montrer que le Québec n’est pas isolé dans la francophonie, mais, au contraire, qu’il partage avec toutes les zones francophones du monde un grand nombre de mots et d’expressions », expose-t-il.

L’influence du travail de Claude Poirier s’étend à de nombreux autres outils linguistiques, comme le dictionnaire électronique du français en usage au Québec, Usito, auquel a collaboré Hélène Cajolet-Laganière. Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française a également bénéficié de l’expertise de linguistes du Trésor de la langue française au Québec. Sous la direction de Claude Poirier, le laboratoire de recherche a formé pas moins de 230 étudiantes et étudiants, devenus enseignants, terminologues ou encore traducteurs, qui relaient avec fierté les aspirations du professeur.

Bénéficiant d’une grande notoriété, l’éminent chercheur est devenu un commentateur incontournable de la question linguistique au Québec, étant régulièrement sollicité pour des interventions dans les médias. Il a en outre rédigé de nombreux articles pour des revues scientifiques, codirigé des ouvrages collectifs et prononcé des conférences au Canada, aux États-Unis et en Europe. L’ensemble de son travail a été récompensé de plusieurs prix et distinctions.

Claude Poirier a contribué de manière exceptionnelle à l’avancement du savoir dans le domaine de la linguistique. Même à la retraite, il poursuit son œuvre en collaborant à la rédaction de la deuxième édition du Dictionnaire historique du français québécois et en travaillant à une histoire du français québécois.

Gérard Beaudet

Urbaniste émérite, Gérard Beaudet œuvre depuis plus de 40 ans à faire connaître et reconnaître le territoire québécois comme un bien commun et un legs précieux. Tant par ses qualités de professeur et de chercheur que grâce à ses nombreuses réalisations, cette figure incontournable de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire mène une carrière prolifique, laissant sa marque dans le paysage québécois. Grand communicateur et vulgarisateur, il fait preuve en outre d’un engagement profond à l’égard des enjeux urbanistiques, participant activement à la réflexion collective. Le prix Ernest-Cormier 2021 souligne l’apport remarquable de Gérard Beaudet, premier lauréat à recevoir cette reconnaissance pour son expertise éprouvée dans les domaines à la fois de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.

Après des études en architecture, puis en urbanisme, Gérard Beaudet amorce sa carrière dans les années 1980 à la Société technique d’aménagement régional, où on lui confie rapidement des dossiers d’urbanisme de plusieurs municipalités de la région de Montréal. Ses réalisations seront le fruit d’une approche urbanistique tenant compte de la protection et de la valorisation du patrimoine. Pour Gérard Beaudet, le patrimoine est une dimension inhérente aux environnements bâtis et aux milieux de vie. C’est pourquoi il l’inscrit dans un contexte élargi d’action sur la ville.

À partir de 1989, celui qui a travaillé dans plusieurs régions, villes et secteurs urbains amorce un parcours d’enseignement universitaire. D’abord chargé de cours, puis professeur à l’Institut d’urbanisme (devenu l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal), il en sera le directeur, de 2001 à 2009. Les champs d’intérêt de recherche de Gérard Beaudet sont, entre autres, la régénération et la morphologie urbaines, l’urbanisme métropolitain, l’aménagement régional et touristique ainsi que le paysage.

Pendant ses années à la direction de l’École d’urbanisme, il engage une collaboration soutenue avec l’Union des municipalités du Québec, pour laquelle il rédigera une politique du transport et de la mobilité durable. Après son passage à plein temps à l’université, Gérard Beaudet maintient néanmoins des liens étroits avec le monde professionnel de l’urbanisme. Aujourd’hui coresponsable de l’Observatoire de la mobilité durable rattaché à l’École d’urbanisme, il est d’ailleurs parmi les tout premiers urbanistes québécois à s’intéresser à la mobilité.

Parallèlement, Gérard Beaudet multiplie les présences dans les médias écrits et électroniques et participe à un grand nombre d’activités à caractère scientifique, professionnel ou sociocommunautaire, ce qui fait sans aucun doute de lui l’un des urbanistes les plus lus et entendus du Québec. À ce jour, il a prononcé quelque 200 conférences et pris part à près de 80 panels. Il a réalisé plus de 200 entrevues à la radio et à la télévision, a présenté 80 chroniques et a été cité à plus de 300 reprises dans des articles ou des reportages, sur des thèmes aussi variés que le paysage, le récréotourisme, l’étalement urbain ou encore la dévitalisation des petites collectivités. Gérard Beaudet est de plus l’auteur, coauteur ou éditeur de 12 ouvrages, d’une trentaine de chapitres de livres, d’une soixantaine d’articles scientifiques et généralistes ainsi que d’une quarantaine de textes d’opinion. Ce sont par conséquent plusieurs dizaines, voire des centaines de milliers de personnes qu’il aura sensibilisées aux enjeux liés à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire québécois, en plus des 2 500 étudiantes et étudiants qu’il aura formés.

Avec le recul, l’urbaniste se dit fier de la « continuité intellectuelle de son parcours ». « Je n’avais pas envisagé de travailler en pratique privée, de découvrir le récréotourisme, le paysage et le Québec des régions, de devenir président d’Héritage Montréal, de publier des ouvrages, de faire carrière à l’université, de devenir directeur de l’Institut d’urbanisme et de participer de manière assidue aux débats publics sur les questions d’aménagement, d’urbanisme et de conservation. Le grand timide que j’étais – et que je suis toujours – envisageait plutôt une carrière au ministère des Affaires culturelles [aujourd’hui le ministère de la Culture et des Communications]. Celle-ci s’est finalement résumée en un stage de deux mois », raconte-t-il.

L’apport de Gérard Beaudet au développement et au rayonnement de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire est indéniable. Grâce à ses accomplissements, le chercheur et urbaniste a su ériger des ponts entre l’aménagement du territoire et les enjeux de société, dans une volonté évidente de voir se développer une véritable identité territoriale. Pour l’avenir, il aspire à continuer « d’inspirer, autant que faire se peut, ceux et celles pour qui le bien commun est une des principales assises du vivre-ensemble et d’un rapport collectif équitable au territoire ».

Michel Rivard

« Le monde a besoin de magie », chantait Michel Rivard en 1979. Voilà probablement pourquoi, depuis plus de 40 ans, l’auteur-compositeur-interprète, guitariste et comédien œuvre à lui en insuffler. Mais pour ce monument de la culture québécoise, il n’y a pas de magie sans travail. Michel Rivard reçoit donc le prix Denise-Pelletier 2021 comme « une belle grosse tape sur l’épaule, un encouragement à continuer à chercher, à donner, et ce, jusqu’au bout de mon âge! » dit-il.

Fils d’un père comédien, le surnommé « Flybin » s’intéresse tôt à la musique et au théâtre. À 22 ans, il crée le groupe Beau Dommage avec d’autres membres de la troupe de théâtre musical et absurde La Quenouille bleue. Jusqu’à sa dissolution en 1978, la formation culte enfilera les succès, dont plusieurs deviendront des classiques du répertoire québécois. Parmi ceux-ci, Chinatown et la plus que célèbre Complainte du phoque en Alaska révèlent au grand public les talents du parolier, tandis que Ginette et 23 décembre dévoilent ceux du compositeur, auxquels s’ajoutent de remarquables qualités d’interprète.

Peu avant la séparation du groupe, Michel Rivard enregistre son premier album solo, Méfiez-vous du grand amour, suivi en 1979 par De Longueuil à Berlin. Au cours de cette période, il séjourne et se produit à Bruxelles et à Paris. À son retour au Québec, l’artiste se tourne un moment vers le théâtre et le cinéma, avant de former le Flybin Band, qui lui est toujours fidèle, et de faire paraître le disque Sauvage en 1983.

Onze autres albums suivront, dont Un trou dans les nuages (1987), Le goût de l’eau et autres chansons naïves (1992), Maudit bonheur (1998) et Roi de rien (2013). Ces œuvres aux sonorités folks-urbains-contemporains racontent le Québec de manière intime, avec acuité. Plusieurs chansons issues de cette vaste discographie resteront gravées dans notre mémoire collective, notamment Libérer le trésor, Le cœur de ma vie et La lune d’automne. L’auteur-compositeur prêtera aussi son exceptionnel talent de parolier à des personnalités reconnues de la chanson québécoise, dont le regretté Gerry Boulet (Toujours vivant) et Isabelle Boulay (Entre Matane et Bâton Rouge).

Artiste multidisciplinaire, Michel Rivard empruntera d’autres chemins à divers moments de sa carrière. Il se montrera notamment un improvisateur redoutable dans la Ligue nationale d’improvisation au cours des années 1980 et 1990, ce qui lui vaudra d’être intronisé au Temple de la renommée en 2002. Ce touche-à-tout a également joué au petit et au grand écran, de même qu’au théâtre; il a animé le gala de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo; et il a enseigné la création artistique au populaire concours Star Académie.

Le musicien charismatique s’est aussi illustré à titre de compositeur, notamment pour le film Les matins infidèles (1989), ainsi que pour l’opéra folk Les filles de Caleb. Ce spectacle grandiose présenté à l’aube des années 2010 l’a mené à écrire 36 chansons en moins de 2 ans.

Avec le recul, de quel aspect de son parcours Michel Rivard est-il le plus fier? « La constance! » s’exclame-t-il. « Au début de la vingtaine, je me suis lancé dans une aventure exaltante où se côtoyaient la chanson, le théâtre, l’écriture et l’humour. Comme je n’avais aucune formation officielle dans aucune de ces disciplines, j’ai appris en faisant, toujours curieux, toujours à l’affût, toujours gourmand de culture et de perfectionnement. J’ai eu 70 ans cette année, et rien n’a changé dans ma démarche. »

En 2019, tous les chemins artistiques qu’a suivis Michel Rivard depuis les débuts de sa carrière convergent vers L’origine de mes espèces, une proposition théâtrale où s’entremêlent chansons et monologues, autodérision et drame. Tout au long de ce récit chanté qui raconte sa jeunesse et l’histoire de ses parents, le conteur démontre une sincérité désarmante, sans jamais franchir les frontières de cette pudeur qu’on lui connaît. Avec cette œuvre magistrale, celui dont on dit qu’il est l’un des plus grands musiciens québécois de sa génération rehausse une fois de plus les sommets de son excellence. Et il n’a pas l’intention de s’arrêter là.

Au fil de ses projets et de ses succès, Michel Rivard s’est créé un style bien à lui, qui allie profondeur, humour et justesse dans le ton comme dans les mots. Avec plus de 2000 spectacles en carrière, quelque 25 albums (toutes contributions confondues) et une vingtaine de prix et de distinctions, dont le titre de chevalier de l’Ordre national du Québec, il constitue un véritable pilier des arts d’interprétation au Québec.

Michel Marc Bouchard

Figure majeure de la dramaturgie québécoise, Michel Marc Bouchard est l’auteur d’une œuvre monumentale s’étendant sur plus de 40 ans de création et de reconnaissance. Ses pièces, qui exposent son attachement indéfectible à ses racines jeannoises, se déploient dans des thèmes à portée universelle, contribuant ainsi à leur rayonnement sur la scène internationale. À ce jour, elles ont donné lieu à pas moins de 450 productions présentées dans quelque 30 pays et à de nombreuses traductions. Sans contredit, l’attribution du prix Athanase-David 2021 à Michel Marc Bouchard confirme l’appartenance de cet auteur remarquable à la lignée des grands dramaturges québécois qui l’ont précédé à titre de lauréats de ce Prix du Québec.

« C’est une grande surprise », répond Michel Marc Bouchard lorsqu’on lui demande ce que représente pour lui l’obtention du prix Athanase-David 2021. « Soudainement, on voit tout en perspective. Ça donne le vertige. On se rend compte qu’effectivement, on a apporté quelque chose à la culture, à la société québécoise. Peu de dramaturges ont obtenu ce prix, je suis donc extrêmement fier de le recevoir. J’ai le sentiment de contribuer ainsi à la reconnaissance des auteurs dramatiques, de les représenter. »

De La contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste, sa première création en 1983, jusqu’à Embrasse, sa plus récente offrande en 2021, Michel Marc Bouchard a érigé une œuvre riche en histoires, livrées dans une écriture classique aux accents lyriques, mariant dans un habile équilibre le comique et le tragique. Ces histoires, opposant vérité et mensonge, brutalité et fragilité, et racontées par des personnages pour la plupart marginaux ou vulnérables, témoignent non seulement de son humanisme et de sa sensibilité à l’égard de sa société, mais également de sa fine intuition. Que ce soit l’adoption d’un enfant par un couple gai (La contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste) ou la question d’identité de genre (Christine, la reine-garçon), les thèmes abordés ont souvent donné au brillant dramaturge une longueur d’avance sur son temps.

Au fil des années, Michel Marc Bouchard a enrichi le répertoire dramatique québécois de plus de 25 pièces et collaboré avec les metteurs en scène du Québec les plus importants, de même qu’avec les grands théâtres et festivals. Parmi ses œuvres les plus connues, notons : Les feluettes; Les muses orphelines; L’histoire de l’oie; Le voyage du couronnement; Le chemin des Passes-Dangereuses; Tom à la ferme; Christine, la reine-garçon; La divine illusion; et La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.

Le prolifique dramaturge a été maintes fois récompensé et jouit d’une éblouissante reconnaissance à l’étranger.

Cette reconnaissance à l’international arrive d’ailleurs tôt dans la carrière de l’auteur. Dès la fin des années 1980, ses pièces commencent à voyager sur les scènes du monde entier et attirent un public sans cesse croissant. À elle seule, Les muses orphelines a été produite plus de 150 fois dans plus de 20 pays depuis sa création en 1988. L’histoire de l’oie (1989), qui aborde avec délicatesse et originalité le drame de la violence faite aux enfants, a également connu un succès retentissant. Récompensée d’une dizaine de prix, l’œuvre de théâtre jeunesse a été jouée sur cinq continents, et ce, pendant une quinzaine d’années.

Par ailleurs, celui qui se distingue aussi comme librettiste et scénariste a participé à l’adaptation des Feluettes pour l’opéra et a coscénarisé plusieurs versions cinématographiques de ses pièces, dont Tom à la ferme qui a fait partie de la sélection officielle du Festival de Venise en 2013.

En 2005, il a été notamment fait Officier de l’Ordre du Canada. En 2012, il a été fait chevalier de l’Ordre national du Québec et membre de l’Académie des lettres du Québec. Son nom figure au dictionnaire Larousse depuis 2016.

Écrivain engagé, Michel Marc Bouchard défend notamment dans ses textes les droits des personnes homosexuelles et la liberté d’affirmation. Endossant également le rôle de passeur, il a donné des classes de maître, entre autres à Barcelone et à Rome, et enseigne périodiquement depuis 2006 l’écriture dramatique à l’École nationale de théâtre du Canada.

La plus grande fierté de Michel Marc Bouchard? « D’avoir été un auteur dramatique en tout temps. J’ai gagné ma vie avec le théâtre, je n’ai écrit que du théâtre, ou presque. J’en suis vraiment fier. Rares sont les auteurs dramatiques qui ne s’accomplissent pas aussi dans d’autres formes littéraires », convient-il. Il envisage toutefois les années à venir un peu différemment : « J’aimerais un jour toucher à la prose, à la poésie, à la nouvelle. Je souhaite surtout pour le moment poursuivre la recherche, continuer d’entretenir la relation privilégiée avec le public, les “lecteurs” de mon théâtre. »

Serge Giguère

Si « c’est le visage qui fait l’âme du personnage », comme il est dit en amorce du documentaire Le mystère MacPherson, pour Serge Giguère, c’est le personnage qui fait l’âme de ses films. Car le cinéaste confère à chaque être humain qu’il révèle à travers sa caméra, avec respect et admiration, le pouvoir d’insuffler une personnalité à ses œuvres, dont il demeure néanmoins le créateur. S’inscrivant dans la tradition du cinéma direct, sa riche cinématographie, reliée par le fil conducteur de la culture populaire et de l’identité québécoise, est le fruit d’un véritable talent de portraitiste et d’une maîtrise exceptionnelle de l’image qui font de Serge Giguère l’un des plus grands artisans du documentaire québécois des dernières décennies.

Lorsqu’on demande au cinéaste ce que représente pour lui la réception du prix Albert-Tessier 2021, il répond d’abord avec humilité en être surpris, puis il ajoute aussitôt : « C’est un honneur. On peut dire que, si ma mère était encore là, elle serait fière de son petit gars! » s’esclaffe-t-il.

Serge Giguère débute dans le cinéma à la fin des années 1960 comme assistant-caméraman pour des films de fiction, avant de côtoyer et d’assister les grands du documentaire de l’époque, comme Pierre Perrault dont l’approche artistique inspirera la démarche créatrice du futur réalisateur. « À notre insu, on veut toujours ressembler aux personnes qu’on admire », mentionne-t-il. Le cinéaste apprend également au cours de cette période les rudiments de la direction photo. Pas moins d’une soixantaine de films et de nombreux réalisateurs auront bénéficié de son savoir-faire à la caméra, qu’il met d’abord et avant tout au service de l’œuvre.

Parallèlement à son métier de caméraman, Serge Giguère développe ses talents de réalisateur. En 1974, il cofonde Les Films d’aventures sociales du Québec et coréalise ses trois premiers films, dont le documentaire Belle famille (1978), tourné sur une période de six années. Déjà s’y trouvent les ingrédients fondamentaux de ce que deviendra le cinéma de Serge Giguère, façonné par l’amour des personnes auxquelles le documentariste donne la parole et une volonté patiente de saisir à leur contact des instants d’authenticité.

En 1984, Serge Giguère cocrée avec Sylvie Van Brabant Les Productions du Rapide-Blanc, vouées à la production de films d’auteur et de documentaires à portée sociale. Il y réalise notamment le film Oscar Thiffault (1987), qui marquera ses véritables débuts en tant que documentariste. Viendront ensuite Le roi du drum (1991), sur l’excentrique batteur Guy Nadon, puis 9, Saint-Augustin (1995), qui propose un voyage dans l’imaginaire d’un prêtre-ouvrier. Au fil de ces documentaires, le style du cinéaste s’affine et se cristallise. Le réalisateur tisse ainsi une cinématographie originale, intimiste et empreinte d’humanisme qui s’inscrit désormais dans l’histoire culturelle du Québec.

Cette fascinante cinématographie comprend également Le reel du mégaphone (1999), un portrait du syndicaliste et musicien Gilles Garand, et Suzor-Coté (2001), tout premier film consacré au célèbre artiste. « Je suis choyé d’avoir pu accéder à l’univers de personnages capables de témoigner de leur bagage culturel. Mes films servent à faire résonner leur histoire », explique le documentariste.

Avec les documentaires À force de rêves (2006) et Le mystère MacPherson (2014), Serge Giguère est au sommet de son art. Acclamés et récompensés, ces deux films permettent au cinéaste d’obtenir une plus vaste reconnaissance. Également très sensible aux enjeux de son époque, Serge Giguère proposera dans Le Nord au cœur (2012) le portrait du géographe, linguiste et ardent défenseur des peuples autochtones Louis-Edmond Hamelin. Sa plus récente offrande, Les lettres de ma mère (2018), suscite en outre l’admiration tant de la critique que du public pour sa maîtrise de l’art documentaire et son habileté à le renouveler.

En 2021, Serge Giguère dit aimer toujours autant les défis. Son actuel projet de documentaire en est d’ailleurs un de taille : créer un film avec des images et des textes accumulés sur une quarantaine d’années par lui à la caméra et un ami réalisateur, aujourd’hui décédé. « J’ai hâte de renouer avec les moments d’émerveillement devant le matériel tourné et d’y ajouter d’autres tournages pour actualiser ces “archives” », confie-t-il.

À titre de réalisateur ou de directeur photo, Serge Giguère œuvre avec passion depuis plus de 50 ans à ériger une cinématographie personnelle autour d’êtres inoubliables. Grâce à son travail soutenu et attentif, le cinéma québécois s’est enrichi de films attachants et vrais.

Céline Vaneeckhaute

Céline Vaneeckhaute œuvre dans le domaine de l’ingénierie des procédés verts et des bioraffineries. La récupération de ressources valorisables à partir des matières résiduelles et des eaux usées est au cœur de ses travaux.

La nature passionne la chercheuse depuis son plus jeune âge. « Petite, je travaillais dans le jardin avec ma mère, se remémore-t-elle. J’ai toujours voulu protéger l’environnement. Je voulais faire quelque chose d’utile pour la société. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi la bio-ingénierie avec une spécialisation en technologies environnementales à l’université. »

Ses travaux apportent des solutions à des problématiques environnementales très actuelles. Par exemple, l’une de ses plus récentes découvertes scientifiques a permis la mise au point d’une nouvelle technologie pour la récupération des excédents de phosphore dans l’eau, un polluant en cause dans la prolifération des algues bleu-vert. Une autre application concrète de ses recherches touche la biométhanisation et la valorisation des résidus organiques. Elle a créé en 2016 un laboratoire de recherche unique au Canada qui permet de simuler à petite échelle la récupération des biogaz et des engrais biosourcés, le tout en mettant à contribution des partenaires du milieu municipal et des entreprises privées pour stimuler la transition vers une économie circulaire axée sur les bioressources.

Arrivée au Québec en 2013 et nommée professeure agrégée à la Faculté des sciences et de génie de l’Université Laval en juin 2021, Céline Vaneeckhaute est déjà très accomplie dans son domaine. Elle a mis sur pied et dirige actuellement BioEngine, une équipe de 16 chercheurs. Sa production scientifique et son leadership international lui ont valu la Chaire de recherche du Canada en récupération des ressources et ingénierie des bioproduits, ce qui lui a permis de figurer parmi les plus jeunes titulaires de chaires au Canada.

Chercheuse prolifique, Céline Vaneeckhaute a publié plus de 50 articles dans des revues scientifiques et professionnelles, et a aussi pris part à plus de 100 conférences et événements professionnels sur invitation, ici et ailleurs dans le monde. Elle a également publié plus de 100 actes de congrès, une dizaine de chapitres de livres ainsi qu’un ouvrage complet intitulé Nutrient Recovery from Bio-Digestion Waste: From Field Experimentation to Model-based Optimization. Ses publications sont utilisées comme référence par plusieurs organismes gouvernementaux au Québec comme à l’étranger, tant pour appuyer le développement de réglementations portant sur les engrais biosourcés que pour aider la prise de décision concernant les technologies à implanter pour la gestion des matières résiduelles et des eaux usées. Les résultats de ses recherches, trouvant une multitude d’applications concrètes et répondant aux plus hautes exigences internationales, ont mené à l’invention ou à l’optimisation de procédés et de logiciels qui sont commercialisés ou en voie de l’être. En outre, la qualité de ses recherches lui a permis de récolter 2,7 millions de dollars à titre de chercheuse principale pour quelque 35 projets sous sa coordination dans les cinq dernières années. La professeure Vaneeckhaute est également chercheuse universitaire principale dans un projet industriel d’une valeur de plus de 6 millions de dollars financé par Technologies du développement durable Canada.

Se considérant comme une ambassadrice dans son milieu, elle estime que la communauté scientifique a un rôle très important à jouer non seulement pour trouver des stratégies plus durables pour résoudre les enjeux environnementaux de notre époque, mais également pour conscientiser et informer le grand public. « J’aime communiquer! », s’exclame-t-elle. « J’ai fait beaucoup d’études et maintenant je transmets mes connaissances avec le public et les étudiants par le biais de l’enseignement. Par exemple, si on construit une usine de biométhanisation dans une ville, il est important que les citoyens participent à la collecte des matières organiques, et c’est en leur expliquant les bienfaits d’un tel projet qu’ils le feront. » La professeure-chercheuse Vaneeckhaute a d’ailleurs fait partie du comité scientifique de l’exposition Ô merde!, en cours au Musée de la civilisation. Elle a aussi développé la World Association of Consciousness Education and the Ultimate Progress, un OBNL voué à l’éducation qui l’a amenée à voyager pendant six mois en Amérique du Nord afin de donner des conférences sur les changements climatiques.

« Je travaille par passion, mais l’équilibre est important pour tout le monde », explique cette lève-tôt, amoureuse des chiens et amatrice de course en sentier, de plein air, de voile, de ski, de piano et de peinture. « Il est important de faire ce qu’on aime et d’aider la société, mais il y a plus que le travail dans la vie. » Celle qui rêve d’une planète éco-intelligente et du renversement des changements climatiques espère à long terme poursuivre sa carrière universitaire ainsi que son rôle comme conseillère autonome et membre du bureau de direction de divers organismes en environnement. En parallèle, elle veut continuer à transmettre ses connaissances et à aider les étudiants à mettre sur pied des entreprises dans le secteur de l’environnement, afin d’influer sur le cours des choses et de vivre en accord avec ses valeurs.