Richard Boudreault

Richard Boudreault est un scientifique et un entrepreneur éminent dont la carrière a été marquée par des réalisations exceptionnelles dans les domaines de la recherche industrielle et de l’innovation technologique.

Diplômé en physique, en génie et en gestion des affaires, il possède une expertise multidisciplinaire qui lui a permis de laisser sa marque dans de nombreux secteurs d’activité. Dès le début de sa carrière, il s’est engagé à repousser les limites de la science et de la technologie, et à développer des solutions innovantes pour relever des défis mondiaux.

Richard Boudreault a apporté des contributions significatives dans les domaines de la recherche nucléaire, de l’exploration spatiale et de la durabilité environnementale. Son expertise en innovation technologique lui a valu une reconnaissance internationale. Il a été impliqué dans des projets novateurs visant à promouvoir la sécurité nucléaire et la protection de l’environnement, tout en faisant avancer les technologies liées à l’exploration spatiale.

« Recevoir le Prix du Québec est une reconnaissance extraordinaire de ma carrière et de mes contributions dans les domaines de la recherche nucléaire, de l’industrie et de la durabilité environnementale. Cette distinction met en lumière l’impact positif de mes projets sur la société et renforce ma visibilité ainsi que mon réseau. Je suis profondément ému et rempli d’humilité et de gratitude envers toutes les personnes qui m’ont soutenu tout au long de mon parcours et qui ont rendu cette réussite possible. Cette reconnaissance chez moi a une valeur inestimable et elle inspire mon engagement continu dans des projets porteurs d’avenir pour le Québec et au-delà. »

Au cours des quatre dernières décennies, M. Boudreault a joué un rôle clé dans la fondation et la direction de 19 entreprises technologiques de pointe dans des secteurs aussi variés que les matériaux avancés, les ressources naturelles, les technologies propres, la photonique, les dispositifs médicaux, l’énergie, l’intelligence artificielle et l’aérospatiale. Ses entreprises ont connu un succès remarquable avec des sorties réussies et ont notamment été acquises par des géants de l’industrie.

Loin de regarder en arrière, il conjugue sa plus grande fierté au présent et au futur. Ayant à cœur de proposer des solutions aux enjeux actuels, il nomme sans hésiter son projet en cours chez Awn Nanotech. « Cette entreprise, l’une de mes dernières réalisations, utilise des nanomatériaux de carbone pour extraire de l’eau de l’atmosphère, offrant ainsi une solution à la pénurie mondiale d’eau potable à faible coût énergétique. Ce projet s’inscrit dans ma lutte contre les catastrophes climatiques émergentes, car, avec l’augmentation de la température atmosphérique, la capacité de l’atmosphère à contenir de l’eau douce augmente, laissant moins d’eau disponible sur les sols et dans les sous-sols. »

Parallèlement à ses réalisations entrepreneuriales, M. Boudreault a été un fervent défenseur de l’éducation et de la recherche académique. En tant que professeur associé de génie chimique et de génie civil, géologique et minier à l’École Polytechnique de Montréal et de sciences de la terre et de l’environnement à l’Université de Waterloo, il a formé et inspiré de nombreuses générations de scientifiques et d’ingénieurs. Sa passion pour l’éducation et son dévouement à l’égard du mentorat auprès des jeunes talents ont été salués par ses collègues et ses étudiants.

En tant que président du Polar Knowledge Canada Board, du comité d’audit de l’Institut national de la recherche scientifique et membre du comité directeur du Collège Aurora dans l’Arctique, il a acquis une compréhension profonde des enjeux liés aux communautés autochtones dans la prise de décision environnementale et énergétique.

Parmi les rêves à atteindre, Richard Boudreault évoque la possibilité d’explorer davantage les applications de la technologie nucléaire dans le contexte de l’exploration spatiale, en ouvrant la voie à des missions interplanétaires plus durables et énergétiquement efficaces : « J’aspire à voir le jour où l’énergie nucléaire jouera un rôle central dans notre transition énergétique mondiale. Actuellement, je suis pleinement engagé dans la recherche de l’eau sur la Lune et Mars, considérant l’eau comme la source de vie. En collaboration avec une jeune pousse, la Société canadienne des mines spatiales, nous utilisons des technologies que j’ai développées pour repérer l’eau souterraine sur Terre et dans le système solaire. Cette société prospère de moins de deux ans est déjà rentable et vise à découvrir des sources d’eau sur Mars, dans l’espoir de trouver des traces de vie. »

Membre émérite de la Société royale du Canada et de l’Académie canadienne du génie, Richard Boudreault est sans aucun doute un modèle pour les générations actuelles et futures de scientifiques et d’entrepreneurs. Son parcours inspirant montre l’importance de l’engagement, de la passion et de la détermination dans la poursuite de l’excellence et du progrès scientifique et technologique.

Céline Bellot

Céline Bellot est professeure titulaire à l’École de travail social de l’Université de Montréal. Désireuse de mettre en lumière les pratiques discriminatoires et les inégalités qui touchent les personnes vulnérables, elle a choisi la recherche et l’enseignement dans le domaine du travail social pour y arriver. Son engagement pour la justice sociale se reflète dans ses travaux, qui s’articulent autour de deux axes principaux : la recension et l’analyse des pratiques contribuant à la judiciarisation et au profilage des populations marginalisées, autochtones et racisées de même que les trajectoires de vie des personnes vivant dans des situations d’exclusion sociale ou de discrimination.

La portée et les retombées de ses travaux dépassent le champ social et interpellent des acteurs de toutes les sphères de la société. Ils ont ainsi contribué à ce que soient nommées et quantifiées les pratiques discriminatoires en créant des effets concrets.

Pour Céline Bellot, recevoir le prix Marie-Andrée-Bertrand est synonyme de fierté, mais aussi de gratitude et d’humilité. « […] le travail de recherche implique un travail collectif qu’il faut reconnaître en associant à ce prix mes collègues, mes partenaires, mes étudiants ainsi que les personnes concernées, comme les personnes usagères de drogues ou les femmes en situation d’itinérance qui ont intégré nos démarches les plus participatives et qui sont entrées dans ma vie pour y rester. Auprès d’elles, j’ai découvert des injustices encore plus grandes que celles que j’imaginais, mais j’ai aussi apprécié nos valeurs communes et j’ai pu bâtir des liens indéfectibles de respect et de solidarité. »

Chercheuse engagée et accomplie, Céline Bellot possède une formation en droit, en criminologie et en sociologie. Ses activités portent sur les droits et la dignité des personnes en situation d’itinérance ainsi que sur la lutte contre les discriminations systémiques. Son parcours montre une carrière engagée dans la recherche, l’enseignement, la transmission de connaissances et la mobilisation sociale.

Sa carrière universitaire débute à l’École de travail social de l’Université de Montréal, où elle devient professeure en 2003. Elle en assume ensuite la direction de 2017 à 2021. Dès les premières années, elle s’engage dans des travaux de grande envergure, notamment en dirigeant la première étude au Canada sur la judiciarisation et la criminalisation de l’itinérance à Montréal, publiée en 2005. Cette étude a permis de mettre en lumière les défis auxquels font face les personnes en situation d’itinérance.

S’intéressant à chaque aspect de ce sujet, elle porte ensuite ses efforts sur l’invisibilité de l’itinérance au féminin. Dans une démarche participative, elle mène une étude impliquant des femmes ayant vécu ou vivant dans la rue et qui mènera à la mise en place de mesures spécifiques pour répondre aux besoins des femmes itinérantes dans différentes régions du Québec. Ses travaux ont également influencé les enquêtes de Statistique Canada et de l’Institut de la statistique du Québec sur cette problématique.

Sous l’égide de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, en collaboration avec Marie-Eve Sylvestre de l’Université d’Ottawa, elle a réalisé la première étude québécoise sur la judiciarisation des Premières Nations. Leur recherche sur la judiciarisation de l’itinérance autochtone à Val-d’Or a contribué à la mise sur pied de la commission Viens (Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès), comme en témoigne le décret de création de cette commission. Lors de celle-ci, elles ont agi comme expertes pour le secteur de la police et de la justice. Leurs travaux ont mené à des recommandations importantes visant à lutter contre les discriminations systémiques que vivent les personnes et les communautés autochtones.

En plus de sa tâche de chercheuse, Céline Bellot comprend l’importance de la transmission de connaissances. Elle prend part activement à des initiatives permettant le partage du savoir autant sur les bancs d’école qu’auprès d’experts, de professionnels ou du grand public. En plus d’avoir formé de nombreux étudiants, dont plusieurs sont devenus des professeurs d’université, elle a collaboré à la création de cours innovants axés sur l’itinérance et les enjeux en matière de discrimination. Son rôle de formatrice s’étend au-delà des murs universitaires. Par sa participation à des comités, à des conférences et à des interventions dans les médias, elle sensibilise la population à l’importance de l’engagement social.

Ce dont Mme Bellot est le plus fière, c’est « la manière d’avoir fait ces recherches, ces mobilisations de connaissances, ces engagements dans les comités en cherchant toujours à le faire en partenariat avec les acteurs communautaires et le plus souvent avec la participation des personnes concernées, en utilisant [son] rôle de chercheuse comme levier d’opportunité pour faire entendre des voix exclues, rendre visibles des situations d’injustice qu’on refuse de voir, donc d’avoir travaillé toujours de manière collective en alliant ressources communautaires, personnes en situation de vulnérabilité, collègues et étudiants ».

Cette chercheuse a joué un rôle vital dans l’établissement de réseaux solidaires pour s’opposer aux pratiques de profilage et aux discriminations systémiques. Son influence sur les politiques publiques est manifeste, notamment par sa contribution à l’adoption du projet de loi 32, qui vise à mettre un terme à l’emprisonnement pour non-paiement d’amendes et, notamment par la mise en place de programmes sociaux dans les tribunaux, à renforcer leur adaptabilité aux situations des personnes vulnérables. De plus, elle a laissé sa marque en publiant le tout premier ouvrage en français traitant des enjeux juridiques liés au travail social et aux droits fondamentaux. Enfin, elle a agi et continue d’intervenir comme experte devant les tribunaux au regard des enjeux liés au profilage.

« L’obtention de la subvention de partenariat du Conseil de recherches en sciences humaines pour créer l’Observatoire des profilages a été un long parcours et je suis heureuse d’y être arrivée avec mes collègues, des partenaires ainsi que des étudiants, car il a permis d’amplifier les voix, les forces et les ressources pour lutter contre les profilages. Le reste du chemin à parcourir pour une société sans profilage et pour une égalité de traitement par nos institutions est encore long, mais il faut célébrer les progrès tout en poursuivant le travail pour une société plus juste et égalitaire. »

Marie-France Marin

Marie-France Marin est une scientifique ambitieuse, une chercheuse accomplie et une professeure impliquée. Au cours de ses études, elle a développé une expertise en psychoneuroendocrinologie (étude des liens entre le cerveau, les hormones et le comportement), plus spécialement en ce qui concerne les effets du stress sur la mémoire et les émotions. Lors de stages postdoctoraux effectués au Massachusetts General Hospital de la Harvard Medical School, elle a accru son expertise liée au conditionnement de la peur et à l’extinction, à l’anxiété de même qu’au trouble de stress post-traumatique.

Grâce à l’appui d’organismes subventionnaires, dont la Fondation canadienne pour l’innovation et la Chaire de recherche du Canada sur la modulation hormonale des fonctions cognitives et émotionnelles, elle a obtenu plus de 3 millions de dollars pour ses recherches. Auteure de 76 articles et de 9 chapitres de livres, et ayant donné plus de 320 présentations (orales ou affichées) lors de congrès locaux et internationaux, Marie-France Marin a su faire sa place dans les réseaux mondiaux de chercheurs.

L’attribution de ce prix est l’occasion de souligner le chemin qu’elle a parcouru et celui à venir. « En recherche, il y a des périodes très productives et d’autres où les succès se font plus rares. Il y a inévitablement des moments de doute et de remise en question. Je suis extrêmement reconnaissante de recevoir ce prix. C’est clairement une belle tape dans le dos qui nous encourage à poursuivre. Je suis également fière de constater que le Québec reconnaît les carrières de chercheurs qui contribuent à l’avancement de la science. »

En reconnaissance de son expertise et de ses recherches, Mme Marin a par ailleurs reçu de nombreux prix pour ses accomplissements, par exemple les prix Alies Muskin Career Development Leadership Program de l’Anxiety and Depression Association of America et Émergence en recherche de la Société québécoise pour la recherche en psychologie. Récemment, la Faculté des sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal lui a remis le Prix d’excellence en recherche, catégorie Jeune chercheure, et le rectorat lui a attribué le prix du mérite – Recherche et création, volet Relève. Elle a aussi été élue comme membre associée du prestigieux American College of Neuropsychopharmacology.

Au-delà de son rôle de chercheuse, elle a contribué à l’élaboration du programme éducatif Déstresse et progresse, à l’intention des enfants et des adolescents, qui porte sur le stress et ses effets sur le cerveau. Elle est également coéditrice du magazine de vulgarisation Mammouth Magazine, publié par le Centre d’études sur le stress humain. De plus, elle s’implique dans les milieux scolaire et juridique en donnant de la formation au personnel pour l’outiller davantage quant aux effets du stress sur la cognition et les émotions.

Un de ses accomplissements la rend particulièrement fière : son stage postdoctoral de quatre ans aux États-Unis. « J’y rêvais et, en même temps, ça me donnait un peu le vertige avant de partir. D’avoir plongé, d’y être allée avec tout mon cœur et mon énergie, malgré les compromis que j’ai dû faire, est très satisfaisant. Je suis fière de ce bout de ce chapitre de ma vie académique. »

Mme Marin est non seulement une scientifique exceptionnelle, mais aussi une femme généreuse qui contribue à faire une différence dans son milieu. Militant pour plus de diversité dans le domaine de la recherche scientifique, elle a mis sur pied, avec son équipe de recherche, un projet pilote en partenariat avec le Service de police de la Ville de Montréal et une école secondaire dont la majorité des jeunes sont issus de la diversité culturelle. Ce projet vise à leur faire visiter les laboratoires, puis à engager deux de ces jeunes dans le cadre d’un emploi d’été rémunéré au sein de ceux-ci.

Lorsqu’on lui demande si elle a un idéal ou un souhait particulier qu’elle aimerait réaliser au cours de sa carrière, elle n’hésite pas à partager avec nous ce qui fait maintenant son bonheur quotidien : « Je ne sais pas si j’avais un idéal, mais j’avais en tout cas un objectif très clair : je souhaitais mettre sur pied mon propre laboratoire de recherche et pouvoir diriger une équipe de recherche. J’adore les rencontres d’équipe où les idées bouillonnent. On se questionne et évolue en apprenant les uns des autres. Je suis choyée de faire le métier que je voulais faire, entourée d’une équipe stimulante et engagée, et de collègues brillants et bienveillants ». Voilà une belle occasion de souligner que la recherche se réalise en équipe. Elle est aujourd’hui professeure au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal.

Tahani Rached

À 18 ans, c’est une jeune Tahani Rached qui quitte Le Caire et arrive en sol québécois. À l’aube des années 1970, le Québec est en proie à bien des bouleversements, qui ne laissent pas la Libano-Égyptienne indifférente. Elle choisit les arts visuels comme champ d’études à l’École des beaux-arts afin de s’exprimer à travers eux.

Engagée socialement, elle côtoie notamment des membres du Newsreel Collective, un groupe de cinéastes new-yorkais qui cherchent alors une personne pouvant les renseigner au sujet du mouvement ouvrier au Québec. Elle jouera pour eux le rôle de guide. Puis, l’un des artistes devant s’absenter, la militante le remplace au pied levé, devenant ainsi coréalisatrice, avec Larry Mead, de son premier film, Pour faire changement. S’ensuit pour elle une révélation : elle sera documentariste!

Au début de sa carrière, elle rencontre des acteurs phares du milieu cinématographique québécois. Après la coréalisation d’un projet au sujet de la résistance anticoloniale de l’Angola, elle s’intéresse aux employés d’une aluminerie, ce qui lui permet de fraterniser, à l’Office national du film (ONF), avec Roger Frappier. Ce dernier y donne des ateliers sur l’intervention sociale, lesquels font émerger chez Tahani Rached l’idée de sa prochaine production : Voleurs de job, qui s’attarde à la réalité des travailleurs immigrants. Emballé par son travail, Denys Arcand la choisit pour réaliser une séquence du fameux long métrage Le confort et l’indifférence, conçu dans la foulée du référendum de 1980.

Tahani Rached commence en 1981 son engagement auprès de l’ONF, où elle travaillera durant 22 ans. Une multitude de sujets la captivent pendant ces 2 décennies : la montée de l’isolement à travers l’avènement des baladeurs dans La phonie furieuse (1982); les Haïtiens de la métropole dans Haïti (Québec) (1985); l’héritage laissé par Duvalier dans Bam Pay A! – Rends-moi mon pays! (1986) et Haïti, Nous là! Nou la! (1987); ou encore la communauté qui gravite autour d’un organisme communautaire du quartier Hochelaga-Maisonneuve dans Au Chic Resto Pop (1990).

Ce dernier long métrage, par son propos et son format, marque l’imaginaire et passe à l’histoire en tant qu’œuvre phare de la documentariste. À travers lui, elle actualise le cinéma direct légué par ses prédécesseurs et y jouxte le chant, créant un film résolument unique. Ainsi, elle montre toutes les couleurs qui émanent du milieu certes pauvre, mais surtout joyeux de l’est de Montréal et rappelle son propre héritage égyptien : au Caire, la comédie musicale était encore très populaire quelques décennies plus tôt.

Pendant ses années à l’ONF, Tahani Rached traverse l’océan afin d’aller à la rencontre d’autres personnes marginalisées. Avec Quatre femmes d’Égypte (1997), la réalisatrice met en lumière l’amitié née entre des prisonnières lors de leur incarcération. Elle est aussi derrière Ces filles-là (2006), un film coup de poing dans lequel des laissées pour compte égyptiennes se confient. Cette année-là, son film est présenté au Festival de Cannes en sélection officielle, hors compétition, au Festival international du film de Toronto ainsi qu’au Festival du film de New York et remporte pas moins de 7 prix internationaux.

Ceci est loin d’être l’unique long métrage récompensé de la réalisatrice québécoise. Giran (2010), Soraïde, une femme de Palestine (2004), Quatre femmes d’Égypte (1997), Médecins de cœur (1993) et Au Chic Resto Pop (1990) ont aussi remporté des prix. Aujourd’hui, « c’est un honneur que de me retrouver en compagnie de réalisateurs et réalisatrices formidables qui ont déjà obtenu le prix Albert-Tessier », souligne-t-elle.

La cinéaste est maintes fois saluée, notamment à travers 2 rétrospectives (au Hot Docs Film Festival de Toronto en 2010 et à La cinémathèque québécoise en 2018) et lors d’un hommage rendu au Festival de cinéma d’Ismalia, en Égypte, en 2013. « Ce qui me rend la plus heureuse et fière, c’est le fait que mes films continuent d’être vus, 30 ans après. Durer est difficile! », ajoute-t-elle.

Tahani Rached est une figure incontournable du documentaire, au Québec comme à l’étranger. Ses films, à la fois empathiques, engagés et mobilisateurs, marquent durablement les esprits. D’une œuvre à l’autre, la documentariste a conquis le public et gagné le respect de ses pairs. Que ce soit grâce à la pellicule ou à la vidéo, sa cinématographie, souvent à l’avant-garde, demeure actuelle et tout aussi pertinente.

Evergon

Photographe, autoportraitiste, activiste, professeur, il y a plus d’une façon de décrire Evergon, né Albert Jay Lunt à Niagara Falls, en Ontario. Cet artiste pluriel a une pratique unique, ce qui en fait sa grande richesse. De la liberté créatrice qu’il s’octroie et de la virtuosité technique dont il fait preuve émerge une œuvre exceptionnelle, au ton incisif et provocateur, qui contribue à faire évoluer les mœurs.

Il ne faut pas davantage à Evergon qu’un cours d’été en photographie au Rochestor Institute of Technology (RIT) de New York pour avoir la piqûre. Il se procure aussitôt un vieil appareil photo, puis s’inscrit au baccalauréat en arts visuels à l’Université Mount Allison de Sackville, au Nouveau-Brunswick. Dès l’année suivant sa diplomation en 1970, il trouve une galerie qui souhaite l’accueillir : les pièces de l’œuvre Crucifixion Series seront exposées au Confederation Centre de Charlottetown. Il termine ses études au RIT en parallèle et obtient, en 1974, une maîtrise en arts visuels, spécialité photographie. Ces 2 décennies et les suivantes sont consacrées à la recherche constante de nouvelles techniques photographiques et comptent de nombreux vernissages, amenant le photographe à voyager au Canada, aux États-Unis et en Europe pour qu’il y présente son travail unique. « Je suis fier d’avoir participé à plus de 1000 expositions en 53 ans dans le monde entier, ainsi qu’à des expositions et à des écrits sur mon travail », confie-t-il.

Il commence l’enseignement de la photographie au Département d’arts visuels de l’Université d’Ottawa une fois que ses propres sont études terminées et y transmettra son savoir pendant 20 ans. Parallèlement, son travail de professeur à l’Université Concordia pendant presque autant d’années inspire des générations d’artistes qui se démarquent, tout comme lui, par leur singularité. Ce faisant, il contribue à faire du Québec une plaque tournante de l’enseignement et de la diffusion des arts visuels au pays.

C’est en 1987 qu’Evergon emménage au Québec, où il passe plus de la moitié de sa carrière, laquelle s’avérera aussi prolifique qu’enivrante. Il vit d’ailleurs toujours à Montréal, là où il a trouvé toute l’ouverture dont sa pratique et lui avaient besoin pour s’exprimer.

En s’interrogeant sur les stéréotypes de genre et d’identité, en mettant en valeur des beautés atypiques, en montrant la sexualité des corps vieillissants, Evergon participe à fracasser le concept même des beaux-arts. À travers ses sujets de prédilection, certes, mais aussi par son choix de médiums, il déconstruit l’art photographique. De ses premiers collages à son travail avec Xerox en passant par le polaroïd surdimensionné, l’artiste transforme l’art de la photographie de mise en scène et en devient un chef de file. Trois de ses œuvres les plus marquantes sont Ramboys, Chez moi/domestic content et Margaret and I. Dans la 1re série, des personnages mi-hommes mi-béliers, issus de la communauté gaie, révèlent toute leur fantasmagorie. La 2e transpose son esthétique baroque reconnaissable entre toutes sur des objets exotiques personnels. Dans la 3e, c’est sa propre mère que le photographe choisit comme sujet. Il en découle des pièces bouleversantes de tendresse, dans lesquelles le fils se glisse parfois. Ses nombreux autoportraits aussi restent inoubliables. On l’y voit se travestir, exposer ses désirs, exhiber le souhait d’exister dans le regard de l’autre. « Je suis fier d’avoir survécu en tant qu’artiste, d’avoir été « éveilleur professionnel d’artistes en formation » (professeur) pendant 43 ans au niveau universitaire, de mon amitié dévouée avec ma mère, des compassions trouvées entre maris, amants et amis et du fait que j’ai peu d’ennemis! », ajoute-t-il.

Impossible de dissocier l’artiste de l’activiste. En plus de 50 ans de carrière, Evergon a participé à bien des combats sociaux. En effet, cet avant-gardiste a mis à l’honneur la culture gaie, encore très marginalisée à une certaine époque, et a mis en question la masculinité, un sujet sur toutes les lèvres aujourd’hui.

Parmi les accomplissements qui jalonnent sa carrière, il préside en 1993 le Mois de la photographie de Montréal. Il est aussi le sujet d’un documentaire, réalisé par Alan Burke et présenté à la télévision de la CBC, ainsi que dans le cadre du Festival international du film sur l’art de Montréal en 1994. En 1999, le film Photographies d’Herménégilde Chiasson, produit par l’Office national du film, met en valeur certains de ses polaroïds immenses et permet de pénétrer dans l’intimité de la création d’autres artistes dont Raymonde April et Angela Grauerholz. En 2022-2023, le Musée national des beaux-arts du Québec consacre à Evergon une rétrospective, témoignant de toute la pertinence de son travail. L’artiste décrit ainsi le fait de recevoir le prix Paul-Émile-Borduas : « C’est comme si j’arrivais enfin en haut de l’escalier, mais que je découvrais une autre série d’escaliers d’Escher qui mènent à un autre endroit. Après 77 ans de lutte pour la vie, les droits, les amours et l’art, je suis satisfait, mais je dois faire face à une renaissance productive. »

Et il n’a pas l’intention de s’arrêter de sitôt : « Je ne veux jamais achever mon travail. Je veux vivre comme un continuum. Ce travail ne s’achève jamais. Ce travail vivra au-delà de ma vie. C’est mon héritage à la communauté LGBTQIA+ et à l’humanité. »

Pierre Bruneau

Personnalité à la voix profonde et rassurante si caractéristique, Pierre Bruneau a livré son tout dernier bulletin de nouvelles en 2022, bouclant ainsi près de 50 années de vie publique. Des actualités de la radio locale de Trois-Rivières jusqu’au débat des chefs des élections provinciales en septembre 2022, l’homme reconnu pour son intégrité, son humilité et son humanité aura mené une vie professionnelle riche tout en se dédiant corps et âme à sa fondation, créée à la suite du décès prématuré de son fils Charles.

Après des études à l’Université du Québec à Trois-Rivières, le Victoriavillois d’origine entame sa carrière journalistique à la radio en 1972. CJTR, CKAC et CKVL l’accueillent tour à tour, puis Télé-Métropole, devenue TVA, l’embauche comme animateur dès 1976. Il est à la barre du 10 vous informe, de Qu’en pense le Québec et de Y’a du soleil avant de devenir chef d’antenne.

L’homme public contribue alors au développement du bulletin de nouvelles du média privé pour lequel il travaille en tentant d’obtenir plus de ressources humaines et financières. Il n’opte jamais pour la facilité et insiste pour maintenir les normes les plus exigeantes de la profession. C’est d’ailleurs en partie grâce à lui que Télé-Métropole a fait le choix de diversifier ses activités et d’élargir son mandat à l’actualité, en plus du divertissement.

À son pupitre, Pierre Bruneau est témoin d’un nombre impressionnant d’événements marquants qui secouent le Québec, le Canada et le monde : les tentatives d’assassinat du pape Jean-Paul II, du président américain Ronald Reagan et du président égyptien Anouar el-Sadate en 1981; la tuerie de l’école Polytechnique en 1989; la crise d’Oka en 1990; les inondations au Saguenay en 1996; la crise du verglas en 1998; les attentats du 11 septembre en 2001; la tragédie de Lac-Mégantic en 2013; les attentats de Paris en 2015 ainsi que, plus récemment, la pandémie de COVID-19.

Il aura couvert pas moins de 35 élections municipales, provinciales et fédérales, contribuant à accroître l’intérêt de ses téléspectatrices et téléspectateurs pour la politique et participant ainsi à la démocratisation de l’information. Il prend le pouls des Québécois et des Québécoises, questionne avec assiduité les politiciens et les politiciennes qu’il reçoit et modère avec agilité les débats des chefs.

Chaque fois, il transmet l’information clairement, sans toutefois mettre de côté l’humanité et l’empathie que de tels événements requièrent. Il adopte le ton juste, emploie une langue de qualité et évite le sensationnalisme. Tous les soirs, près de 1 million de téléspectatrices et téléspectateurs sont pendus à ses lèvres. « L’accomplissement professionnel dont je suis le plus fier est d’avoir accompagné les Québécoises et les Québécois pendant 50 ans. D’avoir été là jour après jour, année après année, génération après génération. D’avoir gagné et conservé leur confiance pendant toutes ces années », souligne-t-il.

En 1988, une tragédie le touche personnellement : son fils est emporté par une leucémie. Résilient, il fait naître de ce drame familial une organisation qui profitera à d’autres : la Fondation Charles-Bruneau. Plus de 30 ans après sa création, celle-ci cumule 110 M$ et investit en recherche et en construction d’ailes spécialisées dans les hôpitaux. Grâce au travail acharné du chef d’antenne et à celui de son équipe ainsi qu’à la générosité des donatrices et donateurs, les enfants atteints de cancer peuvent recevoir des soins dans un centre ou une unité Charles-Bruneau au Québec. Encore à ce jour, le père de famille participe aux événements organisés par sa fondation, comme les tours cyclistes, allant ainsi à la rencontre de son auditoire.

Le grand public le déclare à 23 reprises meilleur animateur d’émissions d’information ou de bulletins de nouvelles au gala Artis (anciennement MétroStar). Le milieu culturel et la classe politique reconnaissent aussi son apport aux médias québécois et on lui attribue, en 2008, le grade d’officier de l’Ordre national du Québec. « Au moment où les projecteurs s’éteignent, le prix René-Lévesque représente certainement un important témoignage et confirme que les valeurs de rigueur, de passion et de compassion qui m’ont toujours guidé sont celles qui doivent toujours nous animer », souligne-t-il.

Figure familière pour des générations de Québécois et de Québécoises qui l’ont accueilli quotidiennement, Pierre Bruneau a contribué à donner ses lettres de noblesse au titre de chef d’antenne et à enrichir l’éventail des sujets couverts par une chaîne télévisuelle privée. « Il me reste à donner au suivant. On peut toujours être un modèle, un mentor et j’ai l’occasion de rencontrer des étudiantes et étudiants en journalisme et de leur partager ma passion pour une profession plus que jamais nécessaire dans une société où il est parfois difficile de trouver ses repères », conclut-il.

Michel Delorme

Dès ses débuts professionnels en 1970, sensible aux réalités des communautés locales, Michel Delorme leur accorde une place prépondérante dans sa pratique radiophonique. Avec la collaboration des travailleuses et travailleurs de l’Abitibi-Témiscamingue, il produit d’abord la série télévisée Le Bloc, laquelle portait sur les conditions de travail et les personnes accidentées. En 1973, en tant que représentant de Multi-Média, un programme d’éducation populaire, il est affecté aux productions radiophoniques régionales produites par le ministère de l’Éducation d’alors. L’année suivante, il réalise une série radiophonique diffusée à Radio-Nord avec les groupes autochtones et communautaires de la même région.

Au cours des 5 années suivantes, l’homme fonde et dirige la radio de Rouyn-Noranda, CIRC-FM. Il organise les premières réunions des radios communautaires, ce qui le conduira, avec d’autres partenaires, à la création de l’Association des radios communautaires du Québec (ARCQ). Il en sera agent de développement pour la région de l’Ouest du Québec durant 3 ans. En 1980, alors qu’il en est à ses débuts à l’ARCQ, il conçoit l’idée d’une assemblée mondiale des artisanes et artisans des radios communautaires, conduisant à la première d’entre elles à Montréal en 1983. Cette assemblée connaît un franc succès et permet de jeter les bases du réseau que constitue l’Association mondiale des artisans des radios communautaires (AMARC) avec, notamment, l’AMARC-Europe, l’AMARC Latin-America, l’AMARC-Afrique et l’AMARC-Asie-Pacifique en plus du Réseau-AMARC des Femmes.

Pendant les 5 années suivantes, soucieux d’ancrer la radio dans la vie des communautés francophones, il agit à titre d’expert à la Fédération des Jeunes Canadiens Français (FJCF) d’alors (aujourd’hui la Fédération de la jeunesse canadienne-française) pour le démarrage de 6 radios : 3 en Acadie, 2 en Ontario et 1 au Manitoba. En 1997, à titre de directeur de l’Alliance des radios francophones et acadiennes, il jette les bases d’un réseau satellite, Radio Francophone et Acadiens, afin d’alimenter les radios en programmation. C’est au cours de ce mandat qu’il participe à la création de l’organisation non gouvernementale (ONG) AMARC, en 1988.  

Pour Michel Delorme, les ondes s’adaptent à merveille aux enfants et revêtent un grand potentiel éducatif. Sa carrière prend un tournant en 2000 lorsqu’il reçoit l’invitation du directeur de l’établissement scolaire fréquenté par sa fille, à Chelsea près de Gatineau, pour réaliser une expérience de radio à l’école. Pendant 4 jours, les 200 élèves expérimentent la radio. L’année suivante, plus de 50 autres écoles font un exercice similaire. Puis, à compter de 2003, ce sont 3 unités de radio mobile qui sillonneront le pays pendant plus de 15 ans pour transformer temporairement plus de 1000 écoles en station de radio. Les tout-petits s’avèrent un auditoire attentif, mais également des productrices et producteurs de contenus créatifs. Grâce à Michel Delorme, une première radio pour enfants voit le jour en 2008 à Gatineau, Ottawa : le 1670 AM.

Aucun aspect de la radio n’a de secret pour lui : animation, production, gestion, administration, représentation auprès de diverses instances, formation, rédaction de manuels et de guides pédagogiques, développement et recherche de nouvelles technologies pour la radiodiffusion. Son expertise radiophonique franchit les frontières du pays à plus d’une reprise pour profiter à la Francophonie. De 1989 à 1993, il parcourt le monde en vue d’établir un réseau de radios rurales en Afrique francophone, en Asie et dans les Caraïbes. Il assure l’installation de 4 radios au Vietnam et des premières stations à l’énergie solaire au Burkina Faso. En 2007, pour Unicef Madagascar, il produit pour les enfants des émissions sur la lecture, l’écriture, le calcul et l’éducation civique. Il développe également, pour le Centre de la Francophonie des Amériques, la radio pour les jeunes. 

Avec la radio des enfants ainsi que le démarrage des stations au Québec, en Acadie et dans la francophonie canadienne, c’est l’AMARC avec laquelle il consolide son œuvre. En effet, pendant son mandat de 5 ans à sa présidence, il propose un programme de communication pour l’enfance. Très influente dans le développement de la radio communautaire et associative auprès des différents États et des organismes des Nations Unies, l’association compte aujourd’hui plus de 3 000 membres provenant de 120 pays. 

Que ce soit au Québec, au Canada ou sur la scène internationale, Michel Delorme, en 50 ans de carrière, a donné une notoriété à la radio communautaire en plus d’en faciliter l’accès aux plus jeunes et de leur permettre d’apporter leur contribution bien particulière au paysage radiophonique canadien.

Jacques Leclerc

La carrière du linguiste Jacques Leclerc s’amorce à la suite de l’obtention d’un baccalauréat ès arts, puis d’une maîtrise en linguistique de l’Université de Montréal. Embauché comme professeur au département de français du Collège Bois-de-Boulogne, il y assurera une permanence pendant plus de trois décennies. En parallèle, il enseigne la phonétique historique, la linguistique et la philologie françaises en tant que chargé de cours à l’Université Laval et à l’Université de Montréal.

Avec les années, il développe un intérêt marqué pour les lois en lien avec la langue française et d’autres langues, ayant à cœur de trouver les meilleures stratégies pour promouvoir les langues en difficulté, et ce, qu’elles évoluent dans un contexte où elles sont minoritaires ou majoritaires. Ce champ d’expertise, appelé « aménagement linguistique », découle de la sociolinguistique et s’attarde à la dynamique des langues d’un territoire et aux législations linguistiques. Pour arriver à ses fins, il décide de comparer les politiques linguistiques de tous les pays. Travail pointu et colossal, s’il en est!

D’abord reconnu au Québec, Jacques Leclerc obtient une subvention de l’Office québécois de la langue française pour financer ses recherches. En 1999, le site L’aménagement linguistique dans le monde apparaît sur le Web, offrant gratuitement une fenêtre sur la situation du français au Québec, dans la Francophonie et ailleurs dans le monde. Cette mine de renseignements utiles regroupe en un même endroit des informations géographiques, démolinguistiques, juridiques et réglementaires. Il est brièvement hébergé par les serveurs du Trésor de la langue française, puis par la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord de l’Université Laval, ce qui ajoute à sa crédibilité et à sa valeur scientifique. Ce ne sont pas moins de 6 millions de visiteuses et visiteurs que reçoit le site Web annuellement.

Les études approfondies du linguiste ainsi accessibles sur Internet trouvent écho partout dans le monde, et Jacques Leclerc devient peu à peu le chercheur cité en matière d’aménagement linguistique du français. Il se dit particulièrement fier « d’avoir élaboré en français une expertise québécoise dans un site sur la Toile devenu l’un des plus complets au monde en matière d’aménagement linguistique parce qu’il couvre tous les pays ». Le travail de collecte, de traduction en français et d’analyse des lois linguistiques de 195 pays que l’expert a effectué a été qualifié de titanesque par les spécialistes. Ses pairs affirment que son site Web, dont il assure lui-même régulièrement le suivi et la mise à jour, a révolutionné le travail de centaines d’expertes et d’experts et contribue à transmettre les façons de faire du Québec en matière de défense du français.

Il ne reste plus qu’à espérer qu’une université ou une autre entité puisse s’en charger à son tour à la suite de la retraite du linguiste. « Je souhaiterais assurer la pérennité d’un site québécois de plus de 13 000 pages couvrant les politiques linguistiques de tous les pays avec plus de 1800 lois linguistiques ou à portée linguistique, celles-ci étant en français ou traduites en français », confie-t-il.

Patrimoine canadien s’adjoint plus tard ses précieux services. Il subventionne, lui aussi, un site Web sur l’aménagement linguistique au pays, hébergé par l’Université d’Ottawa et nommé Compendium de l’aménagement linguistique au Canada. Pour le mettre sur pied, Jacques Leclerc passe en revue l’histoire linguistique des différentes communautés du Canada, qu’on pense aux Premières Nations et aux Inuits, aux Canadiennes et Canadiens anglais et français ou aux allophones.

À l’occasion de colloques en France et au Maroc, le réputé linguiste est invité à présenter des exposés scientifiques sur de nombreux sujets pointus liés à la langue, comme : «Les langues parlées en Nouvelle-France»; «L’apport du français aux autres langues»; «Les multiples applications du statut officiel des langues au sein des États»; «Le bilinguisme (obligatoire) des États non souverains»; «La langue, compagnon d’armes des empires»; et «La mort des langues».

En plus de se consacrer à la recherche et à l’enseignement, ce professionnel de la langue a été, pendant 15 ans, directeur de collection à la maison d’édition Mondia, spécialisée en ouvrages pédagogiques collégiaux et universitaires. Aussi auteur, il a rédigé entre autres les livres Qu’est-ce que la langue?, Langue et société et Le français scientifique : guide de rédaction et de vulgarisation, auxquels cégeps et universités se réfèrent.

Depuis plus de 50 ans, Jacques Leclerc, avec minutie, rigueur et ténacité, a démontré son engagement soutenu au service de la langue française. Ses travaux sont d’ailleurs plus que jamais pertinents dans le contexte de mondialisation des enjeux linguistiques. Le prix Georges-Émile-Lapalme signifie pour lui une reconnaissance du travail accompli pour la diffusion en français des politiques linguistiques dans le monde.

Pierre Thibault

Ses bâtiments harmonieux au style épuré, certes, mais surtout sa vision de l’architecture et les principes architecturaux qui le guident dans chacune de ses conceptions distinguent le professeur, conférencier, auteur et architecte de renom Pierre Thibault. En 1982, l’Université Laval lui remet son diplôme en architecture et, 6 ans plus tard, il fonde sa propre agence. Déjà, il apporte sa touche particulière : il ne dissocie jamais l’être humain du territoire. Aujourd’hui, son apport remarquable à l’architecture et sa dévotion au patrimoine bâti sont indéniables. Son premier projet majeur est sans contredit le Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, terminé en 1992. Habilement intégré au paysage maritime de Charlevoix, le bâtiment tout en ouvertures accueille admirablement œuvres d’art, visiteuses et visiteurs.

En 1995, on lui confie la conception du Théâtre de la Dame de Cœur, pour lequel il reçoit le prix du Gouverneur général. Bâti en plein air, ce lieu culturel à la vocation ludique, destiné aux enfants, met en scène des marionnettes géantes. Le défi de sa conception sied tout à fait à l’architecte et à son équipe. La même année, on lui attribue le prix de Rome du Conseil des Arts du Canada, lequel lui permet de s’envoler pour la capitale italienne et d’étudier in situ l’intégration des villas au paysage de la péninsule. Il rapporte ses réflexions au Québec et en naît une série d’installations au parc des Grands-Jardins. Sa démarche est tellement originale qu’elle se voit saluée par les prix Canadian Architect et Progressive Architecture, aux États-Unis.

Avec le désir de transmettre son savoir au plus grand nombre, Pierre Thibault devient tout naturellement l’ambassadeur de l’architecture dans les sphères médiatiques et il vulgarise ainsi sa profession. Tandis qu’il poursuit ses extraordinaires créations toutes singulières, il commence en 2005 l’enseignement à l’établissement qui l’a diplômé. En plus d’offrir des cours théoriques, il visite, avec ses étudiants et étudiantes, différentes régions du monde afin de parfaire leurs connaissances sur le terrain. Ce faisant, sa conception toute particulière de l’habitat influence toute une génération d’architectes.

Essais, monographies, livre : le prolifique architecte ajoute diverses publications à son actif et donne également des conférences au Québec, au Mexique, en France et en Suède. Ces conférences portent tant sur le territoire que sur la conception architecturale, spécifiquement en terre nordique. Ses ouvrages, vidéos, conférences et expositions constituent un legs à la fois pour la communauté architecturale et le grand public.

Le processus de recherche-création fait partie intrinsèque de sa démarche. Sa curiosité de chercheur et sa vision unique de l’architecture, notamment celle du paysage, le mènent à fonder, avec Pierre Lavoie et Ricardo Larrivée, le Lab-École, un organisme à but non lucratif qui a pour mission de repenser les écoles de demain. En faisant équipe avec différents acteurs québécois de l’éducation et en consultant des enfants tout au long du processus, le trio étudie les meilleures pratiques mondiales en matière d’établissements scolaires. Il lance ensuite un concours visant l’idéation de 6 projets novateurs, tous en harmonie avec leur environnement et la nature. Citoyennes, citoyens, décideuses et décideurs sont enthousiastes, et les projets retenus se réalisent. Pour lui, la création du Lab-École a permis de démontrer l’importance de créer de véritables milieux de vie pour le bonheur des élèves, du personnel enseignant et de la communauté.

À ce jour, Pierre Thibault a reçu près d’une trentaine de prix et de reconnaissances. Le prix d’excellence de l’Ordre des architectes du Québec lui a été décerné pour 8 de ses réalisations, soit le Grand Marché de Québec (en collaboration avec Circum), la Grande Percée, la Grande Passerelle, le belvédère Val-Jalbert, la résidence les Abouts, la villa du Lac Castor, le Musée d’art contemporain de Baie-St-Paul et, plus récemment, le collège Durocher. Le prix Ernest-Cormier représente pour lui « un grand honneur […] Je crois que ce prix souligne mon apport à l’évolution de la conception de l’habitat au Québec et à la bonification des milieux de vie dans le milieu scolaire. C’est aussi pour moi un tremplin pour continuer à améliorer notre environnement. »

En effet, celui qui a largement contribué à la démocratisation du savoir architectural aimerait « continuer à améliorer nos milieux de vie pour faire face aux défis climatiques, mais aussi créer des lieux conviviaux en ville qui feraient la part belle à la nature. »

Marie Tifo

Marie Tifo cumule de très nombreux rôles depuis sa graduation du Conservatoire d’art dramatique en 1971, y ayant remporté le prix Jean-Valcourt décerné à la meilleure interprète de sa promotion. Que ce soit au théâtre, à la télévision ou au cinéma, elle a su chaque fois charmer son public comme ses pairs. Plusieurs membres de la communauté artistique en ont fait leur alliée durant sa carrière. Lorraine Pintal l’a choisie à 8 reprises, notamment afin de jouer le rôle principal dans la pièce Ha ha!… de Réjean Ducharme, pour laquelle elle a remporté le Prix de la critique, ou de redonner vie à Marie de l’Incarnation dans la pièce La déraison d’amour pour laquelle elle a remporté le prix Paul-Hébert décerné par Le Théâtre du Trident ainsi que le prix Gascon-Roux remis par le Théâtre du Nouveau Monde et grâce à laquelle elle a joué en Europe. « C’est l’accomplissement professionnel dont je suis le plus fière. Mon métier, le rôle des femmes, l’histoire du Québec en un seul texte splendide », souligne la principale intéressée. Yves Simoneau, quant à lui, l’a choisie pour 3 de ses films, soit Dans le ventre du dragon (1989), Pouvoir intime (1986) et Les fous de Bassan (1987).

Née à Chicoutimi, celle que l’on distingue par son talent éblouissant suit une formation de 3 ans en jeu au Conservatoire d’art dramatique de Québec et de Montréal. Par la suite, elle foule les planches, notamment celles du Trident, dans plus d’une cinquantaine de productions, dont L’opéra de quatre sous de Bertolt Brecht, La Locandiera de Carlo Goldoni et Le songe d’une nuit d’été de William Shakespeare.

La jeune actrice obtient le premier rôle majeur de sa carrière en 1979 : celui de Michelle dans le long métrage Les bons débarras de Francis Mankiewicz. Le film remporte plusieurs prix et est encore, à ce jour, considéré comme l’une des 10 plus importantes productions cinématographiques canadiennes de l’histoire. Marie Tifo y incarne avec brio une mère célibataire écorchée par la vie qui tente de garder la tête hors de l’eau avec sa fille en quête d’attention et d’amour. On lui remet le Hugo d’argent du Festival de cinéma de Chicago pour la meilleure interprétation du premier rôle féminin et le Génie de la meilleure actrice. Cette œuvre majeure la fait davantage connaître du public et du milieu culturel. À partir des années 1980, elle décroche des rôles autant au théâtre et au cinéma qu’à la télévision : Sonia (Race de monde), Claire (SOS J’écoute), Marie (Le parc des braves), Dominique (L’or et le papier), Solange (L’amour avec un grand A), Fleur-Ange (Montréal PQ), Zofia (Ces enfants d’ailleurs), Suzanne (Les poupées russes) et Jacqueline (O’) : la grande comédienne cumule à ce jour près de 20 rôles au petit écran.

Quant au 7e art, de grands cinéastes québécois tels Gilles Carle, André Forcier ou Léa Pool lui font confiance. Renommée pour son professionnalisme, son authenticité et sa dévotion envers son travail, Marie Tifo incarne des personnages dans une trentaine de films, notamment Marie-Ange dans Maria Chapdelaine, Hélène dans Kalamazoo et la Mère générale dans La Passion d’Augustine.

Plus d’une décennie après Les bons débarras, l’interprète se réapproprie sur scène les mots de Réjean Ducharme, d’abord pour incarner Sophie dans Ha, ha!…, puis Catherine dans L’hiver de force. Plusieurs metteuses et metteurs en scène, dont André Brassard, ont aussi la chance de la diriger.

Chaque fois, elle aborde le rôle qui lui est confié avec passion et intensité, ce qui lui vaut d’être récompensée à plus d’une reprise, notamment pour Rosana dans Le temps d’une vie, Marie de l’Incarnation dans La déraison d’amour et pour le premier rôle féminin dans T’es belle, Jeanne. Les reconnaissances tel le prix Denise-Pelletier signifient pour elle « que l’art rejoint les cœurs et les esprits de celles et ceux dont elle porte les rêves ».

Marie Tifo a marqué l’imaginaire québécois en incarnant des femmes combattantes, émouvantes et puissantes. De plus, son implication artistique, sociale et politique a fait d’elle une figure de proue incontournable du milieu culturel québécois. Femme accomplie, elle se dévoue à tous ses rôles, au travail comme dans la vie. Et, quelle que soit l’émotion qu’il suscite, son jeu, tout comme elle, est plus grand que nature. Aujourd’hui, satisfaite de ses nombreux accomplissements, elle entrevoit l’avenir sur un plan plus personnel : « J’ai joué tant de personnages au cours de ma carrière et ils m’ont tant apporté que le temps est venu de m’incarner moi-même. »

Ginette Noiseux

C’est la scénographie que la jeune Ginette Noiseux choisit comme champ d’études à la fin des années 1970. Diplômée avec mention d’excellence de l’École nationale de théâtre du Canada, elle amorce sa carrière alors que les femmes scénographes sont rares. Des artistes comme Paul Buissonneau et André Brassard croient néanmoins en elle et lui confient la conception des costumes de certaines de leurs productions. Puis, en 1982, la scénographe joint le collectif derrière la création du Théâtre expérimental des femmes (TEF) afin de contribuer elle-même à l’essor de ses paires dans les pratiques théâtrales québécoises. Trois ans plus tard, au moment où il trouve un local de création, le TEF se transforme en Théâtre ESPACE GO. En 1987, elle en devient la directrice artistique, chapeau qu’elle portera jusqu’en 2024.

Véritable terrain de jeu et d’expérimentation pour Ginette Noiseux et les artistes qu’elle y accueille, l’ESPACE GO représente depuis ses débuts un lieu où s’entrechoquent les idées, naissent des talents et se célèbrent des prises de parole. La jeune directrice générale et artistique décide que le théâtre aura pignon sur rue en plein cœur de Montréal, sur le boulevard Saint-Laurent. Elle dirige de main de maître le projet de construction, qui s’achève en janvier 1995 dans les temps et le respect de son budget initial. « Ce dont je suis le plus fière est d’avoir concrétisé et pérennisé la mission aux valeurs féministes et aux aspirations d’excellence artistique élevées de la compagnie, à travers cette construction », explique-t-elle. Ginette Noiseux est aussi derrière la modernisation d’ESPACE GO en 2017. Grâce à ses qualités de gestionnaire, sa détermination et son audace, elle a su établir un réel partenariat avec le milieu philanthropique et offrir aux artistes des conditions de pratiques exemplaires.

À travers sa direction artistique, elle influence la pratique théâtrale dans une perspective féministe et inclusive. Encore à ce jour, l’ESPACE GO est un lieu culturel où la voix des femmes s’exprime et se fait entendre. Comme la série Portraits de femmes le prouve, chacun des projets qu’elle a entrepris avec les années contribue à dynamiser les créations d’ici et à mettre en valeur le travail des artistes féminines de toutes les origines.

Tant créatrice que penseuse, Ginette Noiseux pave la voie à diverses réflexions sur son milieu, ce qui la mène au désir, en 2011, d’accueillir à l’ESPACE GO des résidences d’artistes. Quatre créatrices s’y succèdent, faisant évoluer leur pratique à travers le projet au titre très parlant : Une fille avec les clés. Dans la même veine, elle dirige le Chantier féministe. Réalisée en 2019, cette réflexion collective a permis d’aborder la place des femmes au théâtre.

S’ajoute à son apport incommensurable au théâtre la conception de costumes. Ceux de plus de 70 productions portent sa signature unique.

En 2020, la pandémie n’arrête pas Ginette Noiseux. Elle en profite pour mettre sur pied Je suis une femme d’octobre, un événement pluridisciplinaire qui célèbre les 50 dernières années de mobilisation féminine au Québec des communautés blanches, autochtones, noires, latino-hispaniques et asiatiques. Saluée maintes fois autant par ses pairs que par les institutions, cette femme passionnée de théâtre a vu son travail récompensé par plusieurs prix, dont l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française. Aujourd’hui, recevoir le prix Denise-Filiatrault lui permet de prendre la pleine mesure de ses accomplissements : « Je suis une femme d’action qui s’inscrit dans le présent. Cette reconnaissance m’amène à mesurer tout le chemin parcouru depuis cette époque où nous nous réunissions dans des cafés et où, à travers nos conversations enflammées, nous rêvions de révolution, pas seulement féministe, mais aussi artistique », se remémore-t-elle.

Tantôt comme directrice générale et artistique, tantôt comme conceptrice de costumes, Ginette Noiseux est sans contredit une actrice majeure des plus respectées du domaine théâtral québécois. Après des années de dévouement sans bornes, elle laissera sa place à la génération suivante en 2024 : « Ce sera aux nouvelles générations de bâtir le devenir de ce théâtre en incarnant les rêves qu’elles ont. Il leur faudra à la fois établir un rapport de fidélité au passé de GO et lui manifester leur infidélité pour aller plus loin encore. Je serai leur alliée. »

Robert Lalonde

À la fois bachelier ès arts du Séminaire de Sainte-Thérèse et diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en interprétation théâtrale, Robert Lalonde poursuit depuis plus de 40 ans une double carrière d’acteur sensible et d’auteur prolifique. Jusqu’ici, son œuvre littéraire constituée d’une trentaine de romans, nouvelles, carnets et recueils de poésie lui a valu un vaste lectorat et de nombreux prix.

Au théâtre, à la télévision et au cinéma, il a joué dans plusieurs productions, dont l’une tirée d’un de ses romans, C’est le cœur qui meurt en dernier. Dans cette œuvre cinématographique qui décrit avec justesse et compassion la relation à l’enfance et à la famille, le comédien incarne un barman, aux côtés, notamment, de Denise Filiatrault.

Avec un lyrisme et un souffle poétique intemporels, l’auteur maîtrise admirablement l’écriture de l’intime à travers différents genres : le roman, mais aussi le récit, le carnet, tout comme la nouvelle et la poésie. Avec sa façon toute personnelle de concevoir et de percevoir l’être, il sait donner naissance à des œuvres qui élèvent et ravissent ses lectrices et lecteurs. L’académicien et écrivain Dany Laferrière souligne que « c’est un conteur, un critique à l’œil vif, un mémorialiste, un romancier pouvant multiplier les strates sans nous ensevelir sous les détails et les théories ».

En plus d’obtenir la faveur de ses fidèles lectrices et lecteurs du Québec, ses écrits traversent les frontières. Il est d’ailleurs l’un des premiers auteurs québécois à avoir publié dans des maisons d’éditions européennes. Non seulement on s’émerveille de leur splendeur dans toute la Francophonie, mais presque tous sont traduits en anglais ou encore en espagnol, en italien ou en roumain, au grand bonheur de son vaste public. Il consacre aussi une partie de son temps à traduire et à adapter des œuvres littéraires et théâtrales. Anne Michaels, maintes fois récompensée au Canada anglais, lui doit en partie de s’être fait connaître dans la langue de Molière avec la traduction de son livre Fugitive Pieces (La mémoire en fuite).

Reconnu pour l’efficacité et la beauté de ses descriptions, l’auteur natif d’Oka affectionne particulièrement certains thèmes, récurrents dans son œuvre. La marginalité, l’ambiguïté sexuelle, l’altérité et la réalité des communautés autochtones y reviennent souvent, tel un rituel. Les ombres révélées, les reflets déformés des apparences, la contemplation active de l’être, le bruissement des âmes, le déferlement des passions, l’embrasement des corps sont rendus à merveille dans son écriture incandescente. Feu Marie-Claire Blais, l’une de ses dévouées lectrices, expliquait : « C’est le drame humain qui nous émeut le plus, la destinée de chacun, le conflit intérieur que traverse chacun de ses personnages qui est décrit avec une bouleversante sincérité. » L’écrivain trouve les mots justes pour évoquer notamment l’adolescence, cette période à la fois bouillonnante, enivrante et terrifiante. Michel Tremblay estime que sa description des confusions de l’adolescence est parmi les plus belles de la littérature québécoise. En témoignent Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure? ou encore Un poignard dans un mouchoir de soie.

Communicateur émérite, Robert Lalonde a su rallier toutes les générations et leur transmettre son amour pour l’art, que ce soit à travers la direction artistique de théâtres montréalais, des conférences ou encore l’enseignement en littérature et en art dramatique dans diverses institutions et classes de maître. Les drames humains qu’il dépeint brillamment sont d’ailleurs lus et étudiés tant ici qu’en Pologne, en Sicile et en Calabre, notamment. Emblème des mutations de la littérature québécoise, l’auteur est entré en 2007 dans le manuel d’enseignement Histoire de la littérature québécoise.

Sa carrière prolifique et son talent ont été récompensés d’une dizaine de prix et distinctions au fil des ans. En tant qu’écrivain, Robert Lalonde s’est fait remarquer dès la parution de sa toute première œuvre, La belle épouvante, laquelle lui vaut en 1980 le prix Robert-Cliche qui souligne le meilleur premier roman. La puissance de cet ouvrage est encore à ce jour étudiée dans le parcours collégial et universitaire. Le petit aigle à tête blanche a également raflé plus d’un prix. En 2009, on lui décerne le prestigieux titre d’officier de l’Ordre du Canada.

« J’écris pour durer dans l’attention sans défaillir. J’écris pour prolonger l’épiphanie, assourdir les tambours du temps qui usent le cœur. J’écris parce que d’autres avant moi l’ont fait, me léguant la passion du vocabulaire. J’écris toujours parce qu’il est aussi difficile d’arrêter que de continuer », explique l’auteur fécond pour qui l’écriture fait partie intrinsèque de l’existence.

Pierre Lahoud

Pierre Lahoud a consacré sa vie professionnelle et personnelle à répertorier les différents paysages du Québec, immortalisant le patrimoine tant naturel que bâti à travers sa photographie à vol d’oiseau.

Tout jeune historien et ethnologue diplômé de l’Université Laval, il commence sa carrière avec un contrat du ministère des Affaires culturelles, aujourd’hui connu sous le nom de ministère de la Culture et des Communications. On les mandate, son équipe et lui, pour inventorier les bâtiments anciens du Québec. Comment arriver à couvrir une contrée aussi vaste? « Par la voie des airs! », songe-t-il avec son collègue Pierre Bureau. Il se munit d’un appareil photo et grimpe à bord d’un petit avion dont il ouvre une fenêtre. C’est le début d’une passion pour celui que l’on surnomme désormais « l’historien photographe aérien ».

Ce mandat achevé, il poursuit son travail au gouvernement, mais il ne dépose pas sa caméra pour autant. Chaque fois que la météo s’avère favorable, il utilise ses ressources personnelles et remonte à bord du petit Cessna. Ses plans panoramiques et ses cadres serrés révèlent le Québec d’un point de vue rarement exploré et documentent tant le territoire, la densification des villes que les catastrophes naturelles. Généreux de nature, il offre ses photographies à toute organisation intéressée. Les municipalités profitent de l’occasion, les conservant précieusement ou encore les intégrant à diverses publications.

Inventif, l’historien est derrière plusieurs autres initiatives hors du commun. Avec le concours de l’Université Laval, il fonde en 1998 « Villes et villages d’art et de patrimoine », permettant aux petites localités d’engager des spécialistes en patrimoine. En 2005, il crée « la cenne à Lahoud », une taxe de 1 cent prélevée aux propriétaires de maisons de l’île d’Orléans pour chaque tranche de 100 $ d’évaluation municipale, afin de financer l’héritage de l’île. Quatre ans plus tard, afin que les Augustines trouvent les fonds nécessaires pour pérenniser leur monastère, il invente, avec des partenaires, le concept de « fiducie d’utilité sociale » qui donne lieu à Ia Fiducie du monastère des Augustines; ce type de fiducie sera repris par d’autres communautés religieuses. Construit en 2002, l’Espace Félix-Leclerc, qui comprend une boîte à chansons, un musée, une boutique et un centre de documentation, est également l’un de ses projets importants, mené entre autres avec Nathalie Leclerc, la fille du célèbre artiste. C’est également lui qui, avec d’autres collègues inspirés par la France, met sur pied l’Association des plus beaux villages du Québec, laquelle promeut leur préservation et met en valeur leur patrimoine architectural et leurs paysages.

Également auteur, l’historien fait paraître 50 livres sur son sujet de prédilection. Sa plus récente série, joliment dénommée Curiosités, illustre les particularités des régions du Québec. Pour les non-initiées et non-initiés, sa chronique dans le journal Le Soleil, « Vu de là-haut », lui permet de démocratiser son précieux savoir.

Ses photos aériennes, qui se comptent par milliers, sont consultées par des historiens, mais intéressent tout autant, en raison de leur qualité visuelle, leur quantité, leur cohérence et leur classement, les chercheuses et chercheurs d’autres domaines : l’ethnologie, l’architecture, le tourisme, l’histoire de l’art, l’urbanisme, la géographie, la littérature, la muséologie ou l’archéologie. En 2019, afin d’assurer leur pérennité et leur disponibilité pour le plus grand nombre, Pierre Lahoud fait un don inestimable de plus de 250 000 diapositives, tandis que 600 000 autres sont en cours de donation. Ses photographies quittent sa maison patrimoniale de l’île d’Orléans pour être confiées à Bibliothèque et Archives nationales du Québec et enrichir notre mémoire collective, un legs d’une rare ampleur à travers le monde.

Références incontestées ici comme ailleurs, l’historien et son œuvre trouvent écho à l’étranger. Ainsi, l’émission française Des racines et des ailes, réputée pour l’exemplarité de son contenu et diffusée dans 200 pays, s’associe à lui pour le tournage d’un épisode consacré au Québec. Il y ratisse le territoire afin de raconter son paysage, les gens qui l’habitent, son architecture et ses traditions.

Sa grande compétence en histoire lui a permis de siéger à des dizaines de comités et à des jurys. On l’a aussi récompensé de plus d’une quinzaine de prix et distinctions, et nommé chevalier de l’Ordre national du Québec en 2022. Il se dit extrêmement touché par le prix Gérard-Morisset : « D’une part, parce qu’il s’agit d’une reconnaissance par mes pairs et, d’autre part, j’ai toute ma vie admiré cet homme de contenu. Tout jeune, j’ai travaillé au Musée national des beaux-arts du Québec; l’on m’avait attribué son bureau et j’en ai toujours ressenti une grande fierté. Enfin, son travail d’inventaire, intervention primordiale pour l’avancement des connaissances, m’a toujours inspiré, voire guidé. »

« Aujourd’hui, les changements climatiques sont à nos portes et bouleversent nos façons de faire, je veux continuer à les documenter afin d’apporter aux générations suivantes le témoignage de ces bouleversements. Enfin, je veux continuer à sensibiliser les gens à la beauté, à la beauté de nos paysages et à l’importance de notre patrimoine. Tout cela est si fragile et il faut les protéger », conclut celui qui entend enrichir encore davantage l’immense legs déjà réalisé.

Jane Jenson

Jane Jenson, professeure émérite de science politique à l’Université de Montréal, détient une réputation internationale en tant qu’universitaire d’exception. À la jonction de la sociologie politique, de l’analyse des politiques publiques et de l’économie politique, elle observe les enjeux majeurs de la société contemporaine.

Dans une perspective comparative, ses recherches portent, depuis plusieurs décennies, sur la réalité québécoise, canadienne et européenne ainsi que, récemment, sur les mutations de la citoyenneté sociale en Amérique latine. Ses travaux englobent des thèmes variés tels que la citoyenneté sociale, la politique sociale, les mouvements sociaux, les comportements électoraux et les études de genre. Son analyse pointue des évolutions vers l’investissement social au Canada et en Europe lui vaut d’être sollicitée par des gouvernements, des organisations non gouvernementales et des groupes de recherche. Formatrice aux cycles supérieurs universitaires depuis plus de 40 ans, elle a préparé plusieurs générations de chercheurs à l’excellence.

« Le Prix du Québec est le plus prestigieux qu’un Québécois puisse recevoir de ses pairs. C’est donc un immense honneur d’être incluse dans ce groupe. Pour moi, ce prix reflète également le soutien que j’ai reçu, au fil des décennies, de la part de mes collègues en science politique et de la direction de l’Université de Montréal, sans lesquels je n’aurais pas été en mesure d’achever les recherches et les formations d’étudiants reconnues par le prix Léon-Gérin. »

Bachelière en économie et en science politique de l’Université McGill en 1967, Jane Jenson poursuit ses études à l’Université de Rochester aux États-Unis, où elle obtient un Ph. D. en 1974. Elle commence sa carrière à l’Université Carleton en 1971 et devient professeure titulaire en 1985. Elle entame son parcours à l’Université de Montréal en 1993, où elle accède au poste de titulaire de la Chaire de recherche du Canada en citoyenneté et gouvernance en 2001.

En tant que jeune chercheuse, elle applique des méthodes analytiques pour mettre en évidence les processus sociaux invisibilisant les contributions des femmes et perpétuant des rapports sociaux inégaux. En comprenant mieux ces inégalités, elle explore le rôle des mouvements de femmes au Québec, au Canada et en Europe pour lutter contre ces disparités. Elle se penche ensuite sur les dynamiques de genre, de classe et d’origine, offrant ainsi un cadre permettant de comprendre l’effet des actions étatiques.

« Avec le recul, je suis particulièrement fière de mes recherches dans les domaines des femmes et politique. J’étais parmi les jeunes chercheuses qui, dans les années 1970 et 1980, ont reconnu la nécessité d’analyser les contributions des mouvements de femmes aux transformations sociales et politiques. J’ai étendu cet engagement envers le changement à la formation d’un grand nombre de doctorantes dont je suis très fière [et qui] occupent maintenant des postes dans de grandes universités québécoises, canadiennes et internationales ainsi que dans les fonctions publiques. »

Devenue une universitaire prolifique, Jane Jenson se distingue par sa transformation du cadre conceptuel et des démarches d’investigation. Figure majeure dans l’interprétation des évolutions sociétales, elle mène des travaux qui résonnent au sein des réseaux internationaux des sciences sociales. Son influence s’étend à l’étude des politiques publiques via une approche comparative exposant la manière dont un univers de discours politique contribue aux rapports de pouvoir et de droits. Elle a ébranlé les conventions par ses recherches en critiquant la perspective matérialiste et en établissant que les institutions sont cruciales en tant qu’intermédiaires entre relations sociales et clivages politiques, redéfinissant la représentation politique.

Avec une production scientifique comprenant 25 ouvrages, 117 chapitres de livres et 65 articles publiés dans des revues éminentes, ses contributions rayonnent à l’échelle internationale. Ses écrits, traduits dans plusieurs langues, font l’objet d’une reconnaissance scientifique mondiale, nourrissant les échanges parmi les chercheurs.

Tout au long de sa carrière, elle s’implique aussi dans des collaborations internationales. Ainsi, elle fonde le groupe européen États et rapports sociaux de sexe en 1988 et participe aux programmes de l’Institut canadien de recherches avancées de 1996 à 1998 et de 2004 à 2017. Elle siège au groupe de réflexion féministe européen Gender 5+ depuis 2015.

De multiples récompenses et distinctions jalonnent le parcours de Jane Jenson. Dès 1989, elle est élue membre de la Société royale du Canada et, en 2005, elle est nommée lauréate de la Fondation Pierre Elliott Trudeau pour sa contribution exceptionnelle à l’avancement des connaissances. Au Québec, elle reçoit, en 2014, le Prix d’excellence de la Société québécoise de science politique, qui reconnaît de nouveau son travail en 2016 avec la création de la bourse annuelle Jenson-Patry. Après avoir reçu le titre de professeure émérite de l’Université de Montréal en 2017, elle est honorée en 2022 par la Société royale du Canada avec la prestigieuse médaille Innis-Gérin, couronnant ainsi son influence considérable dans le domaine des sciences sociales.

Avec près de 40 années de carrière, Mme Jenson a marqué des générations d’étudiants ainsi que de jeunes chercheurs en participant activement au soutien à la relève. Elle a façonné les programmes et l’environnement d’études de l’Université de Montréal, introduit le premier cours de politique comparée en français au Québec et corédigé le premier manuel sur le sujet.

« Si j’ai un idéal à atteindre par mes recherches, c’est de produire des analyses à la fois de la plus haute qualité et d’utilité pour les décideurs politiques. Pour arriver à cet objectif, il faut toujours être à l’écoute des discours et saisir les orientations que prennent les décideurs, par exemple lorsqu’ils développent de nouveaux régimes d’action publique. Je considère que ma contribution ne consiste pas à concevoir des politiques publiques, mais à exposer les conséquences des choix disponibles pour des principes fondamentaux tels que l’équité sociale, l’égalité des genres ou encore les droits de citoyenneté. »

Marie-Thérèse Chicha

Professeure titulaire à l’École de relations industrielles de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, Marie-Thérèse Chicha a joué un rôle déterminant dans la transformation des conditions de vie des femmes au Québec et dans plusieurs pays. Cette économiste de formation s’est donné comme mandat de remédier aux inégalités vécues par les membres de groupes historiquement désavantagés sur le marché du travail. Elle a notamment apporté une importante contribution à la mise en place de politiques d’équité salariale.

D’origine libanaise, Marie-Thérèse Chicha a immigré au Québec pour étudier à l’Université McGill. À cette époque, elle ne se doutait pas que son travail allait faire évoluer les connaissances sur la discrimination systémique, l’équité salariale et l’accès à l’égalité. Elle se sentait toutefois déjà inspirée par les questions de justice et d’égalité sur le marché du travail.

« Le fait d’avoir passé mon enfance et une partie de mon adolescence en Égypte a entraîné chez moi une prise de conscience de l’inégalité socioéconomique vécue par les femmes dans la société, ce qui contrastait radicalement avec l’éducation reçue dans ma famille », raconte-t-elle.

Ses parents l’encouragent à poursuivre de hautes études, et elle choisit de se spécialiser en économie internationale et en économie du développement. Peu après sa sortie de l’université, elle est engagée comme chercheuse à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, et publie, en 1989, le livre Discrimination systémique : fondements et méthodologie des programmes d’accès à l’égalité en emploi.

L’ouvrage explique ce phénomène à partir d’une perspective interdisciplinaire qui fait appel à l’économie politique, au droit, à la sociologie et à la gestion des ressources humaines. Trente ans plus tard, il constitue toujours une référence importante dans le domaine.

Équité salariale

En poste à l’Université de Montréal depuis 1992, la chercheuse a joué un rôle clé dans la législation en matière d’équité salariale au Québec, au Canada et à l’international.

Ses travaux de recherche l’ont amenée à présider le comité d’expertes mandaté pour proposer un modèle de loi proactive d’équité salariale au gouvernement du Québec. Ce modèle a servi de base à la Loi sur l’équité salariale promulguée par l’Assemblée nationale en novembre 1996 et considérée comme la plus achevée au monde.

En 2001, le gouvernement fédéral l’invite à participer au groupe de travail chargé de développer une nouvelle approche législative de l’équité salariale au Canada. Elle contribue de façon importante à la rédaction du rapport final L’équité salariale : une nouvelle approche à un droit fondamental, qui a servi de modèle à la loi fédérale adoptée en 2018.

Compte tenu de sa feuille de route, Marie-Thérèse Chicha est invitée par le Bureau international du travail (BIT) pour agir comme experte dans l’application de la Convention internationale sur l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes pour un travail de valeur égale. Elle rédige le guide Promouvoir l’équité salariale au moyen de l’évaluation non sexiste des emplois, qui explique pas à pas la démarche menant à l’équité salariale.

Ce guide propose des méthodes d’évaluation qui tiennent compte des dimensions souvent négligées des emplois à prédominance féminine, sur le plan des compétences, des efforts, des responsabilités ainsi que des conditions dans lesquelles ces emplois sont exercés. Son fil d’Ariane est de rendre visible le travail invisible des femmes.

Remportant un vif succès, le guide, traduit dans plus d’une dizaine de langues par le BIT, a servi à la mise en œuvre de l’équité salariale dans de nombreux pays membres de l’Organisation internationale du travail.

Intégration et immigration

L’intégration des personnes immigrantes au marché du travail préoccupe aussi la professeure Chicha. Toutes ses recherches lui ont permis de constater que, si la situation des femmes s’est améliorée, celle des autres groupes désavantagés, notamment les minorités racisées, reste critique à plusieurs égards.

Actuellement en année d’études, elle travaille sur la dimension régionale de l’immigration dans un contexte de rareté de main-d’œuvre et de déclin démographique de certaines régions. Elle poursuit aussi ses recherches sur la déqualification des immigrantes, notamment dans une perspective comparative et intersectionnelle.

Considérée comme une experte en matière de politiques d’égalité, Marie-Thérèse Chicha compte à son actif une centaine de publications et plus de deux cents communications aussi bien scientifiques que professionnelles. Elle est souvent appelée à se prononcer sur ce sujet auprès d’instances internationales, en plus d’être particulièrement active auprès des organismes de défense du droit à l’égalité des femmes, des membres des minorités racisées ainsi que des personnes immigrantes. De plus, la professeure Chicha n’hésite pas à intervenir auprès de diverses commissions parlementaires provinciales et fédérales, en présentant des mémoires suggérant des modifications législatives.

Parmi ses nombreuses réalisations, on lui doit la création en 2015 de l’École d’été sur l’immigration, l’intégration et la diversité sur le marché du travail, une première pour une université québécoise. Elle a aussi été titulaire de la Chaire en relations ethniques de 2013 à 2021.

En reconnaissance de sa contribution scientifique et sociale à la lutte contre les discriminations et pour l’égalité, elle a reçu, en 2015, le Prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne »; en 2019, le Prix ACFAS Pierre-Dansereau de l’engagement social; en 2020, le Prix Égalité Thérèse-Casgrain, catégorie Hommage, du gouvernement du Québec; en 2021, le Prix Hommage Droits et Libertés de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Le prix Marie-Andrée-Bertrand vient souligner l’apport inestimable de cette pionnière, qui se dit heureuse d’avoir servi la société, et en particulier d’avoir aidé les femmes dans l’atteinte de l’égalité économique. « C’est le résultat d’un cheminement rendu possible notamment grâce à la grande ouverture de la société québécoise, de laquelle je me sens partie intégrante », conclut-elle.

Michel Chrétien

« Comme l’artiste, le scientifique débute devant un canevas blanc. Chaque jour, il ajoute une touche de couleur par ses expériences, ses lectures et ses intuitions. À la fin de sa carrière, il obtient une toile unique, la sienne. » Ainsi le Dr Michel Chrétien décrit-il sa profession aux jeunes en formation à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).

Pour reprendre son analogie, le lauréat du prix Armand-Frappier 2022 crée une œuvre magistrale. Dès 1967, ce neuroendocrinologue formule la théorie des prohormones, selon laquelle le corps fabrique, à partir de précurseurs, des substances telles que l’endorphine (qu’il découvre en 1976). Il explore ces composés par un procédé, l’endoprotéolyse, qui révolutionne l’étude de plusieurs maladies : diabète, obésité, cancer, alzheimer, infections virales, etc. Ses découvertes font pleuvoir les récompenses, dont le prix Wilder-Penfield 2015. L’homme aux 615 articles est le 7e scientifique canadien le plus cité au monde dans les années 1980. Depuis 2018, il figure même dans le Larousse!

Si les percées savantes du Dr Michel Chrétien impressionnent, ses succès de gestion en font autant. Cet infatigable bâtisseur fonde et dirige au fil des ans de nombreux lieux d’érudition. Au passage, il défend le financement public de la recherche et la liberté d’enseignement. Son engagement contribuera à renforcer l’innovation au pays.

La recherche comme « nécessité absolue »

Le progrès des connaissances doit être considéré « comme une nécessité absolue plutôt que comme un luxe toléré ». Voilà ce que plaide l’expert dans une lettre publiée dans Le Devoir en 1974. Durant cette période, il présente aussi le mémoire qui engendre le programme de chercheurs boursiers du Fonds de recherche du Québec – Santé. « L’État doit faire confiance aux scientifiques ainsi qu’il le fait aux créateurs », dit-il encore aujourd’hui.

En 1960, après son internat à l’Université de Montréal, le Dr Chrétien pousse sa formation auprès de grands maîtres. Il étudie la recherche clinique avec Jacques Genest à l’Hôtel-Dieu de Montréal; la médecine expérimentale avec John Symonds Lyon Browne à McGill; l’endocrinologie avec George Thorn et George Cahill à Harvard; et la chimie des protéines avec Choh Hao Li à Berkeley. Plus tard, il côtoie Leslie Iversen à Cambridge et Roger Guillemin (prix Nobel de 1977) au Salk Institute pour s’initier à la neuroendocrinologie. « En science, des études diversifiées s’imposent pour assurer le succès à long terme », estime-t-il.

À 31 ans, il s’installe à l’IRCM, où il crée le premier laboratoire des protéines au Québec. Il implante des cours bilingues en biologie qui figurent aux programmes de l’Université de Montréal et de McGill – une première. En 1984, il prend la tête de son établissement. Sous sa gouverne, l’IRCM s’agrandit et augmente ses activités de recherche. Il recrute 16 directeurs de laboratoire dont, fait notable, 6 sont des femmes. « La rareté de la gent féminine dans ma profession me chicotait, relate-t-il. Dans ma famille, mes sœurs avaient autant de place que mes frères. » Près de 40 % des postes clés créés durant son mandat vont ainsi à des chercheuses, une mesure d’équité qui encourage l’évolution sociale.

Son influence en politique scientifique

En 1993, Michel Chrétien est déjà une sommité quand son frère Jean, de deux ans son aîné, est élu premier ministre du Canada. Dans la décennie suivante, le milieu de la science fleurit. Apparaissent alors les Instituts de recherche en santé, les Bourses du millénaire, la Fondation canadienne pour l’innovation, Génome Canada et 2 000 Chaires de recherche du Canada. Holà, l’exode des cerveaux! Le nombre de scientifiques investigateurs croît, comme leur productivité. Le Canada et le Québec brillent davantage sur la scène mondiale du savoir.

Selon nombre d’observateurs, cette période fertile doit beaucoup à l’influence du Dr Chrétien, aussi diplomate que déterminé. « Mon action a été discrète, assure-t-il humblement. J’ai toujours discuté des enjeux de mon métier avec mon frère. Tant mieux si des décisions éclairées en ont résulté. »

De 1998 à 2012, il s’installe dans la capitale canadienne pour diriger l’Institut Loeb de recherche en santé et cofonder l’Institut de biologie des systèmes d’Ottawa. L’année suivante, il se joint au Dr Jeremy Carver pour lancer le Consortium international sur les antiviraux, qui réseaute des scientifiques des cinq continents pour contrer les infections émergentes.

Son influence continue de s’étendre. Déjà, dans la décennie 1980, il accueillait à Montréal 50 stagiaires de Chine et instaurait un colloque bisannuel avec l’Institut Pasteur de Paris. Aux États-Unis, les prestigieuses conférences de recherche Gordon l’invitent en 1994 à créer une série de symposiums sur l’endoprotéolyse. En Angleterre, la Société royale de Londres le reçoit en 2009 comme fellow (membre), un honneur encore jamais attribué à un médecin canadien-français. En Allemagne, il convainc en 2012 le World Health Summit, événement en politique de la santé, d’admettre dans ses rangs l’Université de Montréal et l’IRCM.

Une œuvre qui se poursuit

À 86 ans, Michel Chrétien continue son œuvre. En 2012, il revient à l’IRCM et poursuit des recherches sur la COVID-19, l’athérosclérose, le cancer, le cholestérol et l’alzheimer. Encore récemment, il découvre dans quatre familles du Québec une mutation d’un gène qui protège des maladies cardiovasculaires et du foie. « Ce n’est pas chrétien comme ces personnes sont bénies des dieux », blague-t-il!

Pour se détendre, il lit moult biographies au son de la musique classique. Et surtout, il entretient l’autre passion de sa vie : sa famille. Avec Micheline Ruel, sa compagne depuis 62 ans, il dorlote leurs deux enfants, leurs quatre petits-enfants et leurs trois arrière-petits-enfants.

Michel Chrétien reçoit maintenant avec émotion le prix Armand-Frappier, nommé d’après l’un de ses héros de jeunesse. Le tableau de sa carrière, à quoi ressemble-t-il? On imagine des couleurs vibrantes et des traits hardis, à la manière de Riopelle, peintre qu’il admirait pour son audace. « Dans une société qui se respecte, la recherche doit être considérée au même titre que la culture », conclut-il. Une entreprise à laquelle il aura apporté sa touche de maître.

Gérard Duhaime

Porté par un désir de justice sociale, thématique omniprésente dans son œuvre, le sociologue économique Gérard Duhaime décrypte les inégalités dans le Nord circumpolaire. Pour y parvenir, il analyse les données de ce grand territoire englobant une partie du Canada, de la Russie et des pays scandinaves, en plus de l’Alaska, de l’Islande et du Groenland.

Dès son enfance, le petit Gérard s’interroge sur le sort des autres. Pourquoi cet oncle adoré vit-il dans des conditions moins favorables que les siennes? Pourquoi cette compagne de classe est‑elle à l’écart? Lorsqu’il assiste avec son père à une représentation de La Sagouine, la critique d’Antonine Maillet à l’égard de la société bien nantie est une révélation.

L’étudiant trouve sa voie à l’occasion d’un emploi d’été au Nunavik, dans un camp de recherche où il joue les cuisiniers. Traversant un village à pied à la sortie de l’avion, il découvre dans son propre pays une pauvreté et des conditions de vie quasi impensables. Le chemin est tracé : il consacrera sa carrière au monde autochtone et à l’Arctique circumpolaire.

Un baccalauréat et une maîtrise en science politique lui offrent une excellente base, mais le laissent sur sa faim. Il poursuit alors sa quête avec un doctorat en sociologie économique. « Je me suis dit : “Quand j’aurai répondu à mes questions, j’arrêterai l’université.” » Le professeur en sociologie à l’Université Laval ajoute qu’il est encore là, après plus de 40 ans. C’est que derrière chaque découverte se cache un nouveau phénomène à décortiquer.

Pour cerner les sources des inégalités sociales, Gérard Duhaime a traversé un désert : les données fiables se font rares à l’époque. Kuujjuaq, Matimekosh, Kawawachikamach… Il sillonne le Nunavik au cours des années 1990 à la recherche des livres comptables ou des rapports financiers de diverses municipalités, entreprises et organisations afin de réaliser le premier portrait économique de la région. Au début du nouveau millénaire, l’initiative s’étend au Nord circumpolaire.

Aujourd’hui, le legs du chercheur comprend deux bases de données : ArcticStat et Nunivaat. Ses collaborations à l’international mènent aussi à la création du programme ECONOR. En harmonisant les statistiques socioéconomiques au-delà des frontières politiques, ce programme permet de suivre l’évolution de l’économie de l’Arctique circumpolaire et des inégalités sociales.

Des constats s’imposent grâce à la comparaison du prix des biens de consommation. « Voilà une injustice patente : les gens du Nord vivent dans le même pays, mais payent le litre de lait deux fois plus cher que dans le Sud. » La solidarité, à la base des gouvernements, devrait nous inciter à mettre en place des mesures compensatoires, de l’avis du chercheur. Ses travaux donneront d’ailleurs naissance à des programmes de réduction du coût de la vie et de promotion de la sécurité alimentaire.

Si le prix gonflé du steak a peu de poids dans une collectivité qui chasse, celui des couches pour bébé pèse lourd dans le budget des ménages. Des analyses précises permettent d’ajuster le prix des produits les plus pertinents. Elles aident aussi à quantifier l’impact financier, pour les familles, des avis limitant la consommation de certaines espèces animales, dont la chair comprend davantage de contaminants. Alléger ces pressions budgétaires influe ainsi sur la santé de la population en facilitant l’accès à des aliments sains.

Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée a publié de nombreux articles, chapitres d’ouvrages collectifs et rapports de recherche. Il compte à son actif une dizaine de livres, dont un roman qui met évidemment le Grand Nord à l’honneur. Il est également détenteur de la Chaire Louis-Edmond Hamelin de recherche nordique en sciences sociales, qu’il a instituée en 1999 et qui est maintenant affiliée à l’Université de l’Arctique, dont il est membre fondateur.

En 2007, reconnaissant son expertise, l’Union scientifique internationale invite le sociologue à participer à l’organisation de l’Année polaire internationale, cet événement rarissime consacré à l’étude de l’Arctique comme de l’Antarctique. Or la programmation est déjà établie. Quelle déception! On s’intéresse à l’épaisseur de la glace, aux oiseaux arctiques et aux ressources naturelles, mais aucune mention des collectivités humaines, encore moins des autochtones.

C’est sans compter le leadership de Gérard Duhaime, qui mobilise alors ses contacts scientifiques, universitaires, gouvernementaux et autochtones. Résultat : la programmation intégrera l’aspect humain dans chacun des volets déjà établis, en plus d’en inclure un nouveau qui lui est entièrement dévolu. Tout au long de sa carrière, le sociologue créera des ponts entre les disciplines.

Le membre de l’Ordre du Canada entrevoit l’avenir avec optimisme. « La valeur émancipatrice de l’éducation permet aux jeunes de dire : “Je ne vivrai pas dans la même société que mes parents, je vais l’organiser autrement.” Je fais confiance à la marche des peuples, à ces vastes ensembles d’individus bienveillants qui vont dans la même direction. »

En 2019, Gérard Duhaime s’est rendu une fois de plus à Kuujjuarapik, un village sur les rives de la baie d’Hudson. Dans les allées d’une coopérative, le litre de lait affichait le même prix qu’à Québec. Lorsqu’il relate le fait, le regard brillant, on ressent toute la fierté de cet homme réservé. Chaque gain est porteur d’espoir.

Michel Gauthier

Michel Gauthier est un acteur incontournable de la recherche sur les batteries au lithium. Sa carrière a généré d’importantes retombées économiques au Québec, dont l’implantation de l’usine de batteries Blue Solutions, à Boucherville, et de l’usine de phosphate de fer de Johnson Matthey, à Candiac. À 78 ans, il travaille actuellement au démarrage d’une autre entreprise, Ignis Lithium, qui misera sur un nouveau procédé de fabrication du phosphate de fer comme matériau de batterie.

D’aussi loin qu’il se souvienne, Michel Gauthier a toujours été habité par un enthousiasme, un idéalisme et un désir d’apprendre; des qualités qu’il a héritées de sa mère. Orphelin d’un père mort à la guerre, le jeune Michel est engagé par la Shawinigan Water And Power Company, qui fera partie d’Hydro-Québec après la nationalisation accomplie par René Lévesque. Il y travaille plusieurs étés.

Aussi passionné par l’histoire que par les sciences, il choisit d’étudier en chimie à l’Université de Montréal et obtient son doctorat en électrochimie en 1970. Par la suite, ses études postdoctorales l’amènent à passer deux ans à Grenoble, où il se spécialise en électrochimie des solides à l’École nationale supérieure d’ingénieurs.

De retour au Québec en 1972, il amorce une fructueuse carrière de 27 années chez Hydro-Québec et se joint à l’équipe de Lionel Boulet, qui vient de créer l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ).

« C’était un visionnaire! Au-delà d’Hydro-Québec comme producteur d’électricité, il souhaitait, par la recherche, aller encore plus loin dans l’industrialisation et faire entrer le Québec dans l’ère moderne. J’ai embarqué dans ce rêve-là! », raconte le chercheur.

« À partir du moment où l’on fabrique beaucoup d’électricité, la question, c’était : “Que peut-on faire d’utile avec cette électricité?” Le véhicule électrique était déjà dans ma tête, à cette époque. »

Michel Gauthier développe une expertise sur les accumulateurs au lithium pour répondre aux besoins de stockage chimique de l’énergie électrique. Il travaille sur le projet Accumulateur à électrolyte polymère (ACEP) et, en 1999, figure comme inventeur sur 36 des 108 familles de brevets détenus par Hydro-Québec pour cette technologie. Ses réalisations ont permis au Québec de se placer en tête de peloton dans la mise au point des premiers accumulateurs tout solide.

Soucieux du développement local, le chercheur contribue à mettre sur pied des filiales d’Hydro-Québec, soit la coentreprise ACEP avec la société japonaise Yuasa et la filiale Argo-Tech en lien avec la société américaine 3M et le US Battery Consortium, pour commercialiser les brevets sur les accumulateurs. Il dirige alors 3 équipes de 145 chercheurs, ingénieurs et techniciens.

Par la suite, Argo-Tech devient Avestor, puis Blue Solutions Canada. Propriété de la multinationale Bolloré, l’usine de Boucherville compte aujourd’hui quelque 170 employés. La production de l’entreprise, qui a fabriqué la première batterie tout solide au monde, repose sur les brevets liés à la technologie ACEP.

L’après-Hydro-Québec

En 1999, Michel Gauthier quitte l’IREQ. Il se lance en affaires à titre de conseiller scientifique, devient chercheur invité au département de chimie de l’Université de Montréal et fonde, en 2001, l’entreprise Phostech Lithium. Son but : implanter au Québec la première usine de production de phosphate de fer au monde, un matériau d’électrode susceptible de remplacer l’oxyde de cobalt dans les accumulateurs au lithium-ion.

Le projet culmine avec l’ouverture, en 2006, d’une première usine à Saint-Bruno-de-Montarville. Une seconde installation, d’une plus grande capacité de production, voit ensuite le jour à Candiac. L’entreprise produit maintenant des matériaux de batterie sous le nom de Johnson Matthey Battery Materials.

Le chercheur poursuit aujourd’hui son rêve de faire évoluer l’industrie en s’affairant au démarrage d’Ignis Lithium. Son fils Laurent participe au projet avec lui. « Ce sera probablement ma dernière aventure scientifico-commerciale! », lance-t-il en mentionnant que Tesla utilise maintenant le phosphate de fer dans ses voitures électriques.

Innovateur et entrepreneur hors pair, Michel Gauthier contribue à stimuler le développement économique à partir de la propriété intellectuelle. « L’idée, c’est de prendre des brevets pour renforcer notre position et aller chercher des partenaires d’envergure », fait-il remarquer.

Pour la fabrication du phosphate de fer, il négocie l’accès à deux familles de brevets clés : l’une auprès de l’Université de Montréal et l’autre auprès du Dr John Goodenough, lauréat du prix Nobel de chimie en 2019. C’est dans sa magnifique maison patrimoniale du Vieux-La Prairie que Michel Gauthier accueille l’érudit chercheur. De nombreux invités de l’Allemagne, de la France, des États-Unis et du Japon se succèdent aussi à sa table pour discuter affaires, projets et partenariats.

« Autant je m’intéresse au passé, autant le futur me préoccupe beaucoup. On a l’impression d’influencer un peu l’évolution de cet avenir en rendant disponibles des solutions innovantes et moins dommageables pour la planète. »

Michel Gauthier est heureux des retombées engendrées par ses recherches. Des entreprises bien implantées fabriquent désormais ce qu’il avait en tête il y a cinquante ans. « La question de l’énergie, c’est un enjeu majeur présentement avec le réchauffement climatique. Je suis fier d’avoir apporté ma petite contribution dans un domaine qui préoccupe l’humanité. »

Yves De Koninck

« Le cerveau, c’est un million de milliards de connexions. Il y a plus de chemins possibles dans votre cerveau que d’atomes dans l’univers », déclare d’emblée le neurobiologiste spécialiste de la douleur chronique. L’ampleur de la tâche en effraierait plus d’un, mais Yves De Koninck s’attaque à l’étude de cet organe complexe sans hésiter.

Ses travaux ont mis en évidence le mécanisme responsable des signaux erronés de douleur, soit une circulation anormale des ions chlorure, lesquels freinent habituellement l’action du neurone de relais. Le problème survient quand une protéine agissant comme une pompe est défaillante. Le flux des ions chlorure s’inverse et leur quantité augmente dans les cellules, ce qui cause un déséquilibre chimique. Les neurones de relais sont alors excités, plutôt qu’inhibés, et la douleur s’installe.

Cette découverte constitue un changement de paradigme. Exit le syndrome psychosomatique : la douleur chronique est bel et bien une maladie. En établissant la cascade cellulaire et moléculaire qui l’engendre, le chercheur a ouvert la porte au développement de médicaments pour mieux la contrôler, en plus d’aider à déstigmatiser cette condition. Par l’entremise du Réseau québécois de recherche sur la douleur, qu’il a fondé en 2002, les travaux du neurobiologiste ont aussi contribué à déployer un continuum de services au Québec et à bonifier la formation du corps médical.

Après un baccalauréat en biologie à l’Université Laval et un doctorat en physiologie à l’Université McGill, deux postdoctorats mènent Yves De Koninck à l’Université Stanford, en Californie, et au Southwestern Medical Center de l’Université du Texas. Mais c’est au Québec qu’il choisit de bâtir sa carrière et d’élever sa famille. Professeur à l’Université McGill à partir de 1995, puis à l’Université Laval cinq ans plus tard, il contribue à y instaurer le programme de formation en recherche neurophysique, à l’interface de la physique et des neurosciences. En 2003, il fonde également le Centre de neurophotonique, qui mènera à la création du programme d’études supérieures en biophotonique.

À l’image des neurones qui génèrent 10 000 connexions chacun, le scientifique multiplie les collaborations. Avec ses collègues, il explore aussi les domaines des nanotechnologies et de l’intelligence artificielle. Cet adepte de transdisciplinarité et lauréat du prestigieux prix Brockhouse du Canada en est convaincu : une aventure conjointe s’impose. Il encourage la mise en commun du savoir des sciences physiques et chimiques, de l’ingénierie et des mathématiques. Son objectif : « Créer des technologies non invasives et miniatures, qui permettent de mesurer les choses les plus complexes. On doit développer les technologies de demain pour percer les mystères du cerveau. »

Atout considérable pour promouvoir la collaboration, le professeur cumule les rôles. En plus d’occuper la Chaire de recherche du Canada sur la douleur chronique et les troubles cérébraux associés, il est directeur de recherche au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale. Inépuisable homme-orchestre, il assume aussi la fonction de directeur scientifique du Centre de recherche CERVO ainsi que de l’imposante initiative Sentinelle Nord. Visant à améliorer notre compréhension de l’environnement nordique et de son influence sur l’être humain et sa santé, ce projet permet à l’équipe de concevoir des outils d’optique photonique. Ces instruments ultraperformants exploitent les propriétés de la lumière pour explorer autant le cerveau que les organismes qui se cachent sous la calotte glaciaire.

« Il faut encourager la collaboration entre les gens qui développent les technologies et les gens qui les utilisent. Il faut créer des occasions de tester toutes ces technologies pour accélérer leur conception et les rendre pertinentes le plus vite possible. » Fort de ses 10 brevets et déclarations d’invention, le neurobiologiste est catégorique : l’innovation est indissociable de la recherche.

Le cerveau humain représente la plus grande ressource de notre planète, à son avis. Il rêve que la population québécoise s’enorgueillisse davantage des talents scientifiques à l’œuvre ici et que la société investisse dans ce patrimoine fantastique. « Le Québec est l’une des puissances mondiales dans le domaine des neurosciences. Je pense que nous sommes capables de tout, mais nous devons croire en nous-même. »

Pour Yves De Koninck, le succès de la recherche dépend de la relève. Les prochaines grandes découvertes se cachent peut-être dans l’esprit de spécialistes qui ont l’audace d’acquérir une double formation. La clé se trouve dans la plasticité des jeunes cerveaux, qui leur confère une remarquable capacité d’adaptation, et donc d’apprentissage.

Ainsi, l’universitaire ne ménage aucun effort pour favoriser le partage de connaissances et le développement des compétences. Deux organisations ont d’ailleurs célébré sa contribution à la formation des nouvelles générations de scientifiques, avec le prix Emily Gray de la Biophysical Society et le prix pour l’éducation de la Society for Neuroscience.

Après trois décennies, Yves De Koninck retire toujours autant de satisfaction à apprendre aux côtés de ses cohortes étudiantes. Pourquoi bouder son plaisir? Après tout, son sujet de prédilection ne risque pas de se tarir! « Les possibilités émergent au fur et à mesure que l’information se complexifie. Les mystères du cerveau et de la pensée sont infinis. »

Bertrand Routy

Certains scientifiques nomment des astéroïdes. Bertrand Routy, lui, baptise des bactéries intestinales! Au début 2022, ce jeune médecin, chercheur au Centre de recherche du CHUM et professeur en hémato-oncologie à l’Université de Montréal a présenté au monde Alistipes montrealensis, en hommage à la métropole où il mène ses travaux. « Maintenant, je me demande bien comment appeler les trois autres bactéries que mon équipe vient d’isoler », plaisante-t-il.

Malgré sa taille microscopique, Alistipes incarne des expériences d’une grande portée. Si Bertrand Routy s’y intéresse, c’est que les bactéries de nos intestins peuvent révéler – voire augmenter – nos chances de succès si nous devons être soignés par immunothérapie pour un cancer. Ce qui laisse entrevoir une percée en oncologie.

Dans ce combat contre la maladie, le Dr Routy occupe la ligne de front. Il essuie des railleries sans fin quand il entame ses recherches doctorales, en 2015. Analyser les selles de personnes atteintes de cancer? « Répugnant! », protestent les médecins. Trois ans plus tard, la notion s’impose jusqu’à modifier les pratiques cliniques et susciter un reportage dans Nature. Aujourd’hui, l’audacieux investigateur, âgé de 38 ans, est considéré comme une étoile montante dans son domaine. Ses 85 articles recueillent plus de 12 000 citations, et de grandes conférences internationales s’attardent maintenant au microbiome, la flore bactérienne qui vit en nous. « En peu de temps, cette idée choquante est devenue à la mode, se réjouit le lauréat du prix Relève scientifique 2022. Toutes les compagnies pharmaceutiques collectent le microbiome dans leurs études. »

Une arme anticancer

Au Québec, la moitié des personnes atteintes de cancer sont soignées par immunothérapie. Cette cure incite le corps à activer ses propres cellules immunitaires pour attaquer la tumeur. Le jargon médical parle « d’inhibiteurs de point de contrôle ». « C’est la plus belle invention en oncologie depuis la chimiothérapie, il y a 50 ans, précise le médecin. Mais l’efficacité de cette dernière plafonne. Je cherche à améliorer ce traitement. »

Né à Aix-en-Provence et arrivé au Québec à 7 ans, le jeune Bertrand grandit dans une famille éprise de savoir : papa est spécialiste du VIH, maman éditrice chez Gallimard. Il fait sa médecine à l’Université de Montréal et à McGill. En effectuant une spécialité en hématologie à Toronto, il se passionne pour le laboratoire. Il entreprend alors un doctorat en immuno-oncologie au centre Gustave-Roussy, à Paris, auprès de la Dre Laurence Zitvogel.

Mentoré par l’éminente professeure, il cible un sujet à fort potentiel d’innovation. En 2015, il cosigne dans Science un article prouvant que le microbiote intestinal module la réponse immunitaire et peut prédire l’efficacité de l’immunothérapie. Cette découverte est citée dans la plus récente édition de Hallmarks of Cancer (« Caractéristiques du cancer »), célèbre ouvrage sur la biologie de ce fléau.

Un labo pour le microbiome

En 2018, Bertrand Routy établit son laboratoire au Centre de recherche du CHUM. Il démontre que la prise d’antibiotiques avant un traitement par immunothérapie, en affaiblissant le microbiote, précipite le décès des patients atteints du cancer. Ce résultat est confirmé à la fin de 2021 par une analyse de 12 000 cas publiée dans Cancer Discovery. Les médecins s’abstiennent désormais de prescrire des antibiotiques dans ce contexte.

Avec son équipe de 12 personnes, le scientifique poursuit de grands projets. Un équipement sophistiqué lui permet d’identifier des bactéries du tube digestif, dont la moitié sont toujours inconnues. Il participe aussi à l’étude internationale Oncobiome, qui vise à établir une signature microbienne prédisant la réponse à l’immunothérapie. Il a déjà prouvé, par exemple, que la présence d’Akkermansia muciniphila est de bon augure.

Plus excitant encore : on pourrait aider une personne à combattre la maladie en modifiant son microbiome. Une hypothèse qu’il commence à tester auprès de volontaires du CHUM. « Les premiers résultats sont extraordinaires », assure-t-il.

Des bactéries qui soignent?

Des cures novatrices pourraient donc voir le jour. Parmi elles figure la greffe fécale, une pilule (inodore et sans saveur…) qui se dissout dans le petit intestin. Le procédé semble efficace et peu toxique; reste à vérifier si le transfert de bactéries d’un donneur à un receveur peut causer des problèmes de compatibilité. Autres options : des capsules de probiotiques, qui favorisent les micro-organismes bénéfiques, ou de prébiotiques, molécules chimiques qui modulent le microbiome.

Adepte de triathlon, l’infatigable découvreur espère célébrer ses 40 ans par une course Ironman. Mais l’essentiel de son énergie sera toujours employé à mener des expériences, à transmettre son savoir aux malades et à solliciter des subventions. « La recherche, on ne fait pas ça pour les prix, mais pour les patients. Quand mon réveil sonne à 5 h 45 le matin, c’est à eux que je pense », confie l’homme, papa de deux garçons.

Le « parrain » d’Alistipes montrealensis n’en est donc pas à sa dernière découverte. « Être vu comme une étoile en science, c’est encourageant, conclut le Dr Routy. Mais sans travail acharné, on devient vite une étoile filante. Il y a du boulot qui m’attend! »